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LEGENDES du Cambodge - Les hurlements des gibbons

"Hou-lou!... hou-lou-lou-lou-lou-lou !" font les gibbons. Merveilleux acrobates, ces singes parcourent les forêts du Cambodge en voltigeant de branche en branche, au rythme de leurs hurlements. Mais quand la cérémonie de l'accueil ou de l'adieu au soleil est terminée, tous s'arrêtent de crier. La forêt appartient alors aux insectes et aux fauves.

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Écrit par Lepetitjournal Cambodge
Publié le 10 avril 2024, mis à jour le 10 avril 2024

Voici la légende que racontent les Moïs Rhadés à ce sujet.

C'était au temps des aïeux. Les gibbons vivaient alors dans les forêts traversées par la rivière Srépok et son affluent le Krong Bla. On dit que les arbres y poussent si serrés les uns les autres qu'ils ne laissent plus passer la lumière atteindre le sol : parmi eux des chênes et des châtaigniers énormes, des tecks et des tracs au bois de fer, et de gigantesques ban-langs, aux pieds qui s'évasent comme des contreforts massifs.

Tout au long du jour, les gibbons cueillaient des fruits sauvages, se lançaient d'une branche à l'autre, ne se risquant à descendre au sol que pour tirer les piquants d'un porc-épic ou pour agacer un pangolin jusqu'à ce qu'il se mette en boule. On pouvait alors vivre heureux. La nuit, on dormait tranquille : point de tigre égorgeant un chevreuil, point de python venant surprendre dans son sommeil un tout petit gibbon. Les seuls voisins étaient des tourterelles, des paons à la queue traînante, des ours à collier orange qui, sans se presser, montent aux branches pour dévaster le miel des abeilles sauvages.

Les seuls cris qu'émettaient les gibbons à cette époque n'étaient jamais que le grincement de dents de deux mâles jaloux, le susurrement d'une mère appelant son petit ou les glapissements d'une bande de bébés gibbons se poursuivant facétieusement d'un arbre à l'autre.

Un jour, les singes qui vivaient plus au Sud, dans les bois qui ont poussé sur les pentes des cratères, eurent l'idée de partir à la découverte. Plus de dix mille d'entre eux, hurleurs, rieurs, aboyeurs, siffleurs, singes verts, singes gris à la longue queue blanche, singes violets et toute la tribu des macaques, s'en allèrent en migration vers le Nord. De temps à autres, ils apercevaient un village d'hommes. Un village, c'est de la canne à sucre, des patates douces, du riz à piller.

Ravageant le pays, cassant des arbrisseaux par plaisir, ils arrivèrent dans la haute forêt. Les plus audacieux continuèrent à crier, mais bientôt l'oppression de la forêt pesa sur eux. La tristesse les envahit et ils s'arrêtèrent, domptés par la majesté des arbres. C'est à ce moment qu'ils aperçurent les gibbons.

Au début, la gente macaque les prit pour de petits hommes, comme ceux que d'autres singes leur avaient dit avoir vus, là-bas très loin, dans le pays de Kambu. Mais à quelques grimaces qu'ils se firent, les uns et les autres, ils se reconnurent presque frères. On se tira alors par la queue, on dénicha ensemble des fruits et des racines à la saveur puissante, on se battit pour une femelle indifférente. Bref, on agit tels de parfaits singes qui, partout, se conduisent comme chez eux, c'est-à-dire fort mal...

Mais bientôt les visiteurs s'ennuyèrent. Ils se sentirent jaloux des gibbons qui vivaient dans un pays si paisible, où jusqu'au nom de panthère était inconnu. Ils résolurent de retourner dans leurs bois des hauts plateaux et ils formèrent le projet d'y attirer les gibbons.

"Eh quoi ! Vous ne connaissez rien, pauvres enfants de la forêt ! C'est à peine si ici l'on peut se mettre quelque chose sous la dent. Et avec quel mal, encore! Venez donc avec nous."

Quand vint le jour, ce fut autre chose ! D'abord, les fourmis rouges, qui forcèrent les pauvres abandonnés à quitter les hautes branches. Ce fut pour tomber sur les serpents : les pythons, les boas et, plus bas, les cobras attendaient leurs proies, oscillaient sur eux-mêmes jusqu'à ce qu'un malheureux gibbon vint de lui-même se jeter dans la gueule ouverte. A terre, c'était pire encore : il y avait les chiens sauvages, qui sans un aboiement savent si bien casser les reins d'un coup de dents, les rhinocéros qui s'en vont en grognant et piétinent avec fureur tout ce qui bouge devant leurs yeux de myopes. Et les éléphants, qui, lunatiques, se mettent à secouer les arbres jusqu'à ce qu'ils les rompent.

Quand, le soleil couché, tomba en quelques minutes un bref crépuscule puis la nuit, les gibbons sentirent le désespoir envahir leurs coeurs. Alors, ils se mirent à hurler, les mains réunies en conque autour de la bouche. La nuit, la Reine de l'Ombre, la grande meurtrière s'éveillait et apportait la terreur du meurtre qu'on ne voit pas venir.

Mais quand la clarté revint et que les gibbons comprirent qu'ils avaient devant eux toute la course du soleil pour connaître de nouveaux effrois, ils ne songèrent pas à s'en aller. Ils mirent leurs mains au-dessus de leurs têtes et, à nouveau, ils hurlèrent leur désespérance. Puis, de branche en branche, ils se lancèrent, attentifs aux fourmis rouges, aux pythons et aux éléphants sauvages qui ne supportent pas qu'on leur tire les oreilles.

On acquiert vite de mauvaises habitudes... Peu à peu les gibbons prirent celle de hurler "Hou-lou ! Hou-lou-lou-lou-lou..." quand le soleil apparaît et quand il disparaît. Ils se sont aussi accoutumés à une autre activité : ravager les champs des hommes !

Emilie TÔN (www.lepetitjournal.com/cambodge) Vendredi 13 avril 2012

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