Jean Pierre Lebois est ce genre d’homme discret qui œuvre, efficacement sans attirer les lumières sur lui. Ce médecin à la retraite apporte son expertise à l’ONG l’école du Bayon à Siem Reap. Lepetitjournal.com est allé à sa rencontre.
Jean-Pierre comment êtes-vous arrivé au Cambodge et qu’y faites-vous ?
Ma découverte du Cambodge et de l’école du Bayon remonte à 2006. À cette date, en compagnie de mon épouse, j‘avais séjourné quelques jours à Siem Reap pour visiter les temples d’Angkor. C’est à cette occasion que nous avons pu visiter l’école primaire que mon épouse connaissait et parrainait. A cette époque, elle n’avait qu’une classe unique de 30 élèves avec un professeur khmer, Samoye, et une volontaire italienne, Carla, qui donnait des cours d’anglais. L’école fondée par Maï et Marcel Bertaud date de 1996. Une association française, l’école du Bayon, a été créée et grâce aux efforts des présidents successifs, elle s’est développée et diversifiée en créant une école de pâtisserie en 2014 et une école d’agro-écologie cette année.
Mon premier séjour à l’école du Bayon en tant que médecin date de 2016. Il n’a duré que 3 semaines mais cela a été suffisant pour attraper le virus et je suis resté de plus en plus longtemps les années suivantes.
J’ai profité de ma retraite en 2016 pour m’investir davantage dans l’association en devenant médecin référent, ce qui me conduit à des séjours d’environ 6 mois chaque année, à titre totalement bénévole.
Je procède à l’examen médical annuel des élèves de notre école primaire ainsi que des collégiens et lycéens qui dépendent toujours du Bayon. S’y rajoutent les élèves de nos 2 écoles professionnelles de pâtisserie et d’agroécologie, soit environ 400 élèves, ainsi que le personnel de l’association. Nous avons, au niveau de l’école primaire, une infirmerie avec un infirmier khmer qui soigne la « bobologie ». En tant que médecin référent, je conseille le bureau de l’association sur les projets santé. Outre l’examen des élèves, j’ai pour mission avec notre infirmier de conseiller les familles de nos élèves sur la prise en charge des affections chroniques de type diabète ou hypertension artérielle fréquents au Cambodge et de mettre en place des ateliers d’hygiène et d’éducation en santé.
Quels sont les problèmes médicaux que vous constatez chez les jeunes dont vous avez la charge ?
La grande majorité des enfants est en bonne santé grâce à une alimentation équilibrée et saine, dans la mesure où les légumes servis à la cantine sont produits par 11 de nos familles. Nous les aidons à cultiver sans pesticides et avec des engrais naturels.
En 2013, l’ancien Président de l’école du Bayon, Vincent Robert, avait demandé à un ami médecin de venir à Siem Reap pour effectuer un bilan médical des élèves de l’école primaire.
A cette époque les malnutritions étaient fréquentes. Une volontaire, Elodie, tragiquement décédée en avril 2014 lors de son séjour au Cambodge avait le projet d’ouvrir une cantine pour servir un déjeuner aux élèves. Celui-ci s’est concrétisé en novembre 2014 et porte son nom « la Cantine d’Elodie ». Par la suite, l’association a institué un petit déjeuner car de nombreux enfants arrivaient le ventre vide et avaient du mal à suivre leurs cours.
Par contre, l’état dentaire est souvent très dégradé, dû à une mauvaise hygiène dentaire et l’abus de sucre dans la nourriture. Les infections cutanées sont fréquentes et causées par un manque d’hygiène
En cas de besoin les parents sont orientés vers les hôpitaux Kantha Bopha et Angkor Hospital for Children où les soins sont gratuits. Nous prenons également en charge les frais dentaires et ophtalmologiques en cas de nécessité grâce à des partenariats que nous avons mis en place afin d’obtenir les meilleurs soins au meilleur coût.
Quelles leçons le Cambodge vous a-t-il appris?
Vivre au Cambodge est un véritable enrichissement intellectuel personnel.
Dès mon adolescence, j’ai vécu de nombreuses années en Ethiopie où j’ai eu la chance de fréquenter un lycée français dans lequel, à côté des éthiopiens, se côtoyaient une cinquantaine de nationalités différentes. C’est ainsi que l’on apprend la différence, l’acceptation et la compréhension d’échelles de valeur différentes. Je retrouve ici la fierté et la peur de perdre la face, ce que j’ai bien connu durant mon adolescence.
J’apprécie au plus haut point chez les cambodgiens l’esprit de famille, le calme et l’absence d’agressivité, ne serait-ce qu’en moto lorsque je me rends à l’école tous les jours. Nous aurions bien des leçons à apprendre dans notre société où l’individualisme et l’agressivité sont monnaie courante.
Quelle est votre vision du futur pour le Cambodge ?
Le Cambodge a connu des années de guerre civile qui ont tout anéanti. Ce pays revient de loin mais il se développe grâce tout d’abord à la paix retrouvée. L’éducation obligatoire et le développement des formations professionnelles et universitaires lui permettent de voir émerger une classe moyenne éduquée avec des familles moins nombreuses. De nombreux projets de développement voient le jour grâce à l’aide des pays de l’ASEAN.
Selon moi, ce qui représente parfois un frein au développement personnel, c’est l’attachement très fort à la famille qui conduit à refuser un emploi éloigné de son village natal. Je le vois au travers de nos étudiants. Au niveau de notre association, nous aurons réussi notre mission lorsque les khmers n’auront plus besoin de nous car nous les aurons aidés à se développer.
En attendant, c’est toujours avec beaucoup d’émotion que je reviens chaque année au Cambodge, en ayant le sentiment de revenir chez moi.
Je ne peux que vous inciter à vous rendre sur le site internet de notre association l'Ecole du Bayon pour découvrir tout ce qui est déjà réalisé et les projets en cours au service des cambodgiens.
Merci Jean-Pierre du temps que vous nous avez consacré. Votre témoignage d’homme de terrain apporte une approche supplémentaire pour qui cherche à comprendre le Cambodge contemporain.