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Célesta O’Lee, pionnière khmère du burlesque récompensée au Japon

Franco-khmère installée au Québec, Célesta O’Lee vient de remporter, avec son partenaire Ricky Gin Toxic , le prix du meilleur duo au Japan International Burlesque Festival. De ses débuts de hip-hoppeuse à Phnom Penh à la scène burlesque mondiale, elle raconte un parcours fait de liberté, de politique et de sensualité assumée.

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Photo Pixzabelle
Écrit par Lepetitjournal Cambodge
Publié le 25 décembre 2025

Célesta O’Lee, pionnière khmère du burlesque récompensée au Japon

Franco-khmère installée au Québec, Célesta O’Lee vient de remporter, avec son partenaire Ricky Gin Toxic, le prix du meilleur duo au Japan International Burlesque Festival. De ses débuts de hip-hoppeuse à Phnom Penh à la scène burlesque mondiale, elle raconte un parcours fait de liberté, de politique et de sensualité assumée.

« Raconter une histoire à travers l’effeuillage »

En novembre, Célesta O’Lee et son partenaire de scène, le Canadien Riki Jintoxic, ont décroché le prix du meilleur duo au Japan International Burlesque Festival, à Kobe. Leur numéro : une version burlesque et résolument comique du Titanic.

La danse burlesque est un art de la scène qui combine humour, satire et effeuillage théâtral pour exprimer sa personnalité et célébrer la sensualité. Inclusive, elle encourage la confiance en soi et la réappropriation de son corps, quels que soient l’âge ou la morphologie. L’effeuillage n’est jamais intégral.

Elle définit le burlesque avant tout comme un art du récit et du jeu :
« Le burlesque, c’est l’art de raconter une histoire à travers le strip-tease. On enlève les vêtements en mêlant humour, glamour, danse, théâtre… Cela englobe beaucoup de disciplines artistiques. »

« Pendant quatre minutes, on a une version résumée et humoristique de l’histoire de Jack et Rose, jusqu’au naufrage du Titanic », résume la performeuse.

 

Rikuto Fukuda
Photo Rikuto Fukuda et Kyoko

 

De Phnom Penh à Montréal : une enfance au rythme du hip-hop

Avant de devenir une figure du burlesque, Célesta a d’abord été une enfant de la scène phnompenhoise.

« J’ai grandi au Cambodge de mes cinq à mes dix-neuf ans. J’étais toujours dans le domaine de la danse », explique-t-elle.

Très tôt, elle se passionne pour le hip-hop et les danses urbaines. Avec quelques amis et DJ, elle monte un groupe.

« On était un peu les pionniers de cette discipline. On faisait toutes les boîtes de nuit possibles avec DJ Sope, DJ Aaliyah, DJ Lisa et DJ Cake… »

À douze ans à peine, elle multiplie les apparitions télévisées :
« J’ai eu la chance de faire ma première apparition à la télévision sur TV5, puis sur d’autres chaînes comme TV3 ou Apsara. J’ai chanté, dansé, participé à des événements de la Francophonie à l’Institut français. »

Son père, architecte cambodgien, décide même de lui donner un outil pour transmettre :
« Il a fait construire un immeuble et m’a dit : “On va l’appeler l’Institut de l’Art et tu pourras y enseigner.” J’avais un studio de danse. Tous les matins, comme on faisait l’école à la maison, j’enseignais de 9 heures à midi : cardio, danse, chorégraphie… Je formais des jeunes, on faisait de la télé, des night-clubs. »

À dix-neuf ans, elle quitte pourtant Phnom Penh.
« J’avais besoin de voir autre chose, de grandir. Artistiquement, au Cambodge, il n’y avait pas beaucoup de débouchés. J’avais envie d’autres expériences. »

La raison du départ a aussi un visage : celui d’un Québécois, qu’elle rejoint au Canada. « Ça fait maintenant dix-sept ans qu’on est ensemble », sourit-elle.

La découverte d’un art « érotique mais maîtrisé »

Arrivée à Québec, Célesta ne tombe pas immédiatement dans le burlesque.

« Cela a pris presque sept ans. Je donnais quelques cours de danse, mais je ne savais pas dans quoi me lancer. Le Québec offre plus de possibilités pour le chant, le théâtre, la danse classique. Le hip-hop, à part danser derrière une chanteuse, il n’y avait pas grand-chose. Et je ne voulais pas être la danseuse de la chanteuse. »

Le déclic vient d’un salon grand public :
« En allant plus souvent à Montréal, nous sommes tombés sur le Salon de l’amour et de la séduction. C’est là que j’ai découvert le burlesque, avec des artistes réputées. Au début, j’étais un peu partagée : je me demandais si c’était surtout de l’érotisme. »

Très vite, elle comprend que l’enjeu est ailleurs :
« C’est une forme d’érotisme, comme au Moulin Rouge ou au Crazy Horse, mais la grande différence, c’est que tu fais tout toi-même. Je suis maîtresse de mon art : chorégraphie, lumière, costume, histoire, maîtresse de ma sensualité et de ma féminité. Personne ne me dit quoi faire. Si je décide d’enlever un vêtement, c’est à ma manière, et si je ne veux pas l’enlever, je ne l’enlève pas. Le choix est essentiel. »

Avec le temps, elle devient non seulement performeuse, mais aussi pédagogue :
« Je suis professeure de burlesque, j’enseigne, je fais du mentorat, je chorégraphie pour moi et pour d’autres. La plupart des artistes burlesques portent plusieurs “chapeaux” : costumières, productrices, parfois comptables ou infirmières dans la vie de tous les jours. »

Un milieu inclusif, féministe et très politique

Si le burlesque reste souvent méconnu ou entouré de préjugés, Célesta insiste sur la sécurité et l’engagement qui structurent ce milieu :
« Les gens imaginent qu’il y a forcément des problèmes de sexualité ou d’attouchements. Pour moi, c’est un environnement très sécuritaire, plus que bien d’autres. On fait attention à nos corps, à notre environnement. Je n’ai jamais eu de problème. »

Elle souligne aussi la dimension militante de ces scènes :
« C’est un milieu très féministe et très politique. Nous sommes très ouverts sur nos prises de position : ce qui se passe en ce moment en Palestine, par exemple, ou les questions LGBTQIA+, des communautés marginalisées, des minorités. »

Son propre engagement passe par son identité :
« En tant qu’enfant métisse asiatique, je tiens à mettre ma culture en valeur dans mes numéros. Je veux montrer qu’une femme asiatique dans le burlesque, ce n’est pas la soumission. Si j’ai envie d’être une guerrière dominatrice, je le fais. On met souvent les femmes asiatiques dans le même tableau : la geisha douce et silencieuse. Non, il y a autre chose. »

Son numéro Naga / Nagarita rend ainsi hommage aux racines khmères de son père, à Siem Reap :
« Je voulais montrer qu’il n’y a pas que la danse apsara. Il y a aussi le bokator, la boxe khmère, tout un univers de contes et légendes qu’on peut faire vivre à travers le burlesque. »

De la Rome antique à Angkor : convaincre un père khmer

Issue d’une famille franco-khmère, Célesta a dû composer avec deux rapports très différents à la pudeur.

« Quand j’ai annoncé à mon père que je faisais du burlesque, il a réagi : “Ma fille se déshabille ?” Je lui ai expliqué que le burlesque existait déjà à l’époque de la Rome antique, que c’est un art qui a une histoire. »

Elle s’appuie aussi sur les images d’Angkor :
« Je lui ai dit : regarde les statues des temples, les apsaras sont seins nus. C’est pareil pour Aphrodite dans l’Antiquité. Quelle est la différence entre ces statues et moi avec des caches-tétons pour faire de l’art ? »
Il a réfléchi et lui a répondu : « Tu as raison, je n’ai aucun problème avec ça. »

Du côté français, l’accueil a été plus simple : « Ma mère a toujours eu un rapport plus ouvert à la sexualité et à la sensualité. Je me considère pudique, mais je n’ai pas de honte de mon corps sur scène. »

Toutes les artistes n’ont pas cette chance :« Beaucoup de collègues asiatiques n’osent pas le dire à leurs parents. Certaines Japonaises nous ont raconté qu’elles ne peuvent pas l’annoncer à leur famille, elles ne seraient pas comprises. »

À l’inverse, la mère de Célesta, très présente dans le milieu, est devenue une figure remarquée :
« Au Québec comme au Japon, les organisateurs sont étonnés : je suis souvent la seule mère dans la salle. La patronne du cabaret The Wiggle Room, à Montréal, où danse Célesta, annonce toujours : “Ce soir, nous avons la chance d’avoir la mère d’une performeuse parmi nous.” Pour eux, c’est rare que les parents viennent voir leurs enfants sur scène », nous confie-t-elle.

Persévérance, talent et message : les exigences du burlesque

Qui peut faire du burlesque ? « De dix-huit à soixante-dix ans, tout le monde peut en faire, peu importe son corps », assure Célesta, tout en rappelant que cela demande un réel engagement :
« Il faut être persévérant. C’est un art où il faut sans cesse se réinventer, accepter les refus, se demander comment s’améliorer, comment se faire une place. »

La création occupe une place centrale :
« La danseuse exécute, la chorégraphe crée. Dans le burlesque, il faut être danseuse, chorégraphe et metteuse en scène. On mélange les métiers du théâtre, de l’humour, de la danse, parfois du chant. Chaque numéro doit porter un message. “Titanic”, pour nous, c’est l’humour : comment faire rire en se dévêtissant tout en racontant l’histoire de Jack et Rose. »

Un prix au Japon et une première Khmère à Las Vegas

« Il y a plus de deux cents candidatures. On envoie des vidéos, les organisateurs choisissent. Il y avait plusieurs catégories : burlesque classique, groupe, solo avec un seul vêtement à enlever, “newbie” pour les artistes de moins de deux ans… »

Dans la catégorie duo, trois numéros seulement sont retenus. Célesta et Riki décrochent le trophée :
« Nous avons gagné le prix du meilleur duo du Japon, un très beau trophée et un certificat. La compétition avait lieu à Kobe et, le lendemain, tous les gagnants ont performé à Osaka. »

 

 Kyoko
Photo  Kyoko

Ce n’est pas sa première reconnaissance internationale. En 2023, elle a participé au Burlesque Hall of Fame (BHOF), à Las Vegas, considéré comme la plus prestigieuse scène du milieu.
« Pour nous, c’est un peu les Jeux olympiques du burlesque. Quand on fait partie de cette compétition, c’est le sommet. J’ai concouru dans la catégorie “Best Debut”. J’ai pu représenter le Canada et le Cambodge et je suis devenue la première Cambodgienne à monter sur cette scène. À ma connaissance, il n’y avait jamais eu de Khmère avant. »

Le festival sert aussi à soutenir les « légendes » du burlesque : « Ce sont les retraitées qui ont ouvert la voie dans les années 1960-1970. Certaines ont plus de quatre-vingts ans et continuent à monter sur scène avec leurs bijoux de seins. »

Voyager, transmettre, imaginer la suite

Derrière les trophées, le burlesque a surtout offert à Célesta une vie faite de rencontres et de voyages :
« L’an prochain, ce sera ma dixième année de burlesque. Malgré la pandémie qui a tout ralenti, j’ai continué. Grâce à cet art, j’ai pu aller en Finlande, au Panama, à Rome, à Prague… C’est une carrière, mais très riche en découvertes, en amitiés, en expériences. »

Le prix au Japon consolide encore sa légitimité :« Ce prix apporte une reconnaissance : il montre qu’on est bons dans ce qu’on fait. Cela ouvre des portes vers d’autres festivals, d’autres invitations à travers le monde pour présenter “Titanic” ou un prochain numéro. »

En solo, ces distinctions lui permettent d’être programmée en tête d’affiche : « On obtient de meilleurs cachets, de meilleures conditions. Cela stimule la créativité, donne envie de se dépasser. »

Reste à définir les prochains objectifs :« Une fois qu’on a touché au BHOF, on ne sait plus trop ce qu’on veut. Peut-être y retourner et gagner, ce serait un beau défi. »

Pour l’instant, Célesta rêve d’une longue tournée sur le Vieux Continent :« J’aimerais partir en Europe pendant un an, multiplier les scènes, rencontrer de nouveaux publics. »

Et si elle regarde vers Phnom Penh, c’est avec l’envie, un jour, de revenir partager son expérience :


« J’aimerais beaucoup montrer qu’une artiste khmère peut s’approprier cet art, en faire un espace de liberté et de puissance. Le burlesque m’a permis de redéfinir mon pouvoir en tant que femme. »

Photo Pixabelle

 

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