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La reine du punk cambodgien veut chanter pour les droits des femmes

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La chanteuse punk cambodgienne Vartey Ganiva. Crédits : Pierre Motin
Écrit par Pierre Motin
Publié le 3 août 2023

Alors que la scène musicale du Cambodge est dominée par la pop et les chansons d’amour, Vartey Ganiva entend bouleverser les habitudes en imposant ses arrangements punk et ses chansons engagées. Lepetitjournal.com Cambodge l'a rencontrée.

Lepetitjournal.com Cambodge : Que veut dire être punk, particulièrement au Cambodge ?

Vartey Ganiva : Musicalement, je vois le punk comme un mélange entre de la pop et du métal, et j’apprécie la puissance de ce style. Mais avant tout, c’est un état d'esprit. Etre punk, pour moi, c’est utiliser son cerveau, faire les choses différemment et poser beaucoup de questions sur la société.

Comment avez-vous décidé de lancer votre groupe ?

J’ai grandi dans un village de la province de Kandal, où je vis toujours. Nous vivons au milieu des rizières, et la seule musique avec lesquelles j’étais en contact via la télévision ou la radio était la pop cambodgienne. Il y a quelques années, j’ai commencé à écrire et chanter des chansons pop très conventionnelles qui parlaient d’amours malheureuses, un sujet très classique au Cambodge. C’est en 2016 que découvert le punk rock et décidé de me lancer.

J’ai écrit mes premières chansons avec ma soeur et mon compagnon. Ma première chanson s’appelait « Evil Husband ». Je voulais écrire sur la vraie vie, la vie quotidienne au Cambodge. Dans mon village, un couple de voisins se disputait sans arrêt. Le mari sortait boire, couchait avec d’autres filles, rentrait et était violent avec sa famille. Alors que sa femme travaillait dur, il la battait presque tous les jours lorsqu’il revenait à la maison. Mais elle restait avec lui car au Cambodge on enseigne aux enfants que si tu es une femme, tu dois obéir à ton mari, être gentille, polie, t’occuper de tes enfants… Je veux crier ma colère contre les hommes qui font ça aux femmes.

C’est ce qui vous a donné envie de faire des chansons engagées ?

Oui, j’ai réalisé que beaucoup de femmes cambodgiennes, surtout dans la campagne, n’osent pas tenir tête aux hommes. Je voudrais que ces femmes puissent écouter ma chanson et se demander : « Pourquoi est-ce que je ne peux pas réprimander mon mari ? ». Au Cambodge, on entend des chansons d’amour partout, tous les jours. Pour moi, il y a un manque cruel de chansons engagées et éducatives, alors même que le Cambodge est un pays où le niveau d’éducation est faible. On voit peu de publicités pour les écoles, lycées et universités, tandis qu’on trouve partout, de Phnom Penh au plus petit village, de la publicité pour des marques de bière. Même les grands concerts sont sponsorisés par les producteurs de bière !

C’est pour participer à l’éducation des gens que je chante presque uniquement des chansons en khmer. Il y a plusieurs sujets qui me touchent et à propos desquels j’ai écrit des chansons, comme le travail des enfants dans les décharges, l’environnement, et plus généralement les questions de société. Mon inspiration vient de la vie quotidienne et des gens que je connais.

Quelles sont vos principales influences musicales ?

Patty Smith. J’adore son style, sa musique, sa puissance. C’est vraiment un modèle pour moi. Black Sabbath et Rage Against the Machine sont aussi des groupes qui m’ont beaucoup influencée. La musique cambodgienne des années 60 et 70, avec les chansons de Sinn Sissamouth et d’autres, est aussi une source d’inspiration pour moi.

Comment a réagi votre entourage par rapport au fait que je vous chantez du punk ?

Ma famille est assez ouverte d’esprit, mon père est peintre et ma grand-mère était écrivaine, elle a écrit sur la période khmère rouge. Mais c’était tout de même difficile de les convaincre que j’allais chanter du punk au début, ma mère avait très peur que j’abime ma voix. Aujourd’hui, ils me soutiennent beaucoup et ça me permet de continuer.

Vous considérez-vous comme une féministe ?

C’est difficile à dire, il s’agit d’un concept très occidental pour moi. A vrai dire, la première fois que j’ai entendu parler de féminisme, c’est durant une interview avec un journaliste ! Mais si être féministe signifie s’engager pour les droits de femmes, alors oui, je suis féministe. Je pense que les Cambodgiens devraient s’approprier le féminisme avec leurs propres mots. C’est ce que j’essaie de faire avec mes chansons.

Quels sont vos projets pour le futur ?

J’aimerais adapter des poèmes écrits par ma grand-mère en chansons, d’un style sûrement plus traditionnel, car le punk ne se prête pas à tous les textes. Je souhaiterais aussi fonder un groupe exclusivement composé de femmes, mais c’est compliqué de trouver les bonnes personnes. Je pense qu’un groupe féminin serait une bonne idée car je veux montrer que les femmes peuvent prendre la parole et ne pas dépendre des hommes. Pour le moment, je n’ai pas de filles avec moi, donc j’utilise encore les hommes ! (elle rit).

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Publié le 19 août 2018, mis à jour le 3 août 2023

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