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Jean-Paul Ly : « J'ai entraîné Tilda Swinton, la sorcière de Narnia. »

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Jean-Paul Ly, dans son rôle dans Jailbreak
Écrit par Lepetitjournal Cambodge
Publié le 1 janvier 1970, mis à jour le 17 mai 2018

À l'occasion de la sortie sur Netflix du film d'action cambodgien Jailbreak, l'acteur et chorégraphe français, d'origine sino-khmère, Jean-Paul Ly nous donne les ficelles du métier de cascadeur. À l'écran notamment sur des super-productions comme Docteur Strange de Marvel, il revient avec allégresse sur ses cinq dernières années durant lesquelles il a pu évoluer dans le monde du cinéma.

 

Lepetitjournal.com Cambodge : Qu’est-ce que le métier de cascadeur ?

Jean-Paul Ly : Nous sommes des professionnels qui simulent des accidents ou des combats pour des films, qui subliment une action pour rendre un acteur plus fort, plus performant. C'est un métier d’ombre, nous ne sommes pas mis en avant nous sommes là pour faire briller l’acteur. Il existe différents types de cascades, les arts martiaux, le feu, les chutes, mécaniques, etc. Il y a plusieurs spécialités. Je suis spécialisé dans les chorégraphies de combat. J'ai pratiqué le hapkido pendant 10 ans, un sport de self-défense coréenne, puis la capoeira, le karaté j’ai touché à tout pour être plus polyvalent.

 

Le cascadeur doit-il constamment ressembler à l'acteur principal du film, pour que l'illusion opère ?

Non, eux ce sont les doublures de cascade. Ils sont là pour créer l'illusion. Le coordinateur de cascade va choisir plusieurs cascadeurs qui ressemblent à tel ou tel acteur, mais les autres sont lambdas. Un simple combat entre le personnage principal du film et un personnage tiers nécessite qu'il soit joué par un cascadeur.

 

Avez-vous le goût du risque ?

Bizarrement non, je fais tellement attention dans mon travail. Ce n’est pas possible de se blesser. L'autre jour j’étais à la foire du trône, où ils proposent des attractions de simulation de cascades. Je ne voulais pas y aller car c’est mon boulot. Le besoin d’adrénaline je ne le veux pas dans la vie de tous les jours. Quelque chose m’empêche au fond de moi.

 

À quel âge et pourquoi avoir commencé les arts martiaux ?

J'ai commencé à Noisy-le-Grand en Seine-Saint-Denis (93), c'était un peu cliché mais nous regardions des cassettes de Bruce Lee avec mon grand frère. Puis un jour, il est rentré à la maison couvert de bleus, il s’était fait tabasser, j’avais cinq ou six ans. Je voulais faire du football mais mon père nous a inscrits aux arts martiaux.

 

Jusqu’où le cascadeur doit-il aller pour que la scène paraisse réelle ?

C’est subjectif aux cascadeurs, nous sommes censés rentrer chez nous sans ecchymoses, c’est le but. Il ne faut pas dépasser ses limites pour une simple cascade. Je ne peux pas me meurtrir, c’est mon fond de commerce. Les meilleurs cascadeurs sont de toute façon ceux qui ne se blessent jamais.

 

Qu'est-ce qui vous a donné envie de faire du cinéma ?

Je suis parti vivre au Cambodge après mes études de commerce. J'ai travaillé deux ans et demi en pharmacie, et j’ai vu le film Chinese Zodiac de Jackie Chan. Un copain que je connaissais depuis 15 ans jouait dedans, je n'étais pas du tout au courant. Cela m'a donné envie d'essayer, j’ai donc tout plaqué. C'était il y a cinq ans. Je suis retourné en France pour l'annoncer à mes parents. Une famille plutôt stricte, mon père surtout y était réticent et m'a demandé si je voulais devenir producteur. Mais ce qui m'intéressait à l'époque c'était la cascade.

 

Que préférez-vous entre votre métier d’acteur et de cascadeur ?

Ce sont deux professions totalement différentes. Cascadeur c’est de l’action tout le temps, une expression physique. Être acteur signifie jouer des sentiments, il y a plus d'interactions et ça me plaît beaucoup. Pendant huit mois, j'ai suivi des cours à l'école de théâtre Identity de Londres. Je pense rester en acting encore quelques années mais une autre facette de l'industrie du cinéma m'attire, celle de réalisateur. Je vais d'ailleurs tourner mon premier long métrage l'année prochaine. 

La cascade, j'ai appris sur le tas, sans avoir fait d'école ni suivi de formation. Il n'y a pas d'entraînement pour savoir comment se prendre une voiture dans la jambe. Dans le milieu, on te connait grâce à ta réputation. J'ai travaillé pendant sept mois sur le tournage de Docteur Strange. Cette expérience de terrain m'a beaucoup appris.

 

Que vous a apporté votre rôle dans Jailbreak, réalisé par Jimmy Henderson et disponible sur Netflix ? Est-ce votre premier au cinéma ?

Oui en effet, mais j'étais plus qu'acteur. Sur les films à petit budget on doit être multi-fonction. J'étais chorégraphe, coordinateur de cascade, cameraman, etc. J’ai saturé, j’ai failli abandonner au milieu du tournage parce que c’était trop. Je pensais pas que ce serait aussi difficile mais je devais le faire par fierté, dans ma tête ce film aurait pu devenir un modèle du genre au Cambodge. Cela s'est avéré être un énorme défi. Je débarque au Cambodge, la production me dit que nous allons tourner un film d’action. Ok, mais il n'y a ni cascadeur ni industrie du film au Royaume. J'ai demandé si je pouvais appeler des cascadeurs. On m'a répondu non, cela coûte trop cher.

Nous sommes partis de rien, au début il n’y avait que dix personnes qui pratiquaient le bokator, puis chaque jour ils venaient par dix. Nous nous sommes retrouvés avec 80 figurants pour jouer des scènes de combats mais ils ne savaient pas se battre. D’un côté c’était bien car on a donné le meilleur de nous-mêmes, mais nous manquions de beaucoup de choses. Le petit budget cela se voit à l’écran, le résultat n'est pas peaufiné. Nous mettions par exemple cinq heures pour filmer une scène de combat, qui se tourne habituellement en deux semaines. Nous n'avions  qu'une seule caméra (Reddragon).

Je n'en reviens pas qu’il soit sur Netflix, au départ il n'était pas censé sortir du Cambodge. Le film a cartonné, j'ai bien rigolé. Je n'en suis pas revenu quand j'ai vu ma tête sur Netflix, j'ai bien amusé la galerie parmi mes amis.

C'est une excellente surprise. Le film a même largement été reconnu à l'international. Nous avons décroché le prix du meilleur film d’action du public au festival Fantasia de Montreal, devant Atomic Blonde, et la troisième place du film le plus innovant. C'est quelque chose d'extraordinaire. C’est bien pour le Cambodge de recevoir ce genre de récompense. Le producteur principal du block-buster indonésien The RaidTodd Brown, a regardé Jailbreak, et nous a proposé son aide pour tourner la suite. Toutes les distinctions que l'on a reçues, c'est grâce à lui.

J'ai beaucoup appris durant ce tournage. Nous avons fait de la magie avec le peu de moyens disponibles, mais je ne réitérerai pas les mêmes erreurs dans le futur. Nous travaillons, avec Jimmy Henderson, sur son nouveau film : The Spray. Il m'a proposé le rôle du méchant, mais j'ai préféré refuser pour me concentrer sur l'action, et éviter au maximum le multi-tâche.  

 

Vous travaillez à présent pour d’énormes productions cinématographiques. Quel est votre ressenti ?

Travailler pour une grosse production est synonyme d'abondance de tout et surtout de temps. Pour le film Marvel : Docteur Strange, nous disposions de trois ou quatre caméras pour un set et nous ne filmions que quelques shots par jour. L'équipe de tournage comprenait au moins 150 personnes alors que sur Jailbreak nous n'étions que vingt. Des gardes du corps nous accompagnent dans nos déplacements, etc. C'est le jour et la nuit ! J'apprécie ces différentes aventures et ce qu'elles ont à offrir mais un plus gros budget signifie plus de confort pour l'acteur et donc une meilleure performance. C'est un investissement qui assure un plus grand nombre d'entrées.

Ils brassent des milliards, les enjeux sont plus grands mais cela ne me concerne pas directement. Il ne faut pas y penser sinon tu prends peur.

 

Quels sont vos meilleurs souvenirs de tournage ?

Pendant la première semaine du tournage de Docteur Strange, Jonathan Eusebio alias « Jojo », le chorégraphe de l'empire Marvel, mon idole dans ce métier, m’annonce que je dois aller entraîner le célèbre Benedict Cumberbatch, l'acteur principal du film. Du coup d'accord j'y vais. Nous nous checkons1 comme des amis avec Benedict. Et il me lance « bon Jean-Paul, on fait quoi ? », moi je stresse comme pas possible, et Jojo en rit bien. Lorsque tu frappes un acteur par accident, en tant que cascadeur, peu importe ce qu'il s'est passé, tu es viré sur le champ. Avec Benedict je transpirais, tout le monde nous regardait, il y avait une armée d’assistants derrière, plusieurs fois mon poing est passé à rien de sa tempe. Des fois les acteurs peuvent oublier des mouvements. Mais tout s'est bien passé, Benedict est quelqu'un de très agréable, il prenait souvent des nouvelles, c’était surréaliste, génial.

Sur ce tournage, j'ai également eu l'occasion d'entraîner Tilda Swinton, la sorcière de Narnia ! Mon côté geek est ressorti, j'étais très enthousiaste de la rencontrer ! Jojo m'a demandé : « tu l'aimes bien ? » Il m'a laissé l'entraîner pendant deux mois. C'est mon enfance ce genre de films et maintenant je travaille avec elle, nous avons répété des « kata », des successions de mouvements d’arts martiaux. J’ai adoré faire cela avec elle. Elle a beaucoup d'humour, nous avons passé de bons moments ensemble.

 

Quel est votre quotidien aujourd’hui ?

Le cinéma d'action demande toujours plus d'innovation. Les films d'aujourd'hui comme The Raid, Atomic Blonde, John Wick, ne ressemblent pas à ceux d'il y a 15 ans. Par conséquent, je fais beaucoup de recherche et développement sur comment améliorer le design de l’action. Dans film d’action tu dois vendre le mot action. Nous sommes une équipe de dix à travailler à Londres. C'est le nouveau Hollywood. Tous les tournages des films du genre se passent ici. Nous nous réunissons deux fois par semaines pour peaufiner des chorégraphies pour les projets à venir. Cela change tout le temps, cela me stimule, je cherche la compétition, la concurrence, on se fait plaisir. 

 

Vous nous avez parlé du cinéma anglophone, que pensez-vous de la scène française ?

Pour être honnête, je ne suis pas trop ce qu'il se passe dans le cinéma français. J’adore Luc Besson en tant que réalisateur par rapport à ce qu’il fait en France. J'ai en mémoire particulièrement la scène finale de Léon, lorsque Jean Reno sauve la petite Mathilda, jouée par Nathalie Portman. Ça c'est de l'action ! Pas besoin de caméras amplifiées ou quoi que ce soit, le réalisateur a réussi à capter pleinement l'attention.

 

Quel objectif vous-êtes vous fixé pour la suite ?

J’aimerais beaucoup réaliser mon premier long métrage d’action. Je travaille actuellement sur le script, je resterai derrière la caméra. Pour ce qui est de l’action, j’ai une équipe de cascadeurs qui peuvent parfaitement retranscrire ma pensée. J'apprécie la technique lumière/caméra. J'entends l’appel de la réalisation, je veux y répondre. Je souhaite que le rôle principal soit attribué à une femme. J'ai beaucoup de références du type comme Nikita, Lucy, et d'autres.

 
1 : Se saluer de façon atypique, en se tapant généralement dans la main.

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