Vous avez peut-être déjà pu apercevoir en vous baladant dans Buenos Aires des plaques, ou plus précisément des carreaux commémoratifs situés au sol. Dissimulés sur le côté de la chaussée, tantôt aux abords d’un parc, d’un bâtiment institutionnel ou bien simplement sur un trottoir au hasard, il est facile de les rater. Une fois aperçues, vous vous demandez peut-être ce que ces carreaux représentent et ce qu'ils commémorent... Petite histoire sur l’implémentation de la mémoire de la dictature dans les rues de Buenos Aires.
Rappel historique : la dictature militaire argentine et les desaparecidos
En 1976, une junte militaire prend le pouvoir par la force, grâce à un coup d'État militaire permettant de renverser le gouvernement péroniste et installant Rafael Videla à la tête de l’Argentine. De 1976 à 1983, l’Etat mène une vaste campagne de répression contre les opposants du régime, notamment les partisans Montoneros (organisation politico-militaire péroniste) qui sont torturés, enlevés et tués. Le chiffre symbolique de 30.000 victimes est mis en avant mais la singularité de cette “guerre sale” (surnom de la répression par la dictature argentine) est l’impossibilité de connaître le nombre précis de disparus. Dès lors, à la sortie de la dictature et jusqu’à aujourd’hui, l’enjeu de la mémoire des “desaparecidos” est crucial dans le pays. Depuis, des lieux de mémoire ont été érigés (Parc de la mémoire et l’Espacio Memoria y Derechos Humanos notamment) et de nombreux projets continuent de fleurir la ville.
Un processus de fabrication des baldosas pour se souvenir
C’est dans ce contexte mémoriel qu’est née en 2005 l'association Barrios x Memoria y Justicia (Quartiers pour la Mémoire et la Justice). Aussitôt, les membres de ce collectif ont eu l’idée d’installer des plaques commémoratives sous formes de carreaux (appelées baldosas) à des endroits symboliques des violences faites pendant la dictature. Le processus-même a son importance pour la démarche mémorielle. Les proches des victimes participent pleinement à la conception de la baldosa, accompagné par des bénévoles du collectif. Ensemble, ils choisissent l’emplacement, les couleurs et les mots inscrits sur la plaque faisant de la fabrication un moment important de rencontre et de souvenir de la personne disparue. Enfin, la cérémonie d'inauguration de la plaque inclut des chants partisans et des discours pour finalement laisser comme marque indélébile, sur le pavé, la mémoire des martyrs de la dictature.
Un hommage nécessaire pour les familles et pour la société argentine
Ces baldosas ont une double importance pour la mémoire de la dictature argentine. D’abord, elles permettent aux familles des victimes d’avoir un lieu où se recueillir. Par définition, les corps des disparus n’ont jamais été retrouvés, rendant impossible d’ériger une tombe et de donner un lieu pour se souvenir. Ainsi, la plaque donne aux proches une matérialisation du décès et les aide à faire un deuil, souvent difficile par l’absence du corps et de réponses de la part de ceux qui ont été responsables. Ensuite, ces baldosas sont importantes pour la société argentine afin de marquer la ville de son sombre passé et éviter qu’il ne tombe dans l’oubli. Pour le collectif Barrios x Memoria y Justicia, il y a un véritable enjeu pour former les générations futures et éviter que l’histoire ne se répète. C’est pour ça qu’on retrouve nombre de ces plaques à côté des écoles et des universités.
Le but est donc non seulement de rendre hommage aux disparus pour eux, pour leurs familles mais aussi de marquer les rues de Buenos Aires pour rappeler à ses habitants, aux touristes et autres flâneurs, ce qu’il s’est passé il y a à moins de 50 ans.
Vous pouvez retrouver ici une carte interactive de tous les lieux de mémoire de la dictature à Buenos Aires.