Nous avons posé nos questions à Jean François Jund, 55 ans, un ancien gendarme français passionné par le sujet et qui vit officiellement en Roumanie depuis 2001. Jean François était déjà présent en 1989, lors des événements de la révolution quand il faisait partie des équipes qui avaient pour mission de sécuriser l’Ambassade de France. Il y est revenu brièvement en 1995 dans le cadre d’une mission de l’Union européenne occidentale sur l’embargo des armes et des carburants sur l’ex-Yougoslavie, mission qui dura environ huit mois et qui lui fit découvrir la Roumanie plus en profondeur. Il est venu s'y installer définitivement en 2001 à la demande du M.A.E. pour une coopération bilatérale entre la France et la Roumanie pour la réorganisation de l’école des officiers de la gendarmerie roumaine. Aujourd'hui il est formateur dans la gestion des risques sécurité sureté d’entreprise et a développé un module de sensibilisation au risque sismique.
LePetitJournal.com de Bucarest : Quelles zones de Roumanie sont les plus touchées par les séismes selon vous ?
La faille principale de Roumanie est celle de Vrancea qui est centrale mais il y a d’autres failles, comme celle du Banat qui commence à intéresser les sismologues, ou celle de la Mer Noire, où de plus en plus de séismes se produisent au large des côtes. Cependant, la zone la plus sensible reste la première, la ville la plus proche étant Focsani avec un axe en diagonale qui va jusqu’à Bucarest vers le bas et jusqu’à Iasi vers le haut.
Pourquoi Bucarest est-elle la plus touchée par rapport aux autres villes qui se trouvent dans le même rayon de l’épicentre de Vrancea ? »
Il s’agit de la capitale donc, il y a forcément un plus grand nombre de personnes qui y habitent et il y a eu le plus grand nombre de tués en 1977 (environ 1400, et 14 000 blessés), mais il y eu également d’autres villes touchées ainsi qu’un village entier qui a été rasé. Il faut aussi préciser que ce tremblement de terre a été ressenti jusqu’à Moscou, donc les Russes s’inquiètent également.
Qu’est-ce-que les autorités roumaines ont fait ou peuvent faire pour limiter les dégâts des séismes ?
Il y a une sensibilisation de la population à travers des programmes et des partenariats avec le Japon ou la Norvège, pour donner un retour d’expériences, acheter du matériel, et surtout alerter et donner des préventions et des mesures à prendre avant et surtout après les séismes.
Par rapport au séisme de mars 1977, qui fut le plus meurtrier, pourquoi, aujourd’hui, un autre ferait-il plus de dégâts ?
Si on ne parle que de la région de Bucarest, il y a beaucoup de différences car, d’une part la population a augmenté, aujourd’hui on parle de 2,3 millions d’habitants, et d’autre part, il n’y a plus de service militaire obligatoire, ce qui implique que les militaires ne peuvent plus intervenir à une grande échelle et les jeunes n’ont pas forcément les premiers gestes pour secourir ni les connaissances nécessaires. Par ailleurs, il n’y a pas de formation de premier secours obligatoire. Enfin, en 1977, il y avait une infrastructure qui était assez maintenue ce qui n’est plus le cas aujourd’hui, car il y a certain immeubles neufs construits avec ou sans autorisation, des centres commerciaux qui respectent les normes européennes mais qui ne sont pas adaptées pour la Roumanie.
Comment ont évolué les prédictions des séismes ?
Il n’y à pas de règles ni de cycles, il y a eu uniquement des relevés qui montrent qu’il y a eu des séismes en Roumanie depuis plus de mille ans, mais les sismologues étrangers qui travaillent avec leurs homologues roumains considèrent que les futurs séismes majeurs, à savoir ceux au-delà de 6 sur l’échelle de Richter, augmenteraient d’un degré par rapport au précédant. Dans le cas de la Roumanie, la magnitude d’un éventuel séisme serait de 8.
Quels sont les premiers gestes à adopter en cas de tremblements de terre ?
Ne pas paniquer : la panique est le pire ennemi. Il faut rester vigilant, observateur, et chez soi, fixer les objets, éviter de dormir avec des bibliothèques au-dessus de la tête car tout danger vient « du ciel », les blessés ne sont pas directement victimes du tremblement de terre mais des problèmes annexes liés aux chutes d’un miroir, d’une étagère, d’un tableau… Il vaut également mieux avoir des chaussons et une lampe de poche prête à proximité. Quand on est à l’extérieur, le mieux est de ne pas bouger dans la mesure du possible ; dans les centres commerciaux ou les cinémas, il faut éviter les mouvements de foule et suivre les sorties de secours. Malheureusement, lorsqu’il y a une seule sortie de secours, mal adaptée, comme c’était le cas au « Colectiv », on connaît le résultat…
Comment le marché de l'immobilier s'est adapté à ce problème?
On trouve dans le centre-ville de Bucarest un nombre important de bâtiments expertisés et qui représentent un danger face au risque sismique. La liste officielle mise à jour existe ici: http://amccrs.pmb.ro/docs/
Les immeubles portant le logo « Bulina rosie », certaines copropriétés ont même dévissé le panneau, sont invendables sur le marché de l’immobilier. Beaucoup de propriétaires ont donc délaissé les appartements pour les remettre dans le circuit parallèle, c'est-à-dire hébergement de sièges d’entreprises pour cabinets de notaires ou avocats, ou dans le régime hôtelier de type Airbnb. Il faut noter que des marchands immobiliers peu scrupuleux recherchent ces types de biens où le prix d’un appartement ou d’un immeuble est beaucoup plus bas par rapport au prix du marché, et après une rénovation sommaire l’appartement ou l’immeuble est remis dans le circuit du régime hôtelier !
Est-ce que les bâtiments construits après le communisme sont assez solides dans le cas d'un tremblement de terre majeur?
Il est difficile de répondre à cette question. En Roumanie la réglementation concernant les risques sismiques est drastique lors d’une construction neuve. En plus de l’architecte, il est obligatoire que la construction soit avisée par un ingénieur structure. Une agence d’état est également en charge de vérifier l’ensemble.
En réalité beaucoup de promoteurs ne respectent pas les règles, n’effectuent pas les sondes géologiques, utilisent des matériaux de mauvaises qualités et les acquéreurs se retrouvent avec des défauts de conformité et vices de construction. Dans la location et l’achat immobilier en Roumanie, il faut rester prudent, vigilant, s’informer et ne pas se précipiter sur une affaire !
Les parlementaires ont voté récemment une loi qui permettrait de réouvrir les restaurants, boîtes de nuit et cinés dans bâtiments encadrés dans la classe II de risque sismique. Qu'en pensez-vous?
C’est un sujet assez particulier. Il existe 3 000 bâtiments qui sont dans ce fichier de la mairie de Bucarest, dont 300 sont ultrasensibles et peuvent tomber même s’il n’y a pas de tremblement de terre. Les autres ont eu des expertises qui ne sont même plus valables. D’ailleurs, ce fichier ne fait pas figurer tous les immeubles concernés (dont des bâtiments administratifs), puisqu’il date de plusieurs années, et les propriétaires ont peur de les expertiser parce qu’ils craignent que leur bâtiment soit étiqueté « bulina rosie ». Toute cette histoire est liée aussi au « soulagement » du marché immobilier mais il faut rester conscient que le danger est réel et bien choisir l’endroit en cas d’investissement.
Propos recueillis par Lucas Cosset