L'histoire de Ion Barbu, ancien mineur topographe, aujourd'hui artiste et activiste, ne peut être dissociée de l'histoire de la petite ville de Petrila (Transylvanie), une des plus vieilles villes minières du pays, qui a fermé définitivement ses mines en 2015, après 156 ans d'activité. Ion Barbu veut sauver l'histoire et l'identité de sa ville natale et un de ses projets est de transformer les bâtiments historiques de la mine en musée, or pour cela, il a mené une lutte de longue haleine avec les autorités locales qui ne veulent qu'une chose : les démolir. A travers son imagination débordante et sa créativité il a transfiguré la petite ville en y ouvrant 4 lieux de culture et d'art : la Maison mémoriale de Ion D. Sirbu, le Musée de la Mère, le Centre POMPAdou et le musée du plombier roumain à Petrosani. Rencontre avec un personnage courageux et haut en couleurs.
Ion Barbu a aussi participé à de nombreuses expositions nationales et internationales dans lesquelles il a gagné une trentaine de prix. Il est aussi professeur de caricature de presse à l'école supérieure de journalisme à Bucarest. Il dessine aussi pour la presse : Adevarul, Romania Libera, Evenimentul Zilei ; Academia Catavencu, Dilema Veche,? Il a été protagoniste du documentaire Planeta Petrila, diffusé dans le cadre du festival Pelicam, c'est là que nous l'avons rencontré.
Lepetitjournal de Bucarest: Comment ces musées ont-ils influencé la vie des locaux ? de la ville ?
Ion Barbu: Le premier musée qui a bientôt un an, a joui d'un grand afflux de visiteurs, mais ces musées sont quand même des « musées orphelins », dans le sens qu'ils sont abandonnés par les autorités locales. J'ai voulu suivre ce qu'avait dit Picasso : «donnez-moi un musée et je le remplirai», c'est ainsi que j'ai procédé, en pensant que les musées respectifs pourraient constituer un « brand » de la ville, la zone se rapprochant de ce que j'appelle un « désert culturel ». Par exemple, le Musée du plombier roumain, qui a ouvert l'année passée, a atteint le chiffre de 2000 visiteurs ce qui est énorme pour la ville de Petrosani, surtout qu'il est ouvert par hasard, quand j'y suis, et j'y fait la femme de ménage, le guide et le directeur (rires). Je suis heureux qu'il ait été visité par des personnes de tous les pays, même de tous les continents, mais malheureusement c'est plus les étrangers qui viennent que les locaux.
D'où vient cette réticence ou ce manque d'intérêt de la part des locaux ?
Premièrement, du fait qu'ils sont cantonnés dans un genre d'art qui date des années 50, l'art socialiste, le réalisme socialiste, où l'on magnifie l'effort en montrant les muscles des mineurs. Ce que je leur propose c'est des manifestations dignes du siècle dans lequel nous vivons, qui présupposent une dose de réflexion or beaucoup n'ont pas l'organe nécessaire à la réflexion ou refusent de l'utiliser.
L'éducation y joue pour beaucoup...
Absolument, et c'est un triste constat : nous sommes les champions européens de l'analphabétisme et surtout dans la formule véhiculée aujourd'hui : l'analphabétisme fonctionnel, c'est-à-dire, lire sans comprendre ce qu'on lit, ou regarder et ne pas comprendre ce qu'on voit. Et cela se trouve partout, même au niveau des autorités locales qui ont l'impression qu'une fois élus, le Saint-Esprit leur tombe dessus et ils deviennent connaisseurs en tout.
Pourquoi avoir décidé de rester à Petrila ? Qu'est-ce qui vous attache à cet endroit ?
Une forme de patriotisme local, car je crois que toute personne est attachée à l'endroit d'où elle vient, et puis le fait que je suis toujours attaché à l'enfance comme à un paradis perdu. J'ai eu des tentations de partir, j'ai vécu un temps à Bucarest, mais j'aimerais bouger à Bistrita peut-être dans le futur en ayant une démarche similaire pour mettre un coup dans la fourmilière (rires).
Vous avez travaillé 15 ans en tant que mineur topographe, quel regard portez-vous aujourd'hui sur ce métier ?
Un regard nostalgique, peut-être à cause du fait que j'ai exercé ce métier pendant ma jeunesse. C'est pour cela que j'aimerais garder vivantes les traditions, l'histoire de ce lieu et de ce métier, en transformant Petrila en une sorte de « Macondo roumain ». Le mineur que je suis est doublé d'un artiste et je ne veux pas briser les traditions mais les emmener sur d'autres terrains et sortir des représentations stéréotypées. Cette expérience en tant que mineur m'a permis de transfigurer le sous-terrain et de l'emmener à la surface pour lui donner une connotation artistique qui pourrait attirer des curieux. A mon avis c'est la dernière solution pour la ville de Petrila, qui manque de richesses culturelles à part quelques noms célèbres nés là-bas : Ion D Sirbu, et Miron Cozma (il a été le meneur de plusieurs minériades dans les années 90) qui peut être utilisé, malgré son gré, comme un exemple de ce qu'il ne faut pas faire. Un musée des minériades serait assez intéressant à faire si c'est fait avec détachement et avec humour. On pourrait ainsi concilier les intellectuels bucarestois avec les habitants de cette région grâce à l'humour, car comme disait Chamfort, « le monde a survécu car il a su rire ».
Mais il n'y a même pas de musée du communisme?
Il y a un mois, un workshop a été organisé par L'Institut d'Investigation des Crimes du Communisme à Petrila dont tout le monde a été très enthousiaste et que beaucoup ont trouvé très réussi. Il est vrai qu'il n'existe pas un musée du communisme mais dans beaucoup de localités il y a des musées qui rappellent le communisme et c'est bien. Dans le Musée de la mère, par exemple, la grande partie des ?uvres parlent de cette période du communisme, tout comme dans le musée du plombier où il y a une section qui parle de « l'âge d'or » avec humour. A Timisoara aussi il y a le musée du consommateur communiste qui est un très bon exemple. Peut-être que c'est cela la bonne direction : faire d'autres types de petits musées un peu partout, plutôt que de faire des gros musées ossifiés.
Propos recueillis par Sarah Taher et Grégory Rateau (www.lepetitjournal.com/Bucarest) - Lundi 17 juillet 2017
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