Édition internationale
Radio les français dans le monde
--:--
--:--
  • 0
  • 0

FRANCO-ROUMANIE - Olavy-Theodor Pecou, la Bretagne dans vos assiettes

crêperie-Nominoëcrêperie-Nominoë
Écrit par Franco-Roumanie
Publié le 12 novembre 2018, mis à jour le 12 novembre 2018

Notre rédaction est allée à la rencontre d’Olavy-Theodor Pecou, un Roumain naturalisé Français qui a quitté son pays pendant le communisme pour venir s'installer en Bretagne. Aujourd'hui il a décidé de revenir en Roumanie avec sa femme, Dana. Ensemble ils ont monté la crêperie bretonne Nominoë à Bucarest pour rendre hommage à cette région qui a su les accueillir mais aussi pour faire connaître la gastronomie bretonne et son histoire.

 

 

 

Grégory Rateau: Vous avez quitté la Roumanie pendant le communisme pour venir vous installer en Bretagne. Pourquoi êtes-vous revenu dans votre pays d'origine?

 

Olavy-Theodor Pecou: J’ai quitté la Roumanie de manière inconsciente. Pour moi je partais en vacances pour rejoindre mon père en France, mais, en fait, tout était déjà mis en place pour que nous ne puissions plus rentrer ensuite, ce que j’ignorais totalement. Ça a été un déchirement, renoncer à mes amis, mes grands-parents, mon école, ma maison, mes affaires, à absolument tout. C’est très différent des gens qui choisissent, ça a été une déchirure. Je n’avais sur moi que quelques vêtements et des livres pour lire sur la plage en été. Il y a eu ensuite plusieurs retours en Roumanie car c’est là-bas que j’avais mes racines. Le premier c'est lorsque j’ai travaillé en 1999 pour Renault, j’ai passé 3 ans et demi ici. Le premier vrai retour aux sources, en dehors des voyages à Pâques pour revoir ma famille. Le retour en France a été ensuite très difficile par contre, j’avais un bon salaire, un bon poste mais je n’ai pas tenu et j’ai donné ma démission pour rentrer au pays. La Roumanie c’est chez moi, j’ai ensuite rencontré ma femme, Dana, la seule de la famille à avoir de vraies racines françaises, ce qui est très drôle car elle est roumaine comme moi.

 

 

Avez-vous vu votre pays changer lorsque vous êtes revenu pour la première fois ?

 

Oui, ça a été un choc terrible, quand je suis rentré exactement un an après la révolution, en 1991. J’ai quitté Bucarest en 1982 et Ceausescu n’avait pas encore commencé ses travaux destructeurs. A Unirii, mes grands-parents avaient une maison pleine de charme dans un endroit merveilleux, mais le quartier a été entièrement rasé et toute mon enfance balayée. La ville était en travaux, sale et grise, déprimante car privée de lumière. J’ai grandi chez mes grands-parents et mon grand-père est décédé entre temps, les souvenirs qu’il m’avait laissés avaient été comme effacés par le communisme, une grande tristesse pour moi…

 

 

Vous avez eu, malgré tout, l’envie de reconstruire quelque chose.

 

J’ai toujours eu cette envie-là. Parce que je sens ça au fond de moi, on a été élevés dans ce sens, construire l’avenir. On le dit en Roumanie: les 6 premières années de notre vie sont fondamentales, moi c’est avec mes grands-parents que je les ai passées. Ce sont les années pendant lesquelles les principes et les valeurs essentielles qui te définissent te sont inculquées. Mon grand-père m’a transmis cela et je n’ai pas eu le temps de le remercier…

 

 

Comment vous est venue l’idée de monter une crêperie à Bucarest ?

 

Madame en est un peu responsable (rires). Je suis fan d’histoire et c’est une région tellement riche, ses paysages, son passé, on ne peut pas y rester indifférent. Nominoë, le nom de notre crêperie, est donc un hommage au souverain de Bretagne de 845 à 851 qui fut à l'origine de la naissance d'une Bretagne unifiée et indépendante. On peut d’ailleurs comparer le folklore roumain et celui de la Bretagne qui est très marqué et préservé. On organise des soirées à thèmes autour de l’histoire, nos crêpes portent des noms de personnages historiques, les livres que vous voyez ici sur la Bretagne sont également mis à la disposition de nos clients, des livres illustrés pour les enfants, des projections de films sont également organisées, des soirées dégustation sont proposées aussi autour des produits de la région… Bon, la gastronomie y est aussi pour quelque chose (rires), il n’y a pas une fois où l’on passait en Bretagne sans que nous fassions une halte dans une bonne crêperie. L’idée a donc fait son chemin et on s’est finalement lancés pour concilier nos passions respectives. On s’est ensuite formés puis on a essayé d’obtenir des fonds d’un programme de financement des PME roumaines. On a pensé à faire un emprunt puis, finalement, on a décidé de mettre toutes nos économies dans cette affaire. On continue de travailler à côté, je viens tout juste de prendre un congé sabbatique pour m’occuper à plein temps de notre crêperie pendant que ma femme continue à enseigner.

 

 

Qu’est-ce qu'une crêpe réussie selon vous ?


La crêpe salée est typique de la région, les gens ont une certaine réticence quand ils ne connaissent pas. Les aficionados aussi vous attendent au tournant quand vous prétendez proposer une spécialité bretonne. Il ne faut pas se louper. Pour la réussir, il faut de la bonne farine de sarrasin, celle qui répondra à tous les critères - présentation, goût, texture - même s’il faut encore avoir le bon tour de main car c’est loin d’être chose facile. Nos débuts ont été difficiles à ce propos, on n’a dû en rater pas mal pour arriver à choper le truc. Manipuler la farine c’est un peu comme manipuler la terre: des odeurs, des sensations au toucher, il faut aimer ça. Nous ne coupons pas notre farine avec du froment comme beaucoup de crêperies le font, car les crêpes sont plus facilement manipulables avec du froment mais on perd quelque chose. On préfère garder le sarrasin pur pour des questions de goût et d’authenticité. Pour les ingrédients, l’avantage que l’on a c’est que l’on peut innover, on pense même à proposer, en dehors de nos produits traditionnels français avec des ingrédients importés tels que l'emmental ou encore le jambon, une recette spéciale à base d’ingrédients roumains, pour essayer de concilier nos deux cultures, une édition limitée pour la découverte. Il y a également ici d’excellentes charcuteries.

 

 

Un dessert que vous aimeriez recommander à nos lecteurs ?

 

Oui, la crêpe aux pommes le Roic (le rocher en breton), une crêpe créée par notre formateur. C’est sa grand-mère qui lui avait transmis cette recette car elle avait aussi sa crêperie. La vraie cerise sur le gâteau (rires). Il y a absolument tout ce dont on puisse rêver sur une crêpe : du caramel au beurre salé, de la pomme caramélisée, de la framboise au milieu, des amandes grillées et le tout donne un florilège de saveurs, de couleurs, car cette crêpe est aussi très belle à regarder. Nous en sommes fiers, mon épouse et moi, et les gens l’adorent. A déguster avec un bon bolet de cidre!

 

 

Comment jugez-vous la qualité de vie ici à présent?

 

Elle s’est nettement améliorée au regard de l’évolution de ces 28 dernières années. Je suis même un peu mécontent quand j’entends des compatriotes roumains dire du mal de la Roumanie, souvent on entend dire qu'il n’y a rien de pire que ce pays, ce sont parfois des gens qui n’ont pas trop vécu ailleurs et qui manquent de points de comparaison. La vie est plus confortable, elle est plus simple mais il ne faut pas fermer les yeux sur tous les problèmes. Je constate que cette évolution parfois brutale peut engendrer des excès de consumérisme et on sent que les gens ont été parfois privés ou leurs parents avant eux, ce qui les poussent peut-être à acheter de manière compulsive, ils profitent sans penser à l’avenir. Il y a encore plein de choses à faire pour le système de santé, les infrastructures, l’éducation, la circulation… Ce n’est pas facile d’investir ici, il faut lutter et en vouloir, mais je crois qu’il peut y avoir de belles perspectives si on s’implique vraiment.

 

 

La vie en France vous manque-t-elle parfois?

 

Pour comparer la vie ici et là-bas, il est vrai que la paperasse est interminable en Roumanie, on nous met beaucoup plus de bâtons dans les roues, les démarches s'accumulent et peuvent prendre plus de temps, à cet égard la vie est plus confortable en France mais je pense qu’elle a malgré tout plus de profondeur en Roumanie. Je rentre souvent en Bretagne, j’adore cette région, ses couleurs, ses paysages, ses traditions, sa gastronomie, les gens aussi sont très sympathiques. Malgré cela, la Roumanie m’a toujours beaucoup plus manqué que la Bretagne ou que la France ne me manque aujourd’hui. J’ai grandi à l’école de la République, j’ai été façonné par mon pays d’accueil. En France l’éducation est très importante, on apprend aux enfants à réfléchir par eux-mêmes, on n’apprend pas que du par cœur, c’est très cartésien. Je dois beaucoup à la France. Apprendre à faire la différence entre le bien et le mal, apprendre aussi la nuance, savoir se forger sa propre opinion. En France on encourage aussi les jeunes à rentrer dans la vie active par de nombreux stages, alors qu’en Roumanie ce n’est pas le cas, ce qui est dommage. Des jeunes diplômés n’ont parfois aucune idée du monde du travail. Quand je suis arrivé en France j’ai été placé dans un centre de réfugiés en Bretagne, cette région nous a donc ouvert les bras, je veux le lui rendre aujourd’hui, rendre à la Bretagne ce qu’elle m’a apporté…

 

Pour toute information sur la crêperie Nominoë allez ici

 

 

Propos recueillis par :

gregory-rateau

 

LEA BROKER LOGO LIGHT
Publié le 12 novembre 2018, mis à jour le 12 novembre 2018

Flash infos