Dans l'univers des affaires, deux créatures éprouvent parfois des difficultés à se comprendre : les employés des start-up et ceux des grandes entreprises.
Dans l’essai Les hommes viennent de Mars, les femmes viennent de Vénus, John Gray expose les différences entre les deux sexes. Dans une galaxie pas si lointaine - celle des affaires - deux créatures éprouvent également des difficultés à se comprendre : les employés des startup-up et ceux des grandes entreprises.
Des créatures aux profils antinomiques
Les start-upers sont des jeunes pousses libres et précurseurs, actifs dans le secteur des nouvelles technologies. Avec leurs sociétés innovantes en forte croissance, ils entendent changer le monde. À l’ère digitale, leur popularité est assurée le règne intergalactique de la presse en ligne et des réseaux sociaux. Les start-upers maitrisent la communication à merveille : Internet est même leur univers de prédilection.
Les grandes entreprises (que nous nommerons ici ‘corporations’, par anglicisme et par commodité) sont conservatrices et puissantes. Elles figurent dans le CAC 40 français, au rang des 30 valeurs du Dow Jones américain et leurs équivalents boursiers du monde entier.
A l’image, caricaturale, de l’entreprise Hudsucker Industries du film La Grand Saut, des frères Cohen, les corporations appartiennent à l’ancien monde : elles constituent l’establishment économique, au fonctionnement bureaucratique, aux règles strictes et à la hiérarchie pyramidale.
Les start-up sont des sprinters, les corporations sont des marathoniens
Plus les entreprises sont grandes, plus leur flexibilité intrinsèque diminue. On ne change pas la direction stratégique de Walmart, qui emploie 2.3 millions de personnes et gère 11 000 points de vente, avec l’agilité d’une petite start-up nouvellement créée.
Une corporation qui réalise des centaines de milliards d’euros de chiffre d’affaires et emploie de nombreux collaborateurs depuis des décennies, voire des siècles, n’entretient pas le même rapport au risque qu’une jeune start-up.
Les corporations se prémunissent abondamment contre tout péril, en s’armant de règles rigoureuses, gouvernées par des procédures, des guides et des manuels. Dans les grandes entreprises, tout est inspecté, structuré, documenté et archivé. Avec un objectif suprême : conserver, coûte que coûte, la réputation, la base de clients et les avantages concurrentiels si durement acquis au fil du temps.
En corporation, les projets doivent être présentés, puis débattus, par une multitude de collaborateurs appartenant à des équipes différentes, avant d’être soumis à l’approbation du management et du conseil d’administration, voire des actionnaires. À l’ère digitale où les affaires doivent aller vite, cette lenteur peut constituer un lourd handicap. À force d’être anti-fragiles, les corporations ne deviendraient-elles pas anti-agiles ?
À l’inverse, la prise de risque est une nécessité absolue pour les start-up. Celles-ci doivent innover sans cesse, pour ne pas disparaitre, ou devenir ce que les capital-risqueurs appellent des zombies, c’est-à-dire des start-up décadentes, ni tout à fait vivantes, ni complètement mortes.
En somme, les impératifs peuvent se résumer à ces deux paradigmes antinomiques : « innove ou meurt », pour les start-up et « maintiens tes acquis ou meurs » pour les corporations.
La mortalité infantile des start-up
À trop vouloir encenser l’environnement cool et dynamique start-up, on oublierait presque le monde de l’entrepreneuriat est un immense cimetière.
En Europe, entre 70 à 90% des start-up s’éteignent avant d’avoir soufflé leur cinquième bougie. Contrairement aux corporations, qui offrent un environnement stable et rassurant à leurs salariés, les start-up sont des organisations imprévisibles et volatiles.
Derrière les 80 licornes européennes -ces start-up valorisées plus d’un milliard de dollars- il existe des milliers de faillites, de burnouts et d’entrepreneurs ruinés. Lancer une start-up est une aventure unique et fascinante, mais qui se termine le plus souvent dans un crash.
Les corporations traversent les crises économiques, les guerres et la concurrence internationale avec aplomb. JP Morgan Chase existe depuis 1799, Saint-Gobain, depuis 1665.
Le grand paradoxe
Les fondateurs de start-up sont des gens ambitieux. Ils rêvent que leur start-up devienne un jour une grande entreprise. Une corporation, en somme! En affaires, Big is Beautiful, comme l’écrivent Robert T. Atkinson et Michael Lind.
Quant aux corporations, elles envient secrètement la liberté et la vitesse d’exécution des start-up. Elles admirent leur capacité à être en phase avec leur époque et leur farouche envie de changer le monde.
Les corporations ont besoin des start-up pour innover, tout comme les start-up ont besoin du soutien des corporations pour se développer. In fine, start-upers et corporatistes ne sont si différents. Ils évoluent d’ailleurs dans le même univers: celui des affaires, où les impératifs de croissance et de rentabilité s’imposent avec la même force.
Conclusion : l’art de la polyvalence
Des années d'expérience conjugale ont permis à John Gray de comprendre les différences entre hommes et femmes, pour en faire une source d'enrichissement mutuel plutôt que de tensions.
A une époque où les réseaux sociaux ont tendance à polariser les individus et les faire entrer dans des "bulles", il est bon de rappeler que le fait de cataloguer les gens en fonction de leur sexe, tout comme du type d’entreprise dans lequel ils travaillent n’est ni juste, ni souhaitable.
Tels des start-upers, les chefs d’entreprise à succès sont souvent parvenus à gravir les échelons des corporations en s’appuyant sur leurs qualités entrepreneuriales, pour faire avancer les projets avec agilité. Quant aux start-upers ayant une expérience en corporation, ils en ont souvent assimilé les codes, les méthodes, la discipline et le leadership et se sont formés au contact de mentors. En affaires, les professionnels les plus aguerris ne seraient-ils pas ceux qui s’approprient habilement les qualités complémentaires des deux mondes ?
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