En Bretagne, on dit souvent que “Partir, c’est réussir”. Un peu partout sur la péninsule, les vieilles maisons regorgent d’objets exotiques, rapportés par tels ou tels aïeuls marins. Avec son histoire émaillée de grandes épopées d’explorateurs et d’aventuriers, l’importance du commerce de la Compagnie française des Indes orientales et des “chasseurs d'épices”, le patrimoine breton s’est nourri d'influences étrangères. Un legs que l’on retrouve aussi dans les assiettes et qui s’incarne aujourd’hui avec force, ambition et engagement dans le travail du chef Olivier Roellinger.
Les “chasseurs d'épices”
Les chasseurs d'épices ont marqué l’histoire de villes bretonnes comme Lorient, Port-Louis (en face de l'Île de Groix) et Saint Malo, un passé étroitement lié à la Compagnie française des Indes orientales et à des personnalités comme Jean-François Dupleix (voir l’article : Inde et Bretagne : Les fondations de la Compagnie des Indes orientales) ou encore Bertrand-François Mahé de La Bourdonnais, originaire de Saint Malo.
En 1664, Colbert désigne la ville de Port-Louis pour abriter la Compagnie française des Indes orientales qui, avec les chantiers navals, entraîneront le développement de la ville de Lorient. Ainsi, pendant 40 ans y transitent des épices, en plus des étoffes, soieries, porcelaines, thés, cafés, bois... Mais, suite à sa faillite due aux guerres avec ses voisines européennes, elle sera reprise par les armateurs et corsaires de Saint Malo qui la redynamise. La Compagnie française des Indes orientales étendait alors son influence des côtes africaines au Japon en passant par le Sous continent indien, l’Asie du Sud-Est, Formose et la Chine.
Les “chasseurs d'épices” qui parcouraient les mers depuis Saint Malo sont à l’origine de certaines des fameuses malouinières, ces grandes demeures en pierre, similaires à des hôtels particuliers, accompagnées de dépendances. Elles sont traditionnellement situées dans la campagne non loin de Saint Malo pour les replis tactiques ou les nouveaux départs, et ont de préférence le dos tourné à la mer (pour ne pas trop se rappeler le travail) ! Aujourd’hui, il en reste 112, dont certaines peuvent se visiter, notamment lors des Journées du Patrimoine.
Le commerce des épices en Europe était tout de même dominé par les Néerlandais, suivis par les Portugais et les Anglais, car la France n’est entrée que tardivement dans le commerce avec l’Orient. Mais, les épices affluèrent néanmoins. Parmi les nombreux trésors qui emplissaient les cales des navires, en provenance d’Inde en particulier, on trouvait beaucoup de coriandre, cannelle, muscade, cardamome et bien sûr du poivre.
Après un siècle d'activité, le traité de Paris de 1763 qui met fin à la guerre de 7 ans, réduit considérablement l’influence française dans la région. Cependant, Pierre Poivre, un lyonnais, ancien missionnaire, devenu botaniste, chargé précédemment par la Compagnie française des Indes orientales de s'occuper du développement des épices, est nommé en 1767 Intendant des Isles de France (Ile Maurice) et de Bourbon (La Réunion). Il y importe clandestinement des plants de muscadiers et de girofliers qu’il acclimate avec un très grand succès. Il y implante ensuite de l’anis étoilé, de la cannelle et du poivre... Depuis ces îles, on lui demande de répéter le procédé aux Seychelles et jusqu’en Guyane Française. Cette grande réussite mettra fin à la domination hollandaise sur le commerce des épices. Elle concourt à la dispersion par les européens des plantations d'épices à travers le monde ce qui rebat radicalement les cartes du commerce mondial des épices.
Roellinger le cuisinier - héritier des chasseurs d'épices
Bien des siècles plus tard, un cuisinier se saisit de cet héritage des chasseurs d'épices et retourne puiser dans cette incroyable palette de saveurs pour sublimer les produits locaux de sa Bretagne natale et ainsi en raconter son histoire riche et aventureuse.
Après une jeunesse un peu houleuse puis une grave agression, Olivier Roellinger s'adonne à la cuisine et décide de sauver la malouinière du XVIIIème siècle (1760) de Cancale où il est né. Cette maison, qui avait été bâtie par un marchand d'épices, avait été rachetée par sa famille à un propriétaire qui l’avait laissée en l'état, encore habitée de tous ses meubles et objets témoignant de son riche passé. Il y installera son restaurant la Maison Bricourt qui obtiendra 3 étoiles au Michelin en 2006, avant que le cuisinier ne décide de changer de cap en 2008 et de fermer le restaurant. Il ouvrira ensuite une autre table, Le Coquillage, tenue maintenant par son fils Hugo, qui promeut les producteurs locaux autour d’une cuisine iodée. De son côté, la maison s’appelle dorénavant La Maison du Voyageur et est aujourd’hui le lieu de la cuisine-laboratoire où Olivier Roellinger, et ses deux enfants, confectionnent les délicats mélanges d'épices.
Comme le regrette le cuisinier, quand on aborde la cuisine française, on a affaire à des techniques extrêmement sophistiquées, une palette de produits remarquables… Mais quand on en vient à l'assaisonnement, “on se retrouve avec deux mots : sel et poivre !” Il va donc s'évertuer à ramener dans nos assiettes les saveurs perdues et parcourt le monde à la découverte des meilleurs producteurs et apprend de leur savoir.
En 1982, il crée son premier mélange d’épices, le mélange Retour des Indes. Il correspond aux 14 épices qui se trouvaient dans les murs du port de Saint Malo au XVIIIe, ramenées par les navires de la Compagnie française pour le commerce des Indes orientales et occidentales (site roellinger-bricourt). Il contient principalement du curcuma, de la coriandre, de la badiane, du macis, du sichuan, du thym, et de la moutarde… Sur sa carte, ce mélange emblématique accompagnait un Saint Pierre (fameux poisson de la région). C’est ce plat, dédié à Mahé de la Bourdonnais, ce grand homme de l’Océan Indien, qui établira sa renommée.
Olivier Roellinger a toujours été à la recherche de la plus belle qualité tout en s’engageant très fortement pour des cultures bio et le commerce équitable. Il a ainsi mis en place un label et soutient des coopératives à travers le monde. Aujourd’hui, il travaille avec 130 producteurs qui sont principalement présents en Inde, à Madagascar et à la Réunion.
Le Kari Gosse, un mélange d'épices créé par un pharmacien de Lorient
Plus tôt, d’autres s'étaient déjà saisis de ce riche passé de la Bretagne, dont Monsieur Gosse, un apothicaire de Lorient qui au XIXeme siècle avait lui aussi inventé un mélange d'épices, qu’il a breveté : le Kari Gosse, en souvenir des premiers “curry” qui arrivaient dans les cargaisons de la Compagnie des Indes dans sa ville. C'est un mélange de piments, gingembre, cannelle, curcuma, girofle, cardamome, poivre, fenugrec dont le reste de la recette reste secret et qui sert à agrémenter les crustacés, notamment le homard. Il est encore aujourd’hui vendu dans des pharmacies à Lorient et Auray.
Aujourd’hui, de nouveaux acteurs se lancent dans le commerce des épices comme avec la marque brestoise Spice Culture, de l’indien Thakshak Kambalagadde. Des synergies qui n’en finissent pas de faire des émules…
Dans le prochain article de la série l’Inde et la Bretagne, nous partirons à Morlaix rencontrer l’association Armor India.
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