Comment les Indiens qui visitent la France voient-ils notre pays ? Quels sont les clichés qui se confirment et ceux qui se révèlent exagérés ?
Le Petit Journal Bombay vous propose de regarder la France à travers trois expériences indiennes. Nous avons recueilli les impressions et les interrogations de Vivek, un trentenaire installé en France avec son épouse française, d’Ashok et Kanchan, un couple de Mumbaikars dont la fille est professeure de français, et de Priti et Swati, deux sœurs qui ont réalisé leur rêve de voir Paris.
La France vue par Vivek, un Indien qui vit en France
Nous avons recueilli les propos d’un Indien vivant en France. Après plusieurs voyages dans le pays, Vivek et son épouse française se sont installés à Marseille, et Vivek va régulièrement à Paris pour le travail. Il apprend le français. Il a donc une bonne connaissance du pays et, comme il le dit lui-même, s’il a vu « the best of France » pendant ses courts séjours, s’y installer lui a permis de connaître « the rest of France ».
S’installer en France pour un Indien
Presque sans surprise, le plus dur pour Vivek fut de faire face à l’administration française. Venant de ce qui est considéré comme un pays en développement et arrivant dans une nation développée, il a été étonné de la lenteur et de la lourdeur des procédures. Il a pourtant voyagé dans de nombreux pays et il est habitué à faire des démarches à l’étranger, mais ça ne lui a jamais paru aussi difficile qu’en France.
J’avais l’impression qu’on me demandait de remplir des formulaires sans qu’on sache vraiment pourquoi, simplement parce que « c’est comme ça ». Et puis beaucoup de choses se font encore sur papier. En Inde, on fait toutes ses formalités sans envoyer un seul courrier. Ici, tout passe par La Poste, et il faut s’adapter à ses horaires !
Le système bancaire français l’a également surpris. En effet, en Inde, les cartes bancaires sont fournies gratuitement à leurs utilisateurs.
Les frais d’utilisation d’un compte et d’une carte sont élevés, et les transactions en ligne sont lourdes et mettent du temps à être reflétées sur le compte. En Inde, on scanne un code, on met son mot de passe, et la transaction est affichée en live dans l’application bancaire. D’ailleurs, j’ai gardé une carte indienne pour payer à l’étranger, car c’est moins cher et plus facile.
Se faire des amis en France
Les Français sont-ils ouverts aux autres, et en particulier aux étrangers venus vivre sur le territoire ? Chaque Français aurait certainement une réponse différente à apporter à cette question. Pour Vivek, il y a de fortes différences entre la France et l’Inde en ce qui concerne les interactions sociales et les manières de communiquer, mais les Français ne sont pas aussi fermés que les clichés le laissent croire. Enfin, ça dépend d’où on se trouve...
Dans le sud de la France, il y a le soleil, les gens se plaignent moins et ils sont faciles à aborder, ils engagent la conversation. Je vais à Paris régulièrement pour le travail, donc je vois la différence. À Paris, tout va plus vite, il y a plus de monde, les gens sont plus fermés, ils ont l’air plus en colère, et ils n’ont pas envie d’engager la conversation au-delà d’un bonjour de politesse.
Ça ne veut pas dire qu’il n’est pas possible de se faire des amis à Paris, mais le contexte est différent.
Dans le sud, les gens ont plus d’amis. Mais à Paris, les amitiés sont plus fortes.
Il remarque aussi que les Français manquent parfois de spontanéité dans leurs relations amicales.
C’est la première fois que je planifie des rendez-vous avec des amis quinze jours à l’avance ! J’ai dû faire un gros effort d’adaptation. En Inde, quand on veut voir un ami, on frappe à sa porte, sans même appeler avant, à toute heure ! Je trouve aussi que les Français hésitent à demander de l’aide à leurs amis. En Inde, on peut appeler ses amis pour tous les problèmes, petits ou gros. En France, les gens préfèrent se débrouiller seuls, et solliciter leurs amis seulement en dernier recours, en cas d’urgence, et encore...
Vivre et travailler en France quand on vient d’Inde
Une fois passés les déboires de l’installation et des démarches administratives, Vivek trouve qu’il y a certains avantages à vivre en France quand on vient d’Inde. Notamment, il admire le modèle social français qui, sans être parfait, estompe les inégalités entre les plus riches et les plus pauvres.
Il y a la sécurité sociale, l’école publique et gratuite pour tous, avec le même niveau d’enseignement partout. Les gens n’ont pas à se soucier d’économiser de l’argent pour offrir un enseignement de qualité à leurs enfants. Cette idée générale que le gouvernement est au service de la population, on n’a pas ça en Inde. On ne s’attend pas à ce que le gouvernement nous donne quoi que ce soit, donc c’est normal pour les Indiens de devoir payer pour des soins médicaux ou une école correcte.
Dans le contexte professionnel, il a remarqué que l’ambition pure n’était pas bien vue et qu’elle était perçue comme agressive par les Français.
En Inde, les gens sont dans une compétition permanente. Il n’y a pas de sécurité de l’emploi, pas de SMIC et pas d’allocations chômage, mais il y a beaucoup de candidats, alors réussir n’est pas un choix, c’est une obligation.
En contrepartie, il trouve qu’il est beaucoup plus difficile d’évoluer professionnellement.
Il y a des carcans, il faut passer par tous les échelons et être patient, passer quelques années au même poste, en se disant qu’à la fin, on pourra peut-être prétendre à mieux. C’est un peu comme un système de classes. Si vous sortez d’une grande école de commerce, vous savez à quoi vous attendre, où vous serez dans 10, 20, 30 ans. En Inde et aux États-Unis, les ascensions fulgurantes sont courantes. En fait, le système français est hérité de l’ère industrielle, où il était bien vu de commencer au bas de l’échelle dans l’usine avant de devenir PDG à 50 ans, peut-être. A l’ère numérique, on peut devenir PDG à 35-40 ans, mais ça se voit encore peu en France, à part dans les entreprises familiales.
De plus, les Français recherchent la stabilité, la planification, et n’aiment pas l’incertitude, à laquelle les Indiens sont beaucoup plus habitués.
Côté loisirs, Vivek apprécie les « 35 heures » et les RTT !
Les Français pratiquent beaucoup d’activités en plein air et sportives. Randonnée, vélo... C’est dû aussi aux RTT et au nombre de congés payés, mais c’est vraiment bien. J’aime ce style de vie dynamique. Quand je suis allé à Chamonix, j’ai même rencontré quelqu’un qui faisait du ski pendant sa pause déjeuner ! Les Français peuvent manger des pâtisseries sans que l’obésité soit un véritable fléau !
Vivek trouve également que la France est un beau pays.
Une chose que je trouve merveilleuse en France est la diversité des paysages. Il y a la mer, la montagne... La Bretagne, ça n’a rien à voir avec les Alpes ou le sud. J’ai traversé l’Ardèche en voiture, il n’y a rien pendant des kilomètres, mais c’est tellement beau ! Tout est beau en France. Je n’ai pas encore vu un endroit véritablement laid.
Les clichés que les Indiens ont sur les Français (et qui sont vrais)
Les Français font souvent la grève, évidemment ! Mais est-ce une mauvaise chose ?
En France, les gens se plaignent si le gouvernement ne leur donne pas satisfaction. Je trouve ça bien, car c’est comme ça qu’on obtient des choses et qu’on améliore son confort. En Inde, les gens ne se plaignent pas, parce qu'ils n’attendent rien du gouvernement.
Le café-croissant en terrasse est un autre cliché que les Indiens ont sur les Français.
J’adore ça ! Les Français aiment bien manger, prendre le temps. La longue pause de midi pour aller manger au restaurant avec les collègues, avec un café, un dessert et une cigarette à la fin du repas, c’est très français ! En fait, c’est parce que les Français ont une conception de l’équilibre entre travail et vie personnelle que d’autres n’ont pas. Ici, on travaille pour pouvoir profiter des plaisirs de la vie. Les gens ont une vie en dehors du travail. En Inde, vous pouvez mettre vos hobbies sur votre CV si ça vous chante, mais ça n’intéressera personne.
On dit aussi que les Français ont un sens inné de la mode et du style. Oui, mais...
Parmi les clichés qui sont vrais sur la France, il y a le fait que tout le monde porte du noir, du gris, du beige. Pour une personne venant d’Inde, c’est super triste ! Il n’y a pas de couleurs dans la vie ! Chez nous, les vêtements sont très colorés, mais si je m’habillais comme ça ici, on me demanderait si je sors du cirque !
Vivek regrette surtout une chose :
La chose qui est un peu triste en France, c’est que certaines personnes n’ont pas l’air de se rendre compte de leur chance. Ils vivent dans un beau pays, où le système n’est certes pas parfait, mais leur permet quand même de vivre une vie confortable, sécurisée, avec des hobbies...
Et il conclut :
La seule chose qui me manque vraiment, c’est la nourriture indienne ! Quand je suis fatigué, que j’ai un petit coup de mou, j’appelle le meilleur restaurant indien que je connaisse et je commande à manger !
Le premier voyage en France d’un couple indien
Ashok et Kanchan ont découvert la France pour la première fois récemment, mais ils connaissent bien sa culture, grâce à leur fille, qui est professeure de français. Malgré tout, ils ont été plusieurs fois surpris lors de leur voyage à Paris et en Provence.
Contrairement à ce qu’ils ont pu entendre, tous les Français ne sont pas hautains. Mais ils parlent très peu anglais, et cela conduit parfois à des situations désagréables.
Dans la plupart des endroits où nous sommes allés, nous avons trouvé des personnes aimables qui nous ont aidés. Mais par deux fois, à Versailles, nous nous sommes trouvés dans une situation gênante en essayant de poser des questions. Nous n’arrivions pas à communiquer, et nous sentions que l’interlocuteur ne se montrait pas très agréable… Par ailleurs, nous attendions à trouver plus d’informations en anglais affichées à Paris et au Palais de Versailles, qui sont des lieux très touristiques. Nous aurions aimé en apprendre plus sur le Palais, mais il n’y avait pas d’affichage.
Le couple a apprécié la densité du réseau de transports en commun et la facilité des déplacements.
Paris est une ville très bien desservie par les transports en commun, même s’il n’était pas toujours facile de savoir quelle ligne emprunter. Nous avons aussi apprécié la qualité des routes. Dans le sud, nous avons adoré les trajets en voiture entre les différentes villes, et la vue à couper le souffle sur les calanques. Dans les villes, même les petites rues sont équipées d’un feu tricolore, et marcher est très agréable. À Nice, sur la Promenade des Anglais, le trottoir est plus large que la route !
Cependant, ils ne s’attendaient pas à ce que l’insécurité et la saleté existent en France.
Nous avons été surpris de voir des gens visiblement pauvres et quelques endroits sales à Paris. Nous avons aussi entendu des messages de mises en garde contre les pickpockets. Heureusement, il ne nous est rien arrivé !
Comme Vivek, Ashok et Kanchan ont remarqué que le cliché sur les Français qui restent minces est vrai.
Bien qu’ils mangent du pain, et des plats contenant beaucoup de calories accompagnés de vin, la plupart des Français sont bien constitués !
Malgré quelques déconvenues, le couple a vécu une excellente expérience et en garde surtout de beaux souvenirs.
Les beaux immeubles et églises de Paris, les concerts, les glaces, l’Opéra Garnier, le Jardin du Luxembourg... Et à Nice, un concert dans un jardin, les marchés aux fleurs, les étals de fruits, la météo agréable, l’azur de l’eau qu’on retrouvait dans les yeux bleus de nombreux Français, les boulangeries et leurs délicieux sandwichs… Merci la France pour tous ces souvenirs !
Priti et Swati à Paris : les clichés sur les Français qui se sont vérifiés
Priti et Swati, deux sœurs vivant à Mumbai, ont récemment visité la capitale française. Priti rêvant de voir un jour Paris, elle a organisé le voyage à l’occasion de son anniversaire.
Dès leur arrivée en France, les deux Indiennes ont eu beaucoup de difficultés à se faire comprendre. Si les vendeurs étaient plus polis que ce que laissent penser les clichés sur les Français, cela n’allait souvent pas au-delà du bonjour.
Les vendeuses disent bonjour avec un grand sourire, mais ensuite, elles ne sont pas prêtes à répondre aux questions, surtout si elles sont posées en anglais !
Elles ont trouvé que les gens faisaient le minimum du service, mais rien de plus. Par exemple, les chauffeurs de taxi les déposaient à peu près là où elles le souhaitaient, mais refusaient de leur donner des indications quant à la suite de la route.
Souvent, les personnes qui nous aidaient dans la rue étaient elles-mêmes étrangères.
Même le réceptionniste de l’hôtel ne faisait pas d’effort particulier, et ne parlait pas très bien anglais.
En Inde, les invités sont comme des dieux, et les touristes sont traités comme des invités de marque. Là il n’y avait aucune chaleur particulière dans leur expression.
Par contre, elles ont remarqué que les serveurs et vendeurs masculins plaisantaient beaucoup avec elles… Peut-être le côté charmeur des Français !
Les deux sœurs ont été étonnées de l’accueil à la boutique Chanel. Elles y ont été très bien reçues, et ne se sont pas senties jugées sur leur apparence physique ou leurs vêtements. Elles ont le sentiment qu’en Inde, dans les endroits de luxe, les personnes qui n’ont pas l’air assez riches pour se payer les produits vendus ne sont pas reçues correctement.
Comme Ashok et Kanchan, elles ont été assez choquées de percevoir de l’insécurité dans des lieux célèbres. À Montmartre, elles se sont retrouvées entourées par un groupe d’hommes, dont l’un leur a attaché de force un bracelet au poignet. Elles n’ont pas vraiment compris ce qui se passait et ont eu peur.
Concernant les transports en commun, elles ont eu une expérience mitigée. Au-delà de la difficulté à se déplacer quand on ne connaît pas le réseau et la langue française, plusieurs choses les ont étonnées.
Une ligne de RER était fermée pour travaux pendant tout notre séjour. Il y avait beaucoup de monde dans les transports, et une rame de métro a manqué la station et s’est arrêtée après le quai. Nous étions étonnées qu’il y ait des problèmes de ce genre en France !
Elles ont apprécié l’art de vivre, en accord avec les clichés des Indiens sur la France. Comme Vivek, elles ont remarqué que les Français avaient du temps libre, et savaient apprécier les moments de détente.
Les gens en terrasse étaient détendus, prenaient leur temps, même un lundi ou un mardi matin, ils mangeaient du fromage et buvaient du vin en terrasse, alors que nous, en tant que touristes, on devait se dépêcher pour arriver à l’heure à la prochaine visite !
Les terrasses comme on les connaît en France sont inexistantes en Inde.
S’asseoir en terrasse sans pollution, sans bruits de klaxons, sans foule, c’était très agréable... On comprend pourquoi les Parisiens aiment ça. Et ils s’assoient en terrasse même quand il faut payer un supplément pour être en terrasse ! C’est totalement l’opposé en Inde, on paye un supplément pour s’asseoir en salle !
Végétariennes strictes, elles ont souvent rencontré des difficultés dans les restaurants. Quand enfin elles trouvaient un plat qui convenait, une autre surprise les attendait lors de la commande.
Nous voulions commander un plat pour deux, comme ça se fait souvent en Inde, mais le serveur restait là et regardait ma sœur comme s’il s’attendait à ce qu’elle dise quelque chose ! Et quand ils amenaient le plat, ils n’amenaient pas de deuxième assiette pour elle, alors qu’en Inde, c'est systématique quand on commande un plat pour deux !
Elles ont vite compris que commander un plat pour deux n’était pas acceptable, mais elles ont trouvé les portions gigantesques.
La plupart des Françaises sont minces, et là, on les voyait au restaurant, en train de manger des grosses assiettes de pâtes ou des frites... Et elles terminaient par un dessert !
Comme Vivek, elles ont trouvé que les Français savaient s’habiller, mais que tout le monde se ressemblait.
Au début, nous étions admiratives du style des Parisiennes. Mais au bout de deux jours, on trouvait ça déprimant. La chemise blanche, l’imper beige, le pantalon noir... En Inde, on dirait toujours qu’on s’habille pour un mariage, et on abuse parfois des couleurs, c’est vrai, mais là, on se serait cru à un enterrement !
Dans la rue, Priti et Swati ont observé des scènes impensables en Inde à l’heure actuelle.
C’était la première fois que nous voyions deux hommes s’embrasser en public, et ils le faisaient ouvertement, sans se cacher. Les couples hétéros aussi s’embrassaient librement et longuement ! Personne ne fait ça en public en Inde !
Même lors de leur court séjour, les deux sœurs ont remarqué des différences entre la France et l’Inde importantes au niveau sociétal, surtout dans l’organisation de la famille.
Nous avons vu beaucoup de familles avec deux ou trois enfants. À Bombay, on voit rarement des jeunes couples qui ont plus d’un enfant, et surtout pas trois. Il y avait aussi beaucoup de pères qui faisaient des activités seuls avec leurs enfants. Une autre chose qui est rare en Inde !
Même si tout n’était pas rose à Paris, Priti n’a qu’une envie, y retourner dès que possible, mais peut-être pas en octobre cette fois, car elles ont eu très froid !