La population urbaine indienne augmente rapidement mais les infrastructures urbaines ne suivent pas. Dans un rapport récent intitulé “Financing India’s urban infrastructure needs: Constraints to commercial financing and prospects for policy action”, la Banque Mondiale souligne le besoin urgent de mobiliser davantage d'investissements privés et commerciaux pour combler les déficits financiers émergents en matière d’urbanisme.
La Banque mondiale estime que l'Inde devra investir 840 milliards de dollars au cours des 15 prochaines années - soit une moyenne de 55 milliards de dollars par an - dans les infrastructures des villes si elle veut répondre efficacement aux besoins de sa population urbaine en forte croissance.
40 % des Indiens vivront en ville dans 15 ans
D'ici 2036, 600 millions de personnes vivront dans les villes indiennes, soit 40 % de la population du pays. Et selon un autre rapport de la Banque Mondiale, en 2014, 24 % de la population urbaine indienne vivait dans un bidonville.
Cette augmentation de la population urbaine va exercer une pression supplémentaire sur les infrastructures et services urbains déjà très sollicités des villes indiennes, avec une demande accrue en eau potable, en alimentation électrique fiable, en transports routiers efficaces et sûrs…
Actuellement, le financement des infrastructures urbaines est en très grande majorité assuré par le gouvernement national et les gouvernements des États (plus de 75 %), 15 % par les organismes locaux urbains (ULB) grâce à leurs propres recettes excédentaires et seulement 5 % par des sources privées.
"Les villes indiennes ont besoin de trouver des sources importantes de financement pour promouvoir une urbanisation verte, intelligente, inclusive et durable. Il sera donc essentiel de créer un environnement propice pour que les organismes locaux urbains puissent emprunter davantage auprès de sources privées, afin que les villes soient en mesure d'améliorer durablement le niveau de vie de leur population croissante ", a déclaré Auguste Tano Kouamé, directeur pays de la Banque mondiale en Inde.
Or, les projets de partenariat public-privé (PPP) pour l'infrastructure urbaine en Inde ont enregistré une baisse marquée au cours de la dernière décennie, tant en valeur monétaire qu'en volume de transactions, souligne le rapport de la banque mondiale.
Le rapport de la Banque Mondiale note aussi la "lenteur de mise en œuvre" par les États et les organismes locaux urbains (ULB) de plusieurs programmes urbains clés du gouvernement national, telles que le programme des villes intelligentes (Smart Cities) et le programme de construction de logements abordables dans les zones rurales et urbaines, le Pradhan Mantri Awas Yojana (PMAY).
Le programme indien de villes intelligentes, Smart cities mission
L'objectif du programme "Smart Cities" lancé en juin 2015 est de stimuler la croissance économique et d'améliorer la qualité de vie de la population en favorisant le développement des zones locales et en exploitant la technologie, en particulier celle qui permet de créer des villes intelligentes.
Selon le ministère du Logement et des Affaires urbaines (MoHUA), les principales caractéristiques des villes intelligentes sont l'habitabilité, la capacité économique et la durabilité et intègrent :
- l’accès à l'eau potable,
- des rues et des espaces publics sûrs,
- des transports publics efficaces,
- des installations pour la santé et l'éducation et
- des lieux de loisirs.
Les villes intelligentes doivent aussi élargir les perspectives économiques pour tous et lutter contre les contraintes environnementales :
- hausse des températures,
- inondations, sécheresse et phénomènes météorologiques extrêmes
- mauvaise qualité de l'air et
- perte de biodiversité urbaine.
100 villes intelligentes sélectionnées en fonction des plans proposés par les Etats
Le gouvernement national a sélectionné 100 villes à moderniser avec des investissements importants par le biais d'un "défi" auquel les gouvernements des États et les organismes locaux ont répondu par des plans couvrant des projets clés pour une zone spécifique ainsi que des plans à l'échelle de la ville. Tous les Etats sont le Bengale occidental ont présenté au moins un projet pour le défi, mais, dans le Maharashtra, la mégalopole de Mumbai s’est rapidement retirée de la compétition.
Des plans de modernisation des villes indiennes critiqués
Dans la pratique, les plans de villes intelligentes ont été critiqués comme étant éloignés des institutions démocratiques élues et d'un large débat public, ce qui se reflète dans la finalisation des projets qui implique principalement les gouvernements des États, la bureaucratie et des experts indépendants. Et ce, en dépit des processus mis en place pour recueillir le sentiment du public à l'aide d'outils et de plateformes en ligne.
De plus, de nombreux plans restent incomplets en raison de la pandémie de COVID-19. Les villes ont désormais jusqu'à juin 2023 pour terminer leurs plans.
L'État le plus urbanisé de l'Inde, le Tamil Nadu, a proposé 11 Smart Cities avec 618 projets. Son expérience a montré les difficultés à atteindre les objectifs du programme. Le projet visant à améliorer la zone commerciale de Chennai Pondy Bazaar a fait l'objet de critiques en novembre 2021, les inondations dans plusieurs localités adjacentes ayant été attribuées à une mauvaise planification du drainage dans le projet.
Le programme de construction de logements abordables, Pradhan Mantri Awas Yojana (PMAY)
L’habitat est au cœur de l’objectif 11 des 17 objectifs de développement durable adoptés lors du Sommet mondial sur le développement durable. Il a pour but d’assurer, d’ici à 2030, l’accès de tous à un logement et à des services de base adéquats à un coût abordable. Il vise également à améliorer les systèmes de transport et la sécurité routière.
Le Pradhan Mantri Awas Yojana (PMAY) est le programme clé du gouvernement de Narendra Modi, pour la construction de logements abordables dans les zones rurales (Pradhan Mantri Awas Yojana-Gramin PMAY-G) et dans les zones urbaines (Pradhan Mantri Awas Yojana-Urban PMAY-U).
Le programme urbain, lancé en juin 2015, n’a atteint en 2021 que 50 % de son objectif. Le programme rural, commencé en 2016, est un peu plus achevé (67,72 % de l’objectif). Le secrétaire au logement et aux affaires urbaines a imputé à la pandémie le ralentissement du programme urbain.
La Banque Mondiale recommande d'accroître les capacités des agences municipales à réaliser des projets d'infrastructure à grande échelle et remarque que l'environnement peu réglementé et la faiblesse des recettes municipales compliquent le défi que doivent relever les villes indiennes pour accéder à davantage de financements privés. Entre 2011 et 2018, l'impôt foncier urbain s'est établi à 0,15 % du PIB, contre une moyenne de 0,3 à 0,6 % du PIB pour les pays à revenu faible ou intermédiaire. De plus, les redevances pour les services municipaux sont particulièrement faibles et peu attractives pour des investisseurs privés.