Malgré des relations étroites et amicales, la gestion de l'eau reste une question litigieuse entre l'Inde et le Bangladesh. 54 rivières et fleuves traversent la frontière Inde - Bangladesh et plus particulièrement le fleuve Teesta, dont le partage des eaux est bloqué depuis plusieurs années. Le Bangladesh compte au total 230 rivières.
La Première ministre du Bangladesh, Sheikh Hasina, lors d'une visite de quatre jours en Inde, s'est adressée à un groupe restreint de journalistes pendant une réception organisée par le Haut Commissariat du Bangladesh lundi 5 septembre 2022.
Si vous aviez laissé couler l'eau, tous les Hilsa (poissons) auraient nagé vers l'Inde et vous n'auriez pas dépendu de nous", a-t-elle déclaré sur le ton de la plaisanterie, laissant entendre que les discussions sur l'accord concernant le fleuve Teesta sont toujours dans l'impasse.
“Toutefois”, a-t-elle ajouté, “le Bangladesh envisage désormais le dragage à grande échelle des 54 rivières communes aux deux pays". L'accent est désormais mis sur les deux principaux fleuves transfrontaliers - le Muhuri et le Feni-Kushiyara - qui prennent tous deux leur source à Tripura en Inde et traversent le Bangladesh.
En septembre 2022, l'Inde et le Bangladesh signent 7 accords, dont 1 sur le fleuve Kushiyara
Lors de la visite de la première ministre du Bangladesh en Inde, les deux pays ont signé 7 accords portant sur les chemins de fer, la science et la technologie, la coopération spatiale, les médias et le partage de l'eau.
L’accord sur le retrait de l'eau du fleuve frontalier commun, Kushiyara, est un pas important dans le partage des eaux fluviales. Il permettra l’alimentation en eau de certaines parties du bas Assam en Inde ainsi que de Sylhet au Bangladesh. En 2022, le Bas Assam en Inde et Sylhet au Bangladesh ont connu des inondations meurtrières, soulignant la nécessité d'une plus grande coopération en matière de contrôle des inondations et d'irrigation entre les deux pays. L’accord précédent sur les fleuves transfrontaliers date de 1996 et concerne les eaux du Gange.
Le fleuve Kushiyara est un affluent du fleuve Barak, ce dernier prend sa source dans l'Etat du Manipur en Inde et traverse les Etats du Nagaland, du Mizoram et de l’Assam en Inde avant de se ramifier en deux cours d’eau, le Kushiyara et le Surma. Le Kushiyara marque une partie de la frontière entre l’Inde et le Bangladesh.
Au cours du siècle dernier, le débit du fleuve Barak s'est modifié de telle sorte que la majeure partie des eaux du fleuve se déverse maintenant dans le Kushiyara tandis que le reste va dans le Surma. Selon le Dr Ainun Nishat, expert en eau, l'accord vise à résoudre une partie du problème que la nature changeante du fleuve a posé au Bangladesh, car il provoque des inondations pendant la mousson et s'assèche en hiver lorsque la demande en eau augmente en raison du cycle des cultures à Sylhet. Le Bangladesh se plaignait que la culture du riz Boro dans la région avait souffert du fait que l'Inde ne lui permettait pas de prélever l'eau nécessaire dans le Kushiyara. L'accord répond aux préoccupations du Bangladesh concernant l'approvisionnement en eau le long du fleuve, pendant les mois d'hiver, mais la maîtrise des inondations dans le bassin de la Kushiyara devrait nécessiter beaucoup plus de travail.
L'accord de partage de l'eau de Kushiyara finalisé lors de la Commission mixte de la rivière du 25 août et signé lors de la visite du Premier ministre du Bangladesh a été rendu possible par le fait que l'Inde a retiré son objection au retrait des eaux du Kushiyara par le Bangladesh via le canal de Rahimpur. Auparavant, l'Inde s'y était opposée en affirmant que la digue et les autres infrastructures interféraient avec la sécurité de la frontière, car le fleuve Kushiyara fait partie de la frontière entre les deux parties. Les plaines fertiles de Sylhet, arrosées par la Meghna et ses affluents, y compris le Kushiyara, sont connues pour produire des légumes qui ont un grand potentiel commercial pour les États limitrophes immédiats de l'Inde ainsi que pour le Bangladesh et l'étranger.
L'Inde a aussi annoncé la prolongation de la période de partage des informations relatives aux inondations en temps réel, ce qui aidera le Bangladesh à mieux se préparer et à prévenir les inondations annuelles.
Le fleuve Teesta, un sujet de tensions entre l’Inde et le Bangladesh
La question la plus litigieuse reste le différend sur l'eau du fleuve Teesta. En août 2022, la Commission mixte des fleuves (JRC) de l'Inde et du Bangladesh s'est réunie à Delhi, où la question du fleuve Teesta a été abordée. Lors de cette réunion, il a également été question du renouvellement du traité sur l'eau du Gange, signé en 1996, et qui expire en 2026.
Le fleuve Teesta, quatrième plus grand fleuve transfrontalier entre les deux pays, est un affluent du Brahmapoutre. Il traverse les États indiens du Sikkim et du Bengale occidental puis entre au Bangladesh. Sur les 414 km de longueur du fleuve, 150 km se trouvent au Sikkim dans une zone montagneuse, 123 km dans une zone de plaine au Bengale occidental et 140 km aussi en plaine au Bangladesh. Près de 83 % du bassin versant de la rivière se trouve en Inde, tandis que 17 % se trouve au Bangladesh.
Pourquoi le fleuve Teesta est important pour l’Inde et le Bangladesh ?
En Inde, au Sikkim, le fleuve Teesta permet la production d’énergie hydroélectrique avec la présence de nombreux barrages et au Bengale occidental, il est le moyen de subsistance de 12,77 % de la population totale de l’État qui habite dans les districts septentrionaux dont le Darjeeling. Une partie des eaux du fleuve Teesta sont aussi déviées vers le port de Calcutta pour éviter qu’il ne s’ensable durant la saison sèche.
Au Bangladesh, le fleuve irrigue environ 14 % de la surface cultivée totale et environ 7,3 % de la population du pays dépend directement du fleuve pour sa subsistance.
Le différend a pris de l'importance après la finalisation du traité sur les eaux du Gange en 1996
Des négociations sont en cours depuis 1983. Les deux pays ont presque conclu un traité de partage de l'eau de ce fleuve en 2011, en vertu duquel l'Inde devait obtenir 42,5 % et le Bangladesh environ 37,5 % de l'eau pendant la saison sèche. Mais, le traité proposé a fait l'objet d'un veto de la part de la ministre en chef du Bengale occidental, Mamata Banerjee, car l'approvisionnement en eau reste un sujet relevant du gouvernement des États en Inde.
Au cœur du litige se trouve la diminution du flux du fleuve pendant la saison sèche en raison du recul des glaciers du Teesta, conséquence du changement climatique. Selon le Strategic Foresight Group, le débit annuel moyen du fleuve est d'environ 60 milliards de mètres cubes, dont environ 50 milliards de mètres cubes pendant la mousson (mai/juin-septembre), tandis qu'il se maintient à une moyenne de seulement 500 millions de mètres cubes par mois pendant la saison creuse (octobre-avril-mai).
Lorsque le Premier ministre Modi est arrivé au pouvoir en mai 2014, il avait promis, dans le cadre de sa politique de "voisinage d'abord", que la question du fleuve Teesta serait réglée.
En Inde, le débit du fleuve Teesta ne concerne que la plaine du nord du Bengale occidental, mais au Bangladesh, c’est un sujet éminemment politique qui est souvent abordé pendant les élections générales dans le pays. En 2018, par exemple, la Ligue Awami, un des deux principaux partis politiques du pays, a insisté sur la coopération avec l'Inde pour le partage des eaux du Teesta dans son manifeste électoral.
Le litige sur le fleuve Teesta n'est donc pas simplement un différend sur les eaux transfrontalières, mais un élément important de la politique intérieure du Bangladesh et du développement géopolitique de la région.
La réduction du débit de la Kushiyara en hiver et de la Teesta soulève toutefois d'importantes questions quant à l'impact du changement climatique sur les rivières d'Asie du Sud, qui peut affecter les communautés et déclencher des migrations. Le Bangladesh s'inquiète du faible débit de ses rivières pendant les mois d'hiver, car il affecte son secteur agricole.