

Véronique Glorieux a quitté son Québec natal en 2007 pour venir vivre à Berlin avec son amoureux. Durée de l'expatriation prévue : un an et demi. Près de 6 ans plus tard, ils y sont toujours, ont fait venir le chat montréalais en avion, s'y sont mariés et ont fabriqué une authentique petite Berlinerin. Ils n'ont pas bougé de leur appart, rue NeueSchönhauser. Une histoire d'amour avec la ville, mais aussi avec un quartier riche d'histoire et de culture.
(Auguststrasse)
Il y aura bientôt 6 ans que je me suis installée à Berlin, sur la NeueSchönhauser Strasse, dans le Scheunenviertel, un Kiez délimité par l'Oranienburger Straße et le Hackescher Markt au sud, la TorStraße au nord et plus ou moins la Rosenthaler Straße à l'est. Un Kiez, c'est quelques rues qui forment une petite collectivité dans un quartier plus important ? Mitte en l'occurence. Des rues liées par l'histoire, par une communauté linguistique, culturelle ou ethnique ou encore, par un style de vie particulier.
Un quartier juif populaire à suivre à la trace
Le Scheunenviertel, le quartier des granges, en français, c'est un peu un mélange de tout cela. Lorsqu'on se promène dans ses quelques rues aux angles biscornus, qui désorientent immanquablement les touristes, l'histoire du lieu, aussi riche que variée, se laisse découvrir par une multitude de détails ? ceux-ci parfois très discrets ? qui rappellent toutes les époques et les gens qui y vécurent, du 15e siècle à aujourd'hui. Le quartier doit son nom aux 27 granges qu'on y construisit en 1672, pour y entreposer les récoltes en-dehors des murs de la ville d'alors - l'actuel Nikolaiviertel. Un siècle plus tard et jusqu'à la deuxième guerre mondiale, il devient le principal quartier juif de Berlin, le roi Friedrich Wilhelm I ayant obligé tous les juifs non-propriétaires à s'y installer. Se greffe à cette communauté beaucoup d'immigrants de l'est. Le quartier se développe, fortement imprégné de cette culture populaire, bien différente de celle des juifs aisés d'autres quartiers. Aujourd'hui, on découvre encore écrits en grosse lettres sur certaines façades, les noms des commerces d'époque, de certains Vereine, - associations populaires - comme celle des travailleurs manuels ? et communistes ? de la SophienStraße 18, ou encore l'annonce de la soupe populaire distribuée au tournant du siècle, au 13 rue NeueSchönhauser.
Durant la deuxième guerre, le nazisme a plongé la communauté dans un cauchemar sans nom, et c'est en regardant les trottoirs du quartier que les passants peuvent avoir une pensée pour les victimes de cette époque noire : des dizaines de petites plaques de laitons, les Stolpersteine, portant le nom des juifs déportés et assassinés dans les camps, sont incrustées dans le trottoir, face aux portes des maisons où ils habitaient. Par contre, c'est la Neue Synagogue, la nouvelle Synagogue, sur Oranienburger Straße, magnifique avec son dôme doré et sa façade de style mauresque, qui reste le monument le plus emblématique de l'époque du Kiez juif.
La contre-culture anarchiste, ses hauts? puis ses bas
C'est plutôt après la chute du Mur, que le Scheunenviertel ? ancien quartier est-berlinois ? a acquis sa réputation de lieu contre-culturel anarchiste. Après la réunification, beaucoup d'artistes sont venus vivre et se réinventer dans les appartements à prix modiques ? ou même abandonnés ? du coin, ce qui a donné naissance à une culture artistique un peu tout azimut, où tout était à expérimenter avec les maigres moyens du bord. Les restos et les terrasses, les bars clandestins, les petits commerces indépendants ont poussé comme des champignons et le quartier était peuplé d'une faune bigarrée et excentrique. C'est cette atmosphère qui m'a tant plue et m'a donné envie de m'installer à Berlin, lorsque, en 2006, je me suis baladée pour la première fois dans la zone. Mais il faut bien le dire, depuis lors, le quartier a beaucoup changé, probablement victime de son atmosphère si unique. Le prix des loyers y est maintenant l'un des plus élevés de Berlin et les jeunes anarchistes ont laissé la place aux touristes et aux fashionistas, toujours plus nombreux à envahir la NeueSchönhauser Strasse, dont les détaillants ont mis la clé dans la porte au profit des grandes chaines de marques internationales.
Les dernières enclaves underground
Les établissements qui représentaient le plus la culture rebelle du Kiez disparaissent peu à peu et après le célèbre squat d'artistes Tacheles, c'est la grande galerie de photographie C/O Berlin située dans le superbe ancien bureau central de la poste, qui ferme ses portes dans quelques semaines. L'esprit des années 90' persiste malgré tout dans certains lieux. Il faut par exemple entrer dans la ruelle à côté du Rosenthaler Straße 38 et y découvrir ses graffitis, ses maisons aux façades non-rénovées, le Central Kino et ses films indépendants, ainsi qu'un bar complètement trash, l'Eschchloraque. En prime, l'été, le Freiluft Kino au plus profond de la ruelle, présente une superbe sélection de vieux classiques et de cinéma d'auteur international.
(Tacheles ou ex Tacheles, Orianenburgerstrasse)
Un quartier résolument axé sur l'art et la culture
Et même si elle a changé, l'âme artistique du quartier reste encore bien présente et se traduit aujourd'hui par des dizaines de galeries d'art dans les SophienStraße, AugusteStraße, LinienStraße, GipsStraße? Elles ont pignons sur rue ou bien se trouvent cachées dans les Höfes, les cours intérieures et proposent de tout, pour tous les goûts, les expositions se renouvelant aussi assez régulièrement pour qu'on y trouve toujours quelque chose de nouveau à se mettre sous la dent. Plusieurs petits designers de mode locaux réussissent aussi à conserver un négoce rentable, malgré les loyers élevés et à entretenir la réputation d'authenticité et d'originalité du Scheunenviertel. On les retrouve entre autres, en se baladant dans les très belles Hackesche Höfe, un ensemble de 8 arrières-cours communiquantes entre la Rosenthaler et la SophienStraße. Plusieurs autres perles sont disséminées dans le Kiez et se laissent découvrir, au hasard des balades. Il ne faut surtout pas manquer de passer une soirée au Clärchens Ballhaus, un restaurant et salle de bal qui a gardé le même esprit et le look du temps de son ouverture, il y a 100 ans cette année. La petite librairie francophone Zadig, sur LinienStraße, est un autre arrêt obligatoire pour qui veut bouquiner dans la la langue de Molière et échanger au sujet des derniers incontournables de la rentrée littéraire avec son très au courant et cultivé libraire.
Y revenir, encore et encore?
Bref, il ne faut surtout pas croire que le Scheunenviertel est devenu un attrape-touriste qui a perdu son âme, au contraire. On y retrouve une diversité historique et culturelle qui représente bien le Berlin qu'on aime et il faut revenir souvent flâner dans les rues du Kiez pour le découvrir, peu à peu, ainsi que tous les trésors qui s'y cachent. Moi en 6 ans, je suis encore loin d'avoir tout vu?
Texte et photos : Véronique Glorieux (www.lepetitjournal.com/Berlin) vendredi 22 février 2013




















































