Venus par centaines dans l'eldorado allemand, les artistes installés à Berlin luttent plus souvent qu'ils ne s'épanouissent. En cause bien sûr, le manque de financement : les studios se louent de plus en plus chers et souvent à durée limitée. Mais dans la capitale allemande, d'autres modèles économiques existent à l'instar de celui de la Greenhouse.
"On va travailler avec des artistes, mais notre ambition est aussi de faire de l'argent", lance Noam Braslavsky, chargé du ?management et développement? de la Greenhouse, située entre Neukölln et Britz. Les artistes n'étant pas connus pour être souvent solvables, l'immobilier leur est un marché réticent. Avec ambition, voire une pointe d'orgueil, Noam Braslavsky a voulu proposer des ateliers d'artiste sur du long terme, avec des loyers modérés.
La Greenhouse est un bâtiment à l'architecture atypique d'une taille assez impressionnante, géré artistiquement et financièrement depuis son lancement en 2013 par l'artiste et curateur israélien Noam Braslavsky. Le lieu multi-artistique se compose de 8 étages, loués « à part égale » entre des bureaux d'entreprises et des studios d'artistes. Ce partage est le premier élément de son modèle économique, qui s'appuie donc une stabilité du revenu des bureaux.
Seuls quelques étages connaissent un traitement différent : au premier, on trouve les locaux d'un collectif d'artistes, qui y tiennent une cantine et quelques concerts. Les 7ème et 8ème étages ont aussi été délibérément laissés en friche pour des répétitions, des expositions ou des spectacles.
Reliquats d'une installation au 7ème étage
Une gestion d'une main de fer qui porte ses fruits
Noam Braslavsky avoue gérer l'endroit "comme un petit kibboutz". Au sein de la maison, on peut rencontrer aussi bien des poètes, des peintres, des sculpteurs, des danseurs, des plasticiens mais aussi "beaucoup trop de musiciens", précise le gérant avec un sourire en coin.
"Greenhouse veut dire ?serre? : le but n'est pas de réunir au même endroit les meilleurs artistes, même si certains sont excellents, mais de mettre des artistes dans de bonnes conditions pour qu'ils se développent? explique-t-il. ?Depuis quelques mois, le fait est qu'il n'y a plus que des professionnels, mais les artistes débutants et amateurs sont bienvenus".
Sa gestion sans concession fait de la maison verte une entreprise singulière, basée sur une société privée mais construite comme un espace contrasté, laissé à la disposition de locataires parfois fantasques. L'identité de la Greenhouse doit beaucoup à Noam Braslavsky, qui assume la diriger ?comme un dictateur?.
Roi Weinstein fait partie des premiers artistes à être arrivée entre les murs de la résidence artistique. "La Greenhouse est devenue ce qu'elle est grâce à Noam, pour le meilleur et pour le pire, confie-t-elle, on bénéficie de sa générosité, mais on accepte tout ce qui va avec, ce n'est ni démocratique ni communautaire".
La plasticienne définit l'endroit comme étant à la fois "un studio et une communauté d'artistes, au sein duquel on peut avoir de l'intimité aussi bien que se créer de nombreuses connections". Elle occupe un espace lumineux d'environ 25 mètres carrés décoré d'un lino blanc, de miroirs et de rideaux, où trônent quelques sculptures de plâtre. L'autre moitié de la pièce se structure autour d'un lit en mezzanine surmontant un bureau et d'un nécessaire de cuisine.
Stefan Röslmair et Roi Weinstein, sculptures de Avital Yomdin
Le studio voisin est occupé par Stefan Röslmair, sound designer d'origine allemande. Il vient profiter de la bouilloire de Roi et explique en passant que la Greenhouse "permet de s'éloigner d'une réalité très tendue pour les artistes, notamment financièrement". Et d'ajouter : "La proximité entre les artistes offre beaucoup d'opportunités, d'autant que l'on vient tous de pays différents ; la Grèce, l'Italie, les États-Unis, Israël, l'Iran, l'Ukraine, l'Espagne ou l'Allemagne sont représentés rien qu'à notre étage".
Une émulation qui favorise la création
Le bâtiment s'anime d'événements quasi-quotidiens : expositions, spectacles, lectures ou toute autre forme d'expression. Tout y est en accès-libre et ouvert à tous. La Greenhouse se veut être un tremplin, qui regroupe ainsi près d'une centaine d'artistes, naturellement attirés par les avantages du lieu. Elle est un incubateur rare qui donne sa chance à des artistes de qualité.
À la Greenhouse, la vie est donc agitée, sans répit, épuisante pour certains, la musique cesse rarement, c'est le revers de la médaille. La plupart des artistes y font leurs premières armes et y construisent un carnet d'adresse, avant d'aller chercher un studio plus serein.
D'autant que son succès fait aussi logiquement augmenter ses prix. Le tout étant de savoir si les idées qui ont rendu la Greenhouse si particulière pourront se pérenniser ou devront céder aux simples lois du marché.
C.L.K. (www.lepetitjournal.com/berlin) vendredi 29 mai 2015
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