L'annonce inattendue d'élections régionales en Catalogne le 12 mai prochain, juste après les élections au Pays Basque et avant les Européennes, bouleversent le fragile échiquier politique. Décryptage.
L'année 2024 s'annonce décidément forte en émotions du point de vue politique en Espagne. Après les élections en Galice, les prochains rendez-vous électoraux (basque en avril, catalan en mai, européen en juin) vont déstabiliser les relations déjà précaires entre les partenaires de la coalition gouvernementale. En résumé, trois élections en l'espace de deux mois, un cycle électoral épuisant qui complique considérablement la législature de Pedro Sánchez, alors qu'elle semblait pouvoir commencer à se remettre sur les rails, avec le vote de l'amnistie.
2024: Encore une grande année électorale en Espagne
Rappelons qu'après les piètres résultats du PSOE lors des élections régionales et municipales du 28 mai 2023, Pedro Sanchez convoquait par surprise des élections générales le 23 juillet (23-J). C'était pour lui le meilleur moyen de contrecarrer les critiques croissantes au sein de son parti. Le résultat du 23-J ne fut pas non plus brillant, puisque le PSOE arrivait en 2e position derrière le PP qui avait obtenu le plus de voix. Toutefois, Pedro Sanchez, qui semble suivre à la lettre les recommandations de son premier livre "Manual de resistencia" (Manuel de résistance), a su agglutiner autour de lui les députés de Sumar et les indépendantistes du PNV, Bildu, ERC et surtout les 7 de Junts, indispensables pour obtenir son investiture, en échange d'une amnistie et d'autres concessions multiples.
Que signifie pour l'Espagne l'amnistie demandée par les indépendantistes catalans?
Mais pour gouverner, Pedro Sanchez a besoin de tout le monde, chaque vote étant nécessaire pour obtenir la majorité. Or, avec les partenaires basques, PNV et Bildu, qui se battent pour la victoire aux élections du 21 avril, il y avait déjà un premier dilemme pour le PSOE: Si le parti socialiste basque s'allie avec Bildu, le PNV pourrait se venger et ne plus voter avec le PSOE au Congrès des députés, et pareil pour Bildu, si le PSE (Partido Socialista Euskadi) s'allie avec PNV; S'ajoutent désormais un nouveau problème avec les frères ennemis catalans, ERC et Junts, qui mènent la même bataille devant les urnes le 12 mai. On vient de le voir avec le PSC qui a voté pour le budget d'ERC alors que Junts a voté contre.
La guerre est déclarée entre ERC et Junts
Et pourquoi avancer à ce point les élections en Catalogne? Pere Aragones veut s'assurer que Carles Puigdemont ne pourra pas encore se présenter en héros aux élections régionales qui étaient prévues au plus tard en février 2025. Mais c'était sans compter sur le fugitif de Waterloo qui a immédiatement annoncé qu'il ferait en sorte d’être tête de liste le 12 mai malgré sa situation judiciaire. L'ancien président de la Generalitat a ainsi déclaré qu'"avec le calendrier en main, il est clair que je pourrai être présent au débat d'investiture. J'en serais très heureux".
Seule ombre au tableau, et pas des moindres, pour Puigdemont: L'amnistie ne sera pas encore officiellement en vigueur pour des raisons de procédures légales. Se risquera-t-il alors à rentrer en Catalogne sans avoir la certitude de ne pas être immédiatement arrêté? Puigdemont a fait valoir que la loi d'amnistie obligeait à lever les mandats d'arrêt nationaux et européens. Il devra vite se décider : risquer de se présenter aux élections en Catalogne ou se présenter une fois de plus aux Européennes.
Autre incertitude pour Pedro Sanchez: Où en est le leadership de Yolanda Diaz, dirigeante de la coalition Sumar, dont une partie, Podemos, s'est déjà séparée. Les Comuns, la marque catalane de Sumar, n'ont pas voté avec le PSC. La dirigeante de Sumar n'a donc pas pu -ou voulu?- convaincre le parti d'Ada Colau qui a joué en solo. Les Comuns ont déclaré qu'ils ne pouvaient pas "soutenir un méga-casino en Catalogne alors que le gouvernement central mène des politiques anti-jeu". Il semblerait que ce soit une excuse puisque Colau avait essayé en vain de forcer le PSC de lui donner un siège au gouvernement de la ville de Barcelone, ce que son maire, le socialiste Jaume Collboni, a refusé. Les relations entre les Comuns et PSC ne sont donc pas au beau fixe. Devant les critiques à son égard, la dirigeante de Sumar et deuxième vice-présidente de l'exécutif, Yolanda Díaz, a assuré que "ce sont les Comuns qui décident" et que "ce n'est pas à moi" d'inciter les Comuns à soutenir les budgets catalans." Quoiqu'il en soit, la décision d'Ada Colau met Yolanda Diaz et le gouvernement central dans une situation délicate.
Face à une telle instabilité, Sánchez a immédiatement annoncé que son gouvernement ne présenterait pas de budget pour 2024. Pourrait-il finalement dissoudre le Congrès et convoquer des élections anticipées avant l'été? C'est probable, d'autant qu'à cette ingouvernabilité s'ajoutent deux facteurs importants: d'une part, la division interne du PSOE, stoppée net par Sanchez il y a dix mois avec l'annonce d'élections le 23 juillet, et de l'autre, une possible sortie de secours pour Pedro Sanchez avec un poste honorifique au sein de l'UE. En novembre, le président du Conseil européen sera élu et c'est le tour d'un socialiste…
Izquierda Española, nouveau parti de gauche en Espagne, alternative au PSOE
En outre, depuis l'éclatement de l'affaire présumée de corruption qui toucherait plusieurs ministres du gouvernement, la présidente du Congrès et même la femme du président, d'importants responsables du PSOE se réunissent pour voir ce qu'ils peuvent faire contre l'effondrement progressif du PSOE. Cela fait des mois que les critiques de personnalités socialistes – dont les historiques Nicolas Redondo, Felipe Gonzalez ou Alfonso Guerra- fusent au sujet de l'amnistie. Un nouveau parti, Izquierda española, s'est également constitué et sera présent aux prochaines élections européennes. Reste à voir si, encore une fois, Pedro Sanchez sortira vainqueur de cet imbroglio. Si c'est le cas, ses adversaires devraient potasser son livre de chevet "Manual de resistencia"…