La Thaïlande a autorisé au début du mois la réouverture des restaurants sous conditions. Chez les restaurateurs francophones des quatre coins du royaume, les avis sont contrastés. En tout cas peu d’entre eux entrevoient un retour à la normale avant la saison prochaine.
Depuis le 3 mai, les restaurants sont de nouveau autorisés à accueillir les clients pour manger sur place. Mais cela à condition qu’ils appliquent un certain nombre de mesures d’hygiène et de distanciation physique pour prévenir une hypothétique nouvelle vague de coronavirus. Sans oublier qu’il est interdit de consommer de l’alcool sur place et que le couvre-feu nocturne toujours en vigueur les oblige à fermer les cuisines vers 20h30, deux règles qui ne font pas forcément bon ménage avec l’idée d’un bon repas, en tout cas dans la restauration à l’européenne.
Après des semaines de fermeture, certains restaurateurs ont donc rouvert leurs établissements avec soulagement, tandis que d’autres préfèrent attendre encore un peu et se contentent de proposer des plats à emporter. En revanche, à Phuket et Pattaya, l’interdiction prévaut toujours.
“Nous n’avons pas encore le droit de rouvrir”, confirme Claude de Crissey, consul honoraire de Phuket et propriétaire du restaurant La Boucherie. “Je ne sais pas quand cela sera possible. Je pense qu’un restaurant est le pire endroit pour attraper le virus, les mesures ont été tellement strictes à Phuket que relâcher la vigilance maintenant, ce serait gâcher tous les efforts qui ont été faits”, ajoute-t-il.
À Pattaya, seuls les restaurants en plein air ont été autorisés à accueillir les consommateurs. Pour Eugène, le patron du restaurant La Notte et résident en Thaïlande depuis 40 ans, la situation est totalement inédite. “J’ai vu de violentes manifestations, le sida, le SRAS, mais je n’ai jamais vu quelque chose comme cela! Je ne vois pas l’avenir en rose. A Pattaya, nous avons toutes les restrictions possibles alors qu’il n’y a pas un seul cas depuis des semaines! Il faut être solide pour tenir alors que les frais d’électricité, de location, etc. courent toujours. J’attends le 17 mai pour savoir quels sont les autres secteurs d’activités qui pourront ouvrir et j’évaluerai à ce moment-là. Il n’y a personne à Pattaya, ouvrir maintenant c’est le faire à perte”, estime Eugène.
Entre couvre-feu et repas sans vin
Adresse bien connue de la capitale thaïlandaise, Le Bouchon est installé à Patpong depuis 24 ans et son patron Serge Martiniani n’a jamais connu une telle situation. “Cette crise est la plus difficile que j’ai connue", dit-il. "Même lors des manifestations des chemises rouges en 2010 où nous avions été obligés de fermer pendant 12 jours, cela n’est rien en comparaison”, confie le restaurateur lyonnais. De nouveau ouvert depuis le 5 mai, Le Bouchon a adapté ses horaires pour proposer un service continu en accueillant les clients de 11h30 à 21h (avec les dernières commandes à 20h) non-stop. “Les cinq premiers jours, j’ai eu 35 clients au total, ce serait sans doute plus rentable de rester fermé, ce sont surtout des habitués, des proches du Bouchon qui viennent par solidarité. L’interdiction de consommer de l’alcool est rédhibitoire. Je ne pense pas que le business reviendra à la normale avant octobre ou novembre et encore, je ne suis pas sûr, j’essaye d’être optimiste en disant cela!”, confie Serge.
Pour être autorisés à accueillir des clients, les restaurants ont dû se réorganiser en espaçant les tables d’au moins 1,5 mètre, en mettant du gel désinfectant à disposition des clients et des employés, et en équipant le personnel de masques voire même parfois de gants et de visières. Sans compter le nettoyage accru de la salle et des cuisines.
Après un redémarrage, le 3 mai, en demi-teinte, le restaurant Rendez-vous au Lys se dit content du week-end du 9 et 10 mai. “Nous avons bien travaillé, beaucoup d’habitués sont venus, nous sommes dans le quartier gaulois (Sathorn), une bonne localisation pour nous. Après, ce n’est pas la folie, mais ce n’est pas négatif non plus. Je crois qu’il faudra quand même attendre la fin du mois de mai pour que ça s’améliore, il y a encore une certaine psychose. Le pire, c’est le couvre-feu, nous perdons au moins deux heures de services”, explique le patron, Jean-Yves Canet.
Mesures d'hygiène accrues
Comme pour l’ensemble des restaurants, le Rendez-Vous au Lys a espacé les tables pour garder un écart de 1,5 mètre. Et en cela, il est bien content de disposer d’un grand jardin ! Les tables et les chaises sont désinfectées après chaque client.
Chez El Mercado, en plus des mesures concernant le personnel, il existe un protocole d’hygiène pour les clients. “Il n’y a plus qu’une seule entrée avec un contrôle de la température, nous invitons les clients à se laver les mains avant de les placer à table. Une fois assis, ils peuvent enlever leur masque, par contre dès qu’ils circulent pour aller à la découpe ou la boutique, ils doivent le remettre. Nous avons des masques à donner, car nous avons encore des personnes qui viennent sans masque, c’est hallucinant!”, raconte Axel Aroussi, cofondateur d'El Mercado. “Par contre, au niveau des règles, ce n’est pas très clair, nous n’avons pas reçu de directives précises et chaque district à Bangkok a un son de cloche différent. Dans certains restaurants vous n’avez pas le droit d’avoir plus d’une personne par table, chez nous c’est maximum 4 personnes. La police est déjà venue quatre fois pour vérifier que nous ne vendions pas d’alcool sur place et pour vérifier la distance entre les tables”.
Depuis la reprise le 3 mai, Axel se dit très satisfait : “Même sans alcool et en ouvrant de 10h à 20h, nous avons bien bossé ces dix derniers jours et dans une dizaine de jours, nous allons ajouter une partie bistrot à notre épicerie sur Sukhumvit Soi 35".
Pour Jean-Christophe Martin, directeur du bistrot Wine Depot, sur Sukhumvit 22, “un bar à vin, sans vin, ce n’est pas évident !”. Même s’il est soulagé que l’interdiction de vendre de l'alcool, prolongée dans un premier temps jusqu’au 31 mai, ait finalement été levée lui permettant de vendre le vin à emporter, les affaires sont dures pour la partie restaurant. “Pour le moment, nous sommes à 20% du chiffre d’affaires par rapport à d’habitude et la saison des pluies va bientôt commencer, ce qui ne va pas aider. Le couvre-feu nous oblige à fermer à 20h30, l’heure à laquelle beaucoup de nos clients arrivent en temps normal. Il va falloir être encore patient”, explique cet ancien cadre de la grande distribution.
Pour certains, mieux vaut rester fermé
À Bangkok et dans les provinces dépendantes des revenus du tourisme, l’absence des voyageurs étrangers, touristes comme voyageurs d’affaires, se fait bien évidemment ressentir, et beaucoup attendent avec impatience que la Thaïlande autorise à nouveau l'atterrissage des vols de passagers sur son territoire et assouplisse les conditions d’entrée pour les voyageurs.
À Chiang Mai, les premiers effets de la crise du Covid-19 se sont fait sentir dès le mois de février avec les restrictions de voyage imposées par la Chine sur ses propres ressortissants qui ont débouché sur le tarissement du flux habituel de visiteurs chinois dans la capitale du nord de la Thaïlande. “Le chiffre d’affaires avait déjà plongé au tout début du mois de février et nous avons fermé au début du mois de mars”, explique Frédéric Virgos, directeur du restaurant Link, situé dans le quartier historique de Chiang Mai. “Pour le moment, nous sommes toujours fermés, nous pensons rouvrir le mois prochain. Il n’y a pas de touristes, pas de vols internationaux, et nous travaillons uniquement avec la clientèle touristique. En faisant les calculs, nous perdons moins d’argent en fermant qu’en ouvrant” ajoute le restaurateur Mazamétain.
Un calcul qu’ont faits d’autres restaurateurs de Chiang Mai comme Franck Davinière, propriétaire du restaurant Triplets Eat & Play : “Nous n’avons pas rouvert, nous avons besoin de faire un chiffre d’affaires conséquent pour rentrer dans nos frais. Et à Chiang Mai, c’est très compliqué parce que les prix dans la restauration sont bas. Donc si on nous met des obstacles comme le couvre-feu, l’interdiction de consommer de l’alcool sur place et l’interdiction pour les enfants de jouer au playground, la seule solution qu’il nous reste est de dépenser le moins possible. D’un côté, nous avons de la chance, l’épidémie n’est pas forte ici, mais je ne suis vraiment pas sûr que l’économie pourra redémarrer comme après le tsunami ou la crise économique de 2008”.
Pour éviter de perdre trop d’argent et pour couvrir ne serait-ce que les dépenses fixes, le restaurant Le Bistrot à Chiang Mai, préfère continuer à livrer des repas. “En assurant des plats en livraison, cela nous permet de payer les factures. Le mois dernier, j’ai dû perdre ‘seulement’ 10 ou 15.000 bahts, nous sommes en mode survie et je ne vois pas le bout du tunnel avant début juillet”, explique Olivier Guilmain, le patron du Bistrot.
À Koh Samui, la situation est également compliquée. Sur Fisherman Village, dans le nord de l’île, seulement une dizaine de restaurants ont rouvert sur une soixantaine. “J’ai deux restaurants à Koh Samui : le Link, qui est toujours fermé, et La Cantina qui est de nouveau ouvert depuis le 3 mai. Pour le moment, nous faisons à La Cantina, 15% de notre chiffre d’affaires par rapport à d’habitude, j’espère monter à 30% quand la consommation d’alcool sur place sera de nouveau autorisée”, témoigne le directeur du Link et de La Cantina, Frédéric Georgelin.
La reprise des vols en direction et depuis l’île de Koh Samui prévue le 15 mai pourrait attirer prochainement des voyageurs depuis Bangkok. Mais pour Frédéric, cela pourrait aussi peut-être signifier une diminution de clients. “Je crois que beaucoup de personnes qui sont coincées ici vont en profiter pour quitter l’île. La Cantina me permet de faire travailler mon personnel, par contre pour le Link qui est plus haut de gamme, je ne pense pas que nous allons rouvrir avant l’été, voir décembre” explique-t-il.
Autre station balnéaire prisée, Hua Hin est une destination privilégiée pour les retraités qui ont fait le choix d’y vivre à l’année. C’est l’atout que continue d’exploiter Emmanuel Mimran, le patron du restaurant L’Occitan. “J’ai ouvert le 7 mai, et les quatre premiers soirs, nous étions complets! Les gens ont envie de sortir et de profiter d’un retour à une vie sociale. À Hua Hin, il y a des restaurateurs qui font zéro couvert, je suis un peu excentré et j’ai développé une clientèle d’habitués. Nous ne serons pas trop affectés par la crise, les gens ici vivent à l’année, ils aiment sortir, ils n’aiment pas trop cuisiner donc je pense que cela reviendra vite même si c’est compliqué de donner une date en raison des décisions du gouvernement dont on dépend”, déclare Emmanuel.