Littéralement fauché par les mesures anti-Covid-19 qui ont mis un coup d'arrêt au voyage d'agrément, le secteur du tourisme en Thaïlande va devoir retenir son souffle pendant plusieurs mois encore et se préparer d’ici là à des changements estiment des professionnels français basées dans le royaume
L’office du tourisme en Thaïlande (TAT) prévoit à peine 16 millions de touristes étrangers en Thaïlande pour l’année 2020, loin des prévisions du début d’année qui annonçait 40 millions de visiteurs. Les restrictions sur le voyage mises en place dans de nombreux pays pour limiter la propagation du nouveau coronavirus ont lourdement affecté l’industrie du tourisme et la fin du tunnel ne semble pas se profiler avant la fin de l’année.
Entre le mois de janvier et le mois de mars, le pays a accueilli 6.691.574 visiteurs, soit une diminution de 38% par rapport à la même période en 2019. Sur l’ensemble de l’année, la TAT espère encore cumuler 16 millions de touristes alors qu’en janvier 2020, elle tablait sur 40 millions de visiteurs étrangers. En termes de revenus, la Thaïlande s’attend à une perte de 740 milliards de bahts sur le tourisme international et une perte de 402 milliards de bahts sur le tourisme domestique.
Parmi les principaux piliers de l'économie du royaume, le secteur du tourisme a également mis près de 6 millions de Thaïlandais au chômage suite aux mesures prises par les autorités pour lutter contre l’épidémie du nouveau coronavirus et à la fermeture des frontières un peu partout dans le monde.
Le 11 mars, la Thaïlande imposait les premières restrictions sur les arrivées sans visa sur son territoire. Le 20 mars, le gouvernement renforçait encore les restrictions en demandant aux voyageurs étrangers se rendant en Thaïlande de présenter un certificat médical et une assurance maladie. Depuis le 3 avril, l'atterrissage des avions de passager en Thaïlande est tout bonnement interdit et ce jusqu’au 31 mai.
"Comme un tsunami"
“On ne voyait pas le tourisme en péril, c’est arrivé comme un tsunami, la situation est dramatique. Cela fait quasiment deux mois que nous n’avons plus de touristes et même pour la période de novembre ou décembre, nous n’avons pas de demandes de réservations”, déplore Philippe Plénacoste, directeur des ventes régionales chez Asiajet, créateur de voyages en Asie.
Le directeur de l’agence de voyage Thaïlande Autrement, Ben Lefetey, abonde dans le même sens : “Nous n’avons plus d’espoirs de voir des clients européens venir en juillet et août. Cette période représente habituellement un tiers de notre chiffre d’affaires! Si la situation devait changer et qu’il est possible de voyager à cette période, ce serait une bonne nouvelle, mais nous nous sommes préparés à ce que les touristes européens ne viennent pas”.
Fin mars, de nombreux hôtels fermaient également leurs portes, soit par manque de visiteurs soit sur ordre du gouvernement. “Si les gens ont peur, ils ne voyagent pas. Et là, nous sommes au summum du comportement apeuré, cela va prendre encore des mois et des mois avant de revenir à la normale”, estime Maxime Gaillard, directeur du Baan Thong Ching Resort à Khanom, dans la province de Nakhon Sri Thammarat.
Obligée de fermer fin mars, Agathe Verge, propriétaire du Dolphin Bay Resort à Pranburi dans la province de Prachuap Khiri Khan, espère rouvrir d’ici mi-mai ou fin mai. “La reprise va être calme! Heureusement, nous sommes à 3-4 heures de route de Bangkok, à la “campagne”, un petit hôtel avec de grands espaces et une plage déserte devant nous. Mais le chiffre d’affaires sera sans doute de moitié par rapport à 2019. Aujourd’hui, nous estimons qu’il va falloir au moins un an et demi ou deux ans pour revenir à des taux d’occupation pré Covid-19”, explique-t-elle.
Des prévisions pessimistes que confirme le gouverneur de la TAT, Yuthasak Supasorn : “Nous prévoyons une reprise progressive fin de l’année 2020, si effectivement la situation est sous contrôle. Les marchés asiatiques qui auront été moins impactés économiquement rebondiront en premier, ensuite viendront les marchés européens et américains au cours des deuxièmes et troisièmes trimestres de l’année 2021”.
Peu d'espoir d'aides publiques
Face aux pertes de revenus et à l’incertitude sur la reprise économique et touristique, les différents acteurs s’adaptent avec pour beaucoup l’obligation de se séparer d’une partie du personnel et une diminution des salaires.
Après avoir étudié plusieurs scénarios et avoir laissé tomber les espoirs d’une éventuelle reprise début mai avec l’allégement des mesures de confinement par les autorités thaïlandaises, l’agence Thaïlande Autrement n’a eu d’autre choix que de se séparer de deux tiers de son personnel. “Nous sommes passés de 15 employés à 5, avec réduction des salaires avec la perspective de recommencer en janvier 2021. Si nous avons déjà des clients en octobre, alors peut-être que je pourrais ré-engager mes employés plus tôt”, explique Ben Lefetey.
Même son de cloche chez Asiajet. “Nous avons diminué de 80% notre masse salariale. Nous sommes tous dans l’expectative, nous nous réorganisons pour travailler avec moins de personnes et plus d’efficacité. Nous sommes dans l’inconnu, l’industrie s’écroule sur elle-même, il faut être solide pour tenir. Les aides du gouvernement local, les prêts… ce sont sûrement des solutions, mais c’est compliqué pour les entreprises avec des capitaux étrangers”, ajoute Philippe Plénacoste.
Selon Yuthasak Supasorn, la TAT, dans sa stratégie des prochains mois pour relancer le tourisme, prévoit d’apporter une assistance et une coordination pour aider les entreprises affectées par le Covid-19 sans, pour le moment, entrer dans les détails.
De son côté, Ben Lefetey pointe également le manque d’aide : “Il n’y a pas d’aides de l’état sur le secteur du tourisme même si c’est le secteur le plus touché. Il y a bien sûr la sécurité sociale pour les salariés. Si la crise se prolonge jusqu’en octobre sans doute que nous devrons demander un prêt, mais ceux auxquels nous avons droit restent quand même à des taux élevés”. “Il faudrait des aides au niveau des impôts et de la TVA”, ajoute Maxime Gaillard.
Le tourisme de demain
Face à une situation exceptionnelle et catastrophique, les agences de voyages et les hôtels se préparent déjà pour le futur avec d’une part l’introduction de certaines mesures de sécurité et de l’autre des innovations ainsi qu’une plus grande part de flexibilité.
“Avant la réouverture de Dolphin Bay Resort, il y aura une désinfection complète puis par la suite journalière. Il y a aura des contrôles quotidiens de la température de notre équipe, des transports de confiance, un service de chambre à la carte c’est-à-dire une intervention des femmes de ménage contrôlée par le client, des zones de relaxations individualisée, l’obligation de réserver la salle de gym à l’avance pour la privatiser, etc.”, explique Agathe Verge.
L’hygiène est l’un des défis de la TAT qui prévoit de lancer une certification dans ce sens : “Amazing Thailand Safety and Health Administration: SHA”. “Cette certification permettra de relever les standards nationaux dans l’industrie du tourisme et de gagner la confiance des voyageurs étrangers et locaux. Cela permettra aux opérateurs d’être prêts pour le retour des touristes dans l’après Covid-19” commente le gouverneur de la TAT. En plus des mesures d’hygiène, la TAT prévoit de promouvoir et de sensibiliser encore plus les acteurs du tourisme à l’écologie et aux défis environnementaux.
“Il faut refaire un focus sur l’offre, tout remettre à plat et viser beaucoup plus le marché thaïlandais. C’est un challenge pour moi parce qu’il y a une énorme différence entre les occidentaux et les Thaïlandais sur mon produit. Les Européens, quand ils arrivent ici, ils sont absorbés par l’environnement. Les Thaïlandais, c’est leur pays, du coup ils regardent plus les détails : la qualité du réseau internet, la télé dans les chambres, etc. Là, je suis en train de faire des travaux, d’installer une piscine…”, explique Maxime.
Avec l’espoir d’une réouverture des frontières des pays frontaliers, des agences de voyages et la TAT misent sur un tourisme local et régional.
“En juin, en fonction de la situation, nous allons cibler les expatriés francophones et anglophones qui vivent en Asie. Pour autant, nous ne comptons pas trop dessus car il y a trop d’incertitudes et que les frontières peuvent à tout moment de nouveau être fermées. Nous allons saisir les opportunités comme elles viennent. Pour le moment, je rattrape plein de choses, je travaille sur le site Internet, c’est l’aspect positif de cette période. Depuis deux semaines, nous avons de nouveau des demandes de réservation pour la fin de l’année 2020, début 2021, les gens pensent encore à leurs vacances, c’est rassurant”, se réjouit Ben Lefetey.
Après avoir repris une affaire il y a deux ans, Maxime Gaillard s’estimait en pleine croissance et aujourd’hui il a l’impression de repartir de zéro. Mais pour autant, il voit dans cette crise l’occasion pour l’industrie du tourisme de se recréer et de revenir à des produits plus originaux. “Nous étions dans un tourisme dingue avec des hôtels partout, j’espère que la crise va assainir l’offre, que nous allons retomber dans une hôtellerie créative, personnalisée. Cela va être difficile pour certains, mais ceux qui peuvent avoir une offre exceptionnelle, ceux-là vont repartir. Il y a des marchés émergents avec des potentiels énormes tels que les Chinois, les Indiens, Coréens, le Moyen-Orient, etc.”, conclut Maxime Gaillard.
Pour Agathe Verge, le virus laissera des marques pour quelques temps encore : “Les voyageurs choisiront leur destination en fonction de l’impact du virus, combien il y a eu de décès, de cas, comment le pays a géré la crise. Certaines activités/concepts ne seront plus à la mode tels que les grands rassemblement ou les croisières. Enfin, l’industrie du tourisme va devoir s’organiser en cas de nouvelle crise, comme par exemple en restant partiellement ouvert durant une alerte”.