En 2018, les fermes d’Asie du Sud-Est ont offert une bouée de sauvetage aux exportateurs américains de céréales affectés par la guerre commerciale acharnée entre les Etats-Unis et la Chine. Mais cette année, la peste porcine africaine annihile ces marchés salvateurs, éliminant les opportunités d’affaires aussi radicalement que la maladie décime les cheptels de porcs nourris au fourrage américain.
Les exportations américaines de produits fourragers vers des pays comme le Vietnam, la Birmanie et les Philippines avaient bondi de près de 50% l’année dernière pour atteindre un volume record de 12,3 millions de tonnes. Cela avait permis d'atténuer le choc d'une crise ayant anéanti près des trois quarts des ventes de ces mêmes récoltes américaines à la Chine après que Washington et Pékin ont commencé à s’affronter à coup de tarifs douaniers.
Mais aujourd’hui, l’industrie céréalière des États-Unis est inquiète face au volume de pertes potentielles d’exportations vers l’Asie du Sud-Est dues à la peste porcine : à moins qu’un accord commercial ne rouvre la route des exportations vers la Chine, les agriculteurs américains n’auront d’autre choix que de stocker leurs récoltes faute de pouvoir les vendre.
"Il va probablement y avoir une baisse de la production porcine (aux Philippines) et donc de la demande d'aliments, comme cela s'est produit dans d'autres pays", prédit Edwin Chen, président de la Fédération des producteurs de porc des Philippines. La demande de céréales fourragères est déjà en train de ralentir dans ce pays qui est le quatrième importateur mondial de farine de soja.
Bien qu’inoffensive pour l'homme, la peste porcine africaine est mortelle pour les porcs, et il n’existe pas de vaccin. Elle a fait son apparition pour la première fois en Asie, en Chine, il y a plus d'un an, et s'étend désormais à plus de 50 pays -d'où provient 75% de la production mondiale de viande de porc-, selon l'Organisation mondiale de la santé animale.
"What it takes"
La combinaison de facteurs tels que les fortes densités de population, des villes étendues, des économies à croissance rapide et une production fourragère limitée, a contribué à une augmentation de près de 25% des importations de maïs et de tourteau de soja au cours des cinq dernières années vers l’Asie du Sud-Est.
La région est le troisième marché mondial pour ces produits, rendant tout ralentissement abrupt de la demande d'autant plus alarmant pour les fournisseurs.
La croissance rapide a également créé une concurrence féroce sur le secteur, les organisations d’exportateurs envoyant régulièrement des missions commerciales dans le but de gagner de nouvelles parts de marché.
Le US Soybean Export Council (USSEC) est l’un de ces organismes. Il a contribué à promouvoir les ventes de produits agricoles américains dans toute la région dans le cadre de sa stratégie «What it Takes», qui vise au moins en partie à compenser les ventes perdues vers la Chine.
"La diversification des marchés est une priorité pour l'USSEC depuis plusieurs années, bien avant la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine", a déclaré Rosalind Leeck, directrice régionale de l'USSEC pour l'Asie du Nord.
Ces efforts ont porté leurs fruits aux États-Unis en 2018, lorsque les ventes de cultures en vrac et de tourteau de soja en Asie du Sud-Est ont enregistré leur plus important gain annuel, dépassant pour la première fois les exportations vers la Chine.
La peste porcine africaine risque maintenant d’annuler ces gains durement acquis : l’Asie du Sud-Est représentant 15% des importations totales de maïs et de soja, toute baisse substantielle du nombre d’animaux entraînera inévitablement une baisse des importations de fourrage.
Selon deux négociants qui vendent à la région des produits fourragers en provenance des Etats-Unis et d’Amérique du sud, les achats de maïs et de tourteau de soja devraient chuter d’environ 1 million de tonnes chaque année rien que sur le Vietnam. Les vendeurs ont souhaité garder l’anonymat car ils ne sont pas autorisés à parler aux médias.
Au Vietnam, sixième producteur mondial de viande de porc, environ 4,7 millions de porcs ont déjà été abattus, la peste porcine africaine s'étant répandue dans les 63 provinces du pays depuis sa détection en février. Fin juillet, le cheptel porcin du pays avait diminué de 18,5%, pour s'établir à 22,2 millions d'animaux.
"Dans mon village, beaucoup de porcs sont infectés par la peste porcine", a déclaré Nguyen Thi Hai, un éleveur de porcs du village de Tu Nhien, près de Hanoï, exploitant depuis 2006. Au moins plus de la moitié d'entre eux (a été) infectée et tuée. "
Dans le même temps, la Thaïlande - le premier importateur mondial de farine de soja - a commencé en septembre à abattre des porcs par crainte que la peste porcine africaine fasse son apparition après la mort de deux porcs dans la province de Chiang Rai frontalière de la Birmanie – depuis, des tests ont relevé que la maladie n’était pas la cause de la mort de ces deux bêtes - et les autorités ont placé 24 provinces en zones de surveillance par mesure de prévention.
Jusqu'ici, la peste porcine semble faire les bonnes affaires de la Thaïlande qui a vu ses ventes de volailles vers la Chine exploser ces derniers mois.