Rencontre avec Laurent Macaluso, un golden boy touche-à-tout qui a posé ses valises à Bangkok il y a dix ans et s’est lancé récemment dans la promotion et le commerce d’art en Thaïlande
Après avoir passé son enfance en Afrique où sa famille a prospéré, Laurent Macaluso est rentré en France pour intégrer l’EDHEC de Nice avant de partir poursuivre ses études aux États-Unis. Arrivé en Thaïlande fin 2008, il a rapidement monté plusieurs affaires dans les secteurs de la gastronomie, de l’hôtellerie et du luxe avant de tout quitter pour se lancer dans le commerce de l’art. Alors qu’il organise l’exposition d’un artiste parisien dans l’hôtel So Sofitel de Bangkok, lepetitjournal lui a demandé les raisons de cette reconversion.
Lepetitjournal.com: Pour quelle raison êtes-vous venu vous installer en Thaïlande ?
Laurent Macaluso: En 2008, alors que je travaillais en Afrique dans l’entreprise familiale, un ami qui possède des boites de nuit en Thaïlande m’a convaincu de le rejoindre. Mon master en finances et business administration m’a rapidement permis de trouver des opportunités professionnelles dans l’hôtellerie de la gastronomie et du luxe. J’ai monté plusieurs affaires avant de réaliser que je ne suis pas fait pour travailler dans un bureau toute la journée. Je possède une sensibilité artistique qui m’a été transmise par ma mère et c’est tout naturellement que j’ai songé à combiner mon goût pour l’art et pour les affaires. J’ai débuté dans ce monde avec un partenaire français qui connaissait déjà bien le secteur. Il m’a parlé de Hom Nguyen, un artiste qu’il aime beaucoup et qui possède déjà une belle notoriété. J’ai décidé de me lancer pour le fun et l’expo a connu un très grand succès. Dans la foulée nous avons organisé l’exposition de Louis-Nicolas Darbon, un artiste parisien basé à Londres et influencé par le Pop Art.
Qu’est-ce qui vous a permis de comprendre qu’il pourrait être viable d’abandonner toutes vos autres activités pour vous consacrer uniquement à l’art ?
La métamorphose récente du marché qui a connu ces deux dernières années une évolution énorme !
La création de plusieurs fondations d’art en 2019 en Thaïlande et la biennale de Bangkok en sont la confirmation. Le monde se globalise et l’information voyage plus vite. Auparavant, ce marché était réservé à une sorte d’élite qui avait la chance de posséder les connaissances et la culture nécessaires. Aujourd’hui le marché s’est ouvert, tout le monde a accès à l’art qui est devenu à la fois un moyen de communication et une forme d’investissement, qui permet même d’afficher son niveau social. En Thaïlande, si les [grandes] familles sont généralement conservatrices, tournées vers les traditions et peu clientes d’art, on a vu apparaître une génération plus jeune qui a réussi et, de fait, possède de bons revenus. C’est cette génération de "nouveaux princes de l’Asie", qui a entre 30 et 50 ans, que je pense susceptible d’investir dans l’art. Beaucoup d’entre eux ont commencé à s’y intéresser alors qu’ils étudiaient à l’étranger. L’autre segment non négligeable du marché est constitué par les nombreux expatriés aisés qui sont installés ici.
Et comment comptez-vous convaincre tous ces clients potentiels ?
Je suis persuadé qu’il faut proposer des évènements artistiques qui intègrent du live, des performances en direct. J’ai bien observé des tentatives dans ce domaine, mais je les ai souvent trouvées ternes et restrictives. Je considère que l’art doit être accessible à tout le monde et pas seulement aux amateurs éclairés, cultivés et branchés. C’est pour cette raison que je souhaite ouvrir l’art à tout le monde, y compris à ceux qui n’ont pas de références dans ce domaine. C’est pour cette raison que j’organise mes expositions dans des hôtels. Parce qu’ils sont un monde ouvert et un lieu de vie. Les personnes qui ne sont pas passionnées par l’art ne se rendront jamais dans une galerie. Je ne veux pas le confiner à quelques esthètes, car ce segment est bien trop petit. Il faut ouvrir le marché de l’art qui ne demande qu’à exploser à tout le monde sachant qu’il y a plus de milliardaires à Bangkok qu’à Singapour ! Dans une société qui a plongé de pleins pieds dans le matérialisme, les personnes qui possèdent de l’argent ont déjà acheté une belle voiture et un appartement ou deux se demandent ce qui leur manque. Là, je m’attache à leur expliquer en quoi investir dans une œuvre peut être intéressant. Or, il se trouve que l’art est un moyen de transmission. La transmission d’une œuvre, c’est comme la transmission d’une maison. C’est un patrimoine qui permet de léguer quelque chose à sa famille et les Thaïlandais sont très attachés à cette notion.
Vous semblez choisir d’exposer des artistes plutôt orientés "street art" ou "pop art". Est-ce que cela correspond à vos goûts personnels ou simplement à vôtre ressenti du marché local ?
En fait je dirais plutôt que je travaille dans l’événementiel artistique et j’aspire à ce qu’il y ait une bonne dose de fun dans ce que je fais. Je me suis rendu à des centaines d’expositions ici, ainsi qu’à la précédente biennale que j’ai trouvée assez catastrophique. J’ai pu me rendre compte que nombre d’entre elles pouvaient avoir un caractère ennuyeux, qu’elles n’intéressaient et n’attiraient pas grand monde. Il me semble évident que les Asiatiques n’aiment pas se prendre la tête et qu’ils préfèrent un peu de légèreté, tout ce qui met de bonne humeur. C’est dans leur tempérament. Pour cette raison je suis convaincu que le marché asiatique est résolument ouvert au pop art, aux graffitis, au street art…
Vous exposez actuellement l’artiste français Jisbar à Bangkok, pouvez-vous nous le presenter en quelques mots ?
C’est un autodidacte qui peint depuis l’âge de 13 ans. Il est exposé dans une douzaine de galeries à travers le Monde. Son style est empreint de néo-expressionnisme, et de surréalisme moderne. C’est un courant en vogue à l’heure actuelle, porté par des artistes tels qu’Alec Monopoly ou RETNA et qui à mon avis sera reconnu à sa juste valeur, de la même manière que le talent d’André Breton ou Dali ne fut pas compris instantanément. L’art de Jisbar n’est pas simplement du graffiti et ça se voit dans l’évolution de son travail. Dans bon nombre de ses œuvres, il reprend des classiques du surréalisme, de Picasso à Dali qu’il retravaille avec un sens du détail et un souhait de mélange avec notre monde moderne que je trouve intéressant. Il a évolué techniquement. Dorénavant, il utilise davantage de matière dans ses œuvres qui sont plus travaillées, qui ont plus d’épaisseur… Du coup, je trouve qu’elles possèdent davantage de profondeur. On est désormais loin du tag des débuts. L’exposition va permettre de découvrir douze toiles inédites et dix lithographies rehaussées.