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CROSS CULTURAL FOUNDATION – "La situation des droits de l’homme en Thaïlande était meilleure au début des années 2000 qu’aujourd’hui"

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Écrit par Ghislain Poissonnier 
Publié le 6 janvier 2020

A l'occasion de la journée internationale des droits de l'homme (10 décembre 2014), Ghislain Poissonnier a rencontré pour Lepetitjournal.com Pornpen Khongkachonkiet (Noi), directrice de l'association thaïlandaise Cross Cultural Foundation. Cette Thaïlandaise s'efforce quotidiennement de promouvoir et protéger les droits de l'homme dans le royaume et s'inquiète de la situation actuelle

Pornpen Khongkachonkiet (Noi), qui êtes-vous?
Thaïlandaise née à Bangkok, je suis âgée de 43 ans, célibataire, sans enfant. Je suis actuellement directrice exécutive de l'association Crosss Cultural Foundation. Je travaille dans cette association thaïlandaise basée à Bangkok depuis 2005. Je travaille dans le domaine des droits de l'homme, du droit et du développement depuis près de 15 ans et ai notamment collaboré avec Forum Asia. Je suis titulaire d'une licence en sciences sociales de l'Université de Silapakorn et d'une maîtrise en histoire de l'Université de Thammasat.

Qu'est-ce qu'est Cross Cultural Foundation?
Il s'agit d'une organisation non gouvernementale (ONG) thaïlandaise qui agit pour la protection, la promotion et l'évaluation des droits de l'homme en Thaïlande. Nous travaillons certes en partenariat avec d'autres ONG comme la fondation Konrad Adenauer Stiftung, le Centre des avocats musulmans, l'Association pour la prévention de la torture, la Fédération internationale des droits de l'homme, Amnesty International Thaïlande, l'Union for Civil Liberty, et avec des organismes institutionnels comme la commission des droits de l'homme de l'ASEAN, celle de Thaïlande, le Haut-commissariat aux réfugiés et la Commission internationale des juristes.
Mais nous sommes indépendants. L'association a été fondée en 2002, notamment par Somchai Homlaor, un des leaders des mouvements étudiants contre la répression en 1973 et 1976, devenu un des défenseurs des droits de l'homme les plus actifs du royaume au cours des années 80 et 90. Il est avocat aujourd'hui et membre de la commission de la réforme du droit.

Au début des années 2000, la situation des droits de l'homme était meilleure qu'elle n'est aujourd'hui en Thaïlande : le royaume était un peu un pays pionnier et notre ONG fournissait un réseau de protection de défenseurs des droits de l'homme, là où ils étaient menacés, notamment en Birmanie, au Laos, au Sri Lanka et en Inde. Cependant, à partir de 2004, l'association a décidé de se recentrer sur la Thaïlande. La guerre meurtrière contre la drogue menée par le gouvernement de Thaksin Shinawatra, l'émergence du conflit dans le Sud musulman et la situation dégradée des populations marginalisées ont imposé ce recentrage.

Quels sont les moyens de votre association?
Ils sont modestes. Notre équipe est composée de 5 personnes au siège à Bangkok (une directrice, deux administratifs et deux juristes) et nous avons des correspondants sur le terrain, soit des petites associations locales, soit des volontaires locaux que nous rémunérons ponctuellement. Notre budget annuel est d'environ 10 millions de bahts. Les fonds proviennent des institutions thaïlandaises (ministère de la justice, commission des droits de l'homme, comité de la réforme du droit) ou de partenaires étrangers (ambassades, nations unies, programmes internationaux, Open Society).

Que fait concrètement votre association pour améliorer la situation des droits de l'homme en Thaïlande?
Nos actions visent à lutter contre les violations des droits fondamentaux des citoyens, notamment dans le Sud musulman touché par un conflit armé mais pas seulement. Nous voulons améliorer l'accès à la justice des citoyens et il y a encore une très grande marge de man?uvre dans ce domaine dans le royaume.
Par exemple, les minorités qui ne parlent pas la langue thaïe ou la parlent peu (montagnards, tribus, musulmans du Sud, paysans, réfugiés, travailleurs immigrés, sans papiers ou apatrides) sont systématiquement discriminés, notamment en cas de litige foncier, agricole, immobilier, sur les droits de leur communauté ou leurs droits sociaux. Ces populations sont présentes principalement dans les zones rurales et des zones frontalières, mais pas seulement. Prenons l'exemple des travailleurs birmans ou cambodgiens dans l'industrie de la pêche : leurs droits sont bafoués ; ils n'ont droit à aucune protection sociale ou en droit du travail ; leurs patrons sont très rarement poursuivis tant au civil qu'au pénal. Ces populations sont également vulnérables dans les affaires pénales, en particulier lorsque les auteurs des infractions sont des membres des forces gouvernementales. Cross Cultural Foundation s'efforce ainsi d'apporter une aide juridique et juridictionnelle à ces populations. Note rôle peut être déterminant, car le système judiciaire thaïlandais est très lent (des faits graves remontant à 2004 et 2005 n'ont toujours pas été jugés aujourd'hui) et peine à poursuivre les agents de l'Etat. Du coup, les victimes sont découragées et ne veulent plus agir en justice.
Nous obtenons parfois des arrangements à l'amiable en cours de procédure qui permettent au moins aux victimes d'obtenir des compensations financières (emploi illégal, mauvais traitements, non-paiement des salaires, dommages et intérêts en cas d'occupation irrégulière ou de destruction illégale de maison). Un fonds d'aide aux victimes a été utilement mis en place par le gouvernement de Yingluck Shiwanatra.
Notre association incite également les victimes à se défendre en justice, car les puissants de la société thaïlandaise (les personnes ayant un pouvoir politique, économique ou militaire) n'hésitent pas à porter plainte contre les victimes qui les accusent, plaintes pour diffamation ou diffusion de fausses informations. Globalement, cela conduit à un découragement, notamment des populations du Sud musulman de la Thaïlande : incidents armés, arrestations arbitraires, mauvais traitements ou torture, plaintes pour fausses accusations, lenteur de la justice. Tout cela donne lieu à un grand sentiment d'impunité des puissants et d'inutilité de la justice.

Outre l'aide juridique, que fait votre association ?

Elle organise également des activités dites d'éducation, d'information et de soutien aux autres associations : nous proposons des formations juridiques ou de prise en charge des victimes, destinées aux avocats, aux juristes, aux conseillers juridiques et écrivons des manuels (par exemple, sur les droits des femmes, les droits des enfants). Enfin, nous effectuons un travail de plaidoyer : nous avons par exemple plaidé auprès des autorités pour une réforme profonde de la police, de la justice et de l'administration, avec une meilleure diffusion des normes des droits de l'homme. Nous avons ponctuellement obtenu quelques améliorations. Nous avons aussi effectué un travail de mobilisation et de plaidoyer pour l'abolition ou l'assouplissement de la loi martiale appliquée dans le Sud musulman depuis 2004 et du décret d'urgence qui y est appliqué depuis 2005. La loi martiale autorise l'armée à détenir une personne pendant 7 jours, sans présentation à un juge. En vertu du décret d'urgence, l'extension de la détention par l'armée est possible pour une période de 30 jours. Cela fait un total de 6 semaines de détention possible sans être présenté à un juge, sans charge retenue contre vous, sans accès à un avocat, à votre dossier, à la famille ou à un médecin. Ce n'est qu'au bout de 6 semaines que vous êtes libéré ou présenté à un juge en vue de la tenue d'un procès. Il s'agit d'une législation très dangereuse, en totale violation avec les conventions internationales ratifiées par le royaume. Nous avons échoué dans notre action de plaidoyer et nous en voyons aujourd'hui les conséquences nationales aujourd'hui.

C'est-à-dire ? Comment reliez-vous la situation dans le Sud et celle qui prévaut actuellement dans tout le pays?

Nous nous sommes battus pendant des années pour obtenir la fin de cette législation d'exception mais les gens ne se sont pas sentis pas concernés par ce combat. On nous répondait que la situation de conflit armé justifiait ces entorses à la loi, que le Sud avait des problèmes particuliers qui nécessitaient ces exceptions. L'éloignement géographique, le fait que la population locale soit musulmane et une couverture journalistique parfois caricaturale ont nourri l'indifférence. On voit bien le rapport aujourd'hui. Cette législation d'exception qui a été "testée" et "affinée" est maintenant utilisée sur tout le territoire pour restreindre les droits fondamentaux de tous les Thaïlandais. La loi martiale qui autorise une détention pendant 7 jours est désormais appliquée au niveau national par ces mêmes militaires qui ont souvent servi dans le Sud et ont été promus à des postes nationaux depuis en raison des leurs états de service. Cette évolution est inquiétante pour l'avenir du royaume.
Dans le Sud, la période de détention administrative a été utilisée par la police et l'armée pour obtenir des informations. Mais cela a souvent conduit à la collecte d'informations erronées et donc après à des erreurs militaires, policières, et même judiciaires. Au total, plus de 10.000 personnes ont été arrêtées dans ce cadre dans le Sud depuis 2004. Bien sûr, comme dans tout système sans contrôle, des abus ont lieu au cours de cette période de détention. Il y a des preuves évidentes de cas de torture et de mauvais traitements. Plus de 300 ont été documentés par nous et l'association des avocats musulmans. Et il ne s'agit que de ceux documentés. Il y en a eu sûrement bien plus. Cela ne signifie pas que le recours à la torture est fréquent au sein de l'armée thaïlandaise. Il est chronique, en revanche, au sein de certaines unités spécifiques, en particulier des certaines task force chargées du renseignement, ou au sein de groupes de paramilitaires. Ils s'en prennent même parfois aux journalistes, aux leaders des communautés, aux mineurs, aux défenseurs des droits de l'homme. L'armée, dans son ensemble, tolère ces pratiques, ou au moins ne les punit pas.

Comment les militaires concernés réagissent-ils à ces allégations de torture et de mauvais traitements?
Les militaires soupçonnés d'avoir commis ces abus ne se contentent pas de contester les faits. Ils considèrent que l'on porte atteinte à leur réputation et plus généralement à celle de l'armée. Certains sont décidés à agir en rétorsion. Des plaintes en diffamation ont été déposées. Soit les personnes que nous défendons, soit nos collaborateurs sont directement menacés par ces plaintes. Cross Cultural Foundation et moi-même sommes actuellement visées par une plainte pénale pour diffamation déposée en mai 2014 par un officier de l'unité paramilitaire 4 déployée dans le Sud, unité qui est citée dans un de nos rapports pour avoir commis régulièrement des abus. J'ai été auditionnée par la police mais pas mise en examen à ce stade. Il est clair qu'au-delà de mon cas personnel, il s'agit d'intimider les ONG qui travaillent dans le domaine des droits de l'homme. Si un procès a lieu, nous risquons jusqu'à deux ans d'emprisonnement et 200.000 bahts d'amende.

Sites Internet:
http://www.insightonconflict.org/conflicts/thailand/peacebuilding-organisations/crcf/
http://voicefromthais.wordpress.com/cross-cultural-foundation/
http://voicefromthais.wordpress.com/about/

Propos recueillis par Ghislain POISSONNIER mercredi 10 décembre 2014
 

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