La Chine et 14 pays se sont mis d'accord sur ce qui pourrait être le plus grand pacte commercial au monde, mais l'Inde s'est retirée à la dernière minute, estimant les termes du RCEP trop risqués pour ses agriculteurs, entreprises, travailleurs et consommateurs.
La guerre commerciale entre les Etats-Unis et la Chine et le protectionnisme croissant ont donné un nouvel élan à des négociations qui trainaient depuis plusieurs années sur le Partenariat Economique Global Régional (RCEP), qui regroupe les dix membres de l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est (ASEAN), la Chine, le Japon, la Corée du Sud, l’Australie et la Nouvelle Zélande.
Les membres ont déclaré que l'accord serait signé l'année prochaine après que 15 pays, sans l'Inde, sont parvenus à un accord à Bangkok sur le texte et les questions relatives à l'accès aux marchés.
"Dans le contexte d'un monde en mutation rapide, l'achèvement des négociations du RCEP témoignera de notre engagement collectif pour un environnement favorable à un commerce ouvert et à l'investissement dans la région", ont déclaré les pays membres dans un communiqué.
Les 15 laissent à l'Inde la possibilité de les rejoindre plus tard, si les différends liés à l'accord sont résolus.
Pour l’heure, le Premier ministre indien a fait savoir qu'il devait prendre en compte les intérêts des Indiens.
"Quand je mets en balance l'accord RCEP avec les intérêts de tous les Indiens, je n’obtiens pas une réponse positive", a déclaré Narendra Modi dans un discours prononcé à Bangkok, selon une note du gouvernement.
"Ni le talisman de Gandhiji, ni ma propre conscience ne me permettent de rejoindre le RCEP", a-t-il déclaré, faisant référence au "père de la nation", selon la maxime de Mahatma Gandhi de toujours penser aux plus pauvres de la société dans une situation de doute.
Rivalité Inde-Chine
L'Inde craignait que l'accord, qui exige l'élimination progressive des droits de douane, n’ouvre ses marchés à un flux important de marchandises chinoises bon marché et de produits agricoles en provenance d'Australie et de Nouvelle-Zélande, susceptibles de nuire aux producteurs locaux.
Rivaux de longue date, la Chine et l’Inde, qui ont mené une guerre frontalière en 1962, se sont également affrontés verbalement ces derniers jours à la suite de la décision de l’Inde de révoquer formellement l’autonomie constitutionnelle de l’État du Cachemire.
Même sans l'Inde, les pays du RCEP pèsent près du tiers du produit intérieur brut mondial, mais la sortie de ce pays immense a pour conséquence que le bloc représente moins du tiers de la population mondiale contre environ la moitié s'il était inclus au partenariat.
"Je suis ravie que les 15 aient pu s’entendre, mais il est dommage que l'Inde se soit montrée incapable de saisir l'occasion. C'est une énorme opportunité manquée", a regretté Deborah Elms de l’Asian Trade Center à Singapour.
"Mais cela reste une excellente nouvelle pour le commerce et l'Asie", a-t-elle déclaré, notant que l'Inde avait encore le temps de signer.
Le vice-ministre chinois des Affaires étrangères, Le Yucheng, a déclaré: "Dès que l'Inde est prête, ils sont les bienvenus."
Outre l’intérêt commercial évident de son immense marché, l’Inde représente aussi pour les autres pays un important contrepoids à la domination chinoise, surtout à un moment où les États-Unis ont perdu de leur aura de partenaire protecteur.
Démission américaine
La décision américaine d’envoyer une délégation réduite aux sommets asiatiques de Bangkok amène en effet plusieurs pays à considérer que l’on ne peut plus compter sur les États-Unis comme un partenaire fiable face à l’hégémonie croissante de la Chine.
Cet état d’esprit s’est clairement illustré ces jours-ci lors la réunion entre les États-Unis et l'ASEAN à laquelle seuls trois des dix pays de la région ont participé.
Le secrétaire américain au Commerce, Wilbur Ross, a déclaré lors d'une réunion de travail en marge du sommet que l'administration Trump était "extrêmement engagée et pleinement investie" dans la région.
Le conseiller à la sécurité nationale de la Maison-Blanche, Robert O'Brien, a apporté une invitation de Trump lui-même à un sommet et a également contenté certains dirigeants de la région en critiquant les agissements de la Chine en mer de Chine méridionale.
Mais selon plusieurs diplomates et analystes, le message de Washington est clair.
"Des doutes au sujet de l'engagement de l'administration Trump émergent de manière plus sérieuse et cela pourrait aussi aider d'autres superpuissances à défendre leurs propres objectifs", estime Panitan Wattanayagorn, ancien conseiller thaïlandais en matière de sécurité nationale.