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Arrêté en 2008 à Bangkok, le marchand de mort pourrait être rendu à Moscou

Viktor Bout, arrêté en ThaïlandeViktor Bout, arrêté en Thaïlande
REUTERS/Sukree Sukplang/archives - Le trafiquant d'armes russe Viktor Bout escorté par une unité d’élite de la police thaïlandaise après une audience devant la cour pénale de Bangkok le 5 octobre 2010.
Écrit par Lepetitjournal.com Bangkok avec Reuters
Publié le 2 août 2022, mis à jour le 2 août 2022

Le trafiquant d'armes russe Viktor Bout figurait parmi les criminels les plus recherchés lorsqu’il a été arrêté à Bangkok en 2008. Extradé en 2010 aux Etats-Unis, il pourrait être rendu à la Russie

La vie de Viktor Bout, tristement célèbre trafiquant d'armes russe, se lit parfois comme un roman d'espionnage quelque peu tiré par les cheveux. Détenu depuis douze ans aux États-Unis, cet ancien pilote de l'armée soviétique surnommé le "Marchand de mort", pourrait aujourd’hui faire l’objet d’un échange avec Moscou contre deux citoyens américains emprisonnés en Russie.

Réputé pour sa capacité à contourner les embargos sur les armes, cet homme au parcours intrigant aujourd’hui âgé de 55 ans, était l'un des criminels les plus recherchés au monde avant son arrestation en 2008 dans une chambre de l’hôtel Sofitel Silom de Bangkok.

En moins de deux décennies, Bout est devenu le marchand d'armes le plus notoire au monde, fournissant aussi bien des États voyous, des groupes rebelles que des seigneurs de guerre sanguinaires en Afrique, en Asie et en Amérique du Sud.

Sa réputation a même inspiré le film hollywoodien Lord of War, sorti en 2005 avec Nicholas Cage dans le rôle de Yuri Orlov, un marchand d'armes dont le personnage n’est toutefois pas tout à fait calqué sur le profil de Bout.

Viktor Bout, d’interprète à marchand de mort

Il faut dire que l’histoire de Viktor Bout reste par endroits entourée de mystère. Les biographies s'accordent généralement à dire qu'il est né en 1967 à Douchanbé, alors capitale du Tadjikistan soviétique, près de la frontière avec l'Afghanistan.

Très doué en langues, Viktor Bout parle, en plus du russe, le français, l'anglais, le portugais, l'arabe et le persan, et il maitriserait également l’espéranto, qu’il aurait appris dans sa jeunesse dans un club de Douchanbé.

Lors de son passage dans l'armée soviétique, où il dit avoir atteint le grade de lieutenant, Bout a notamment servi en tant qu’interprète en Angola, pays qui deviendra central dans son activité de vendeur d’armes.

La percée de Viktor Bout dans le business de la guerre intervient peu après, au lendemain de l'effondrement du bloc communiste en 1989-1991, lorsqu’il profite habilement de l’abondance soudaine d’armement qui suit la fin de la guerre froide pour alimenter une série de guerres civiles en Afrique, en Asie et ailleurs.

Avec la désintégration de la flotte aérienne de l'Union soviétique, Bout acquiert tout un escadron d'environ 60 avions militaires basés aux Émirats arabes unis (EAU). Cette impressionnante flotte lui permettra de livrer ses funestes cargaisons dans le monde entier.

Le business avant l'idéologie

Une biographie de 2007 intitulée "Merchant of Death: Guns, Planes, and the Man Who Makes War Possible" par Douglas Farah et Stephen Braun rapporte un certain nombre de détails inédits jusque-là sur l’obscur commerce de Viktor Bout.

Depuis sa base dans l'émirat de Sharjah aux EAU, son empire de trafic d'armes était dissimulé derrière une banale entreprise de logistique. Lorsqu'il est interrogé, il insiste d’ailleurs systématiquement sur le fait qu'il n’était qu’un simple entrepreneur opérant en toute légalité avec des clients respectables.

Mais celui qui est apparu pour la première fois sur les radars de la CIA dans un rapport décrivant un mystérieux citoyen russe faisant du commerce d'armes en Afrique, s’est trouvé au tournant du millénaire parmi les hommes les plus recherchés au monde.

Manifestement moins sensible aux idéologies qu’à l’appât du gain, il a vendu des armes en Afghanistan aussi bien aux islamistes talibans qu’à leurs ennemis de l'Alliance du Nord pro-occidentale, selon "Merchant of Death".

L’ouvrage biographique affirme également que Bout aurait fourni des armes à l'ancien président libérien et chef de guerre Charles Taylor, qui purge actuellement une peine de 50 ans de prison pour meurtre, viol et terrorisme, et à diverses factions congolaises ainsi qu’au groupe islamiste philippin Abu Sayyaf.

Fin de parcours à Bangkok

Pour faire tomber le "Marchand de mort", il aura fallu une opération d'infiltration très élaborée montée sur plusieurs mois par la Drug Enforcement Administration des États-Unis qui a permis de suivre l’insaisissable Russe à travers plusieurs pays. Et ce jusque dans une chambre de l’hôtel Sofitel Silom à Bangkok, où Bout a été filmé en train d'accepter de vendre, à des agents américains se faisant passer pour des représentants de la guérilla colombienne (FARC), pas moins de 100 missiles sol-air censés être utilisés contre des troupes américaines.

Après son arrestation par la police thaïlandaise en mars 2008, s’en est suivi plus de deux ans de querelles juridico-diplomatiques au cours desquelles la Russie a insisté sur le fait que Bout était innocent et que l’affaire était devenue politique. Le Russe a finalement été extradé par la Thaïlande en novembre 2010 vers les États-Unis, où il a fait l’objet d’une série d'accusations, dont celles de complot en vue de soutenir des terroristes, de complot en vue de tuer des Américains, et blanchiment d'argent.

Viktor Bout a été jugé pour les accusations liées aux FARC, qu'il a niées et, en 2012, a été reconnu coupable et condamné par un tribunal de Manhattan à 25 ans de prison, la peine minimale possible.

Depuis, l'État russe cherche à le récupérer.

Les Etats-Unis prêts à échanger Bout ?

Le 27 juillet dernier, le secrétaire d'État américain Antony Blinken a déclaré que Washington avait fait "une offre substantielle" à la Russie pour obtenir la libération de la basketteuse Brittney Griner et de l'ex-Marine Paul Whelan.

Deux jours plus tard, Antony Blinken a déclaré avoir eu une "conversation franche et directe" par téléphone avec le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, puis il a appelé Moscou à accepter la proposition.

Le secrétaire d'État américain a refusé de dire ce que les États-Unis offraient en échange des deux ressortissants. Mais une source proche de l’affaire a confirmé une information de CNN selon laquelle Washington était prêt à échanger Viktor Bout dans le cadre d'un accord.

La Russie plaide pour une diplomatie discrète

Sergueï Lavrov a alors suggéré à son homologue américain que les deux parties reviennent à une diplomatie discrète sur la question des échanges de prisonniers "plutôt que de divulguer des informations spéculatives", selon un communiqué du ministère russe des Affaires étrangères.

Le ministre russe a déclaré que l'extradition de Viktor Bout de Thaïlande était "une injustice flagrante" suggérant qu'il était innocent.

Les médias russes plaidant pour le retour de Viktor Bout dans son pays reprennent régulièrement les propos, dans une interview datant de 2012, du juge ayant présidé le procès du marchand d’armes russe à New York, qui disait estimer que la peine de 25 ans était "excessive".

Ces dernières semaines, les spéculations allaient bon train sur un possible échange contre Trevor Reed, un vétéran du Corps des Marines américain emprisonné en Russie pour voies de fait. Mais ce dernier a finalement été libéré en échange de Konstantin Yaroshenko, un pilote russe emprisonné aux États-Unis pour trafic de drogue.

Liens avec le renseignement russe

Pour les experts, le fait que l'État russe s’intéresse autant à Viktor Bout resonne beaucoup avec les spéculations selon lesquelles il avait des liens avec le renseignement russe (GRU) ainsi qu’avec ses compétences et ses relations dans le commerce international des armes.

Dans des entretiens, Viktor Bout a déclaré avoir fréquenté l'Institut militaire des langues étrangères de Moscou, qui sert justement de terrain d'entraînement pour les officiers du renseignement militaire.

"Il est quasi certain que Bout a été un agent du GRU, ou au moins un espion", a déclaré Mark Galeotti, un expert des services de sécurité russes pour le Royal United Services Institute.

"Son cas est devenu totémique pour les services de renseignement russes, qui tiennent à montrer qu'ils n'abandonnent pas les leurs", a ajouté Mark Galeotti.

Selon Christopher Miller, un journaliste ayant correspondu avec des néo-nazis emprisonnés avec Viktor Bout au pénitencier américain Marion, l'ancien marchand d'armes conserverait dans sa cellule une photo du président russe Vladimir Poutine et ferait partie de ceux qui considèrent que l'Ukraine devrait exister en tant qu'état.

Jointe par Reuters via la messagerie WhatsApp, l’épouse de Viktor Bout, Alla, qui vit à Saint-Pétersbourg, a déclaré: "Nous espérons vivement que tout sera résolu et qu'un accord sera trouvé. Il ne reste plus qu'à prier", a-t-elle ajouté.

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