Nous l’évoquions dans un précédent article, le Jallikattu est un sport impliquant des taureaux et pratiqué à l’occasion de Pongal dans le Tamil Nadu. Géraldine nous propose de nous emmener dans les coulisses de cet évènement à la fois fascinant et déroutant…
Planté de décor à Kollamedu
Il faut savoir que les Jallikattu de Madurai sont très connus, des hôtels organisent même des tours guidés pour les étrangers. Cependant, pour des raisons logistiques, je vous parlerai de l’évènement à Kollamedu (à 1h de Salem). Le trajet depuis Chennai est long (9h de route environ…) mais ça vaut vraiment le détour, croyez moi.
A partir de Thammampatti, plus de doute possible : des centaines de motos (avec 3, 4 et parfois 5 passagers à bord), de voitures et de camions chargés de taureaux se dirigent dans la même direction. Nous suivons donc ce beau monde sur plusieurs kilomètres. L’endroit est immense : des taureaux et leur dresseur patientent dans des terrains vagues, des stands avec nourriture et boissons poussent un peu partout, et le monde ne cesse de croître, se dirigeant vers…l’arène, l’attraction de ce rassemblement.
Celle-ci n’est ni ronde ni ovale, il s’agit plutôt d’une longue piste, avec des barricades de chaque côté, afin de protéger les très nombreux spectateurs venus assister à l’évènement. En début de piste, se trouve l’entrée des taureaux. La piste ne semble pas « fermée », et en bout de piste se trouvent les terrains vagues environnants.
Comment se déroule le spectacle ?
Que peut-on voir ? Et bien à première vue, pas grand-chose… des centaines et des centaines de personnes se tassent le long des barricades pour essayer d’entrevoir ce qui se passe sur la piste. La police, présente en très grand nombre, repousse les spectateurs les plus téméraires. La population présente est diverse et variée: bien sûr une majorité d’hommes, des jeunes et des moins jeunes, mais également des femmes et des enfants. Après discussions avec des locaux, il y aurait 150 dompteurs venus avec 600 taureaux (ou 800 plus, 2 versions à ce sujet-là…). 3 équipes s’affrontent, chacune avec environ 200 participants.
Notre couleur de peau nous donnera de précieux privilèges : Seuls étrangers sur place, nous sommes bien vite remarqués et sommes conviés dans la tribune officielle ! Le spectacle est ainsi juste sous nos yeux. A peine un sabot sur la piste, et les jeunes se précipitent sur l’animal, le but étant de s’accrocher et de rester sur le taureau le plus longtemps possible. C’est très impressionnant : des centaines de jeunes, surexcités, cherchent à s’agripper à l’animal coûte que coûte. Quelques valeureux réussissent à rester cramponnés au taureau sur des dizaines de mètres. Quel spectacle ! La foule est en délire, encouragée par les commentaires du speaker. Pas le temps de souffler, ni pour les spectateurs ni pour les athlètes : les taureaux se succèdent à un rythme effréné.
Ce sport est très controversé, et quand on y assiste, on comprend mieux pourquoi. Les jeunes participants, d’une vingtaine d’années environ, se font piétiner par l’animal, quand ils ne sont pas chargés par ce dernier! Nous ne verrons pas d’accidents majeurs, et tant mieux me direz-vous… Un jeune a tout de même eu le pied pris dans une corde, trainé à vive allure sur des dizaines de mètres par un taureau! Ses co-équipiers se sont mis à la poursuite de l’animal pour stopper sa course effrénée... Mais pourquoi les tamouls prennent-ils autant de risques chaque année en organisant et participant à de telles activités ? Il faut comprendre que ce sport fait partie de la culture de cette région et les indiens en sont extrêmement fiers. « Maitriser » un taureau à mains nues est une véritable prouesse, qui est récompensée à cette occasion par de nombreux prix : ustensiles de cuisine et même vélos sont offerts. On raconte que jadis, les pères choisissaient l’époux de leur fille durant ces festivités….
Il s’agit aussi d’un évènement extrêmement médiatisé : des photographes officiels du gouvernement, des journalistes mais aussi des VIP sont présents. Seuls européens sur place, nous avons eu beaucoup de succès et beaucoup de questions sur nos origines ou encore nos impressions du spectacle, car Ils sont très fiers de cette célébration, (posant dignement à-côté de leur taureau devant notre objectif.)
Et les taureaux dans tout ça ?
Parlons un peu des taureaux à présent : Ils sont soigneusement préparés à cet évènement annuel. Durant les semaines qui précèdent la foire, les bovins suivent un régime spécial : on les entraîne en les faisant nager dans des lacs afin de les muscler un maximum et ils ont double ration de nourriture. Pour le jour J, ils sont décorés de colliers de fleurs, de clochettes, et peint de différentes couleurs : rose, jaune ou vert. Mais ce n’est pas tout ! Il paraitrait même que leurs cornes, peintes également, seraient aiguisées.
Oui les taureaux sont bichonnés pour l’occasion, mais cette fête est également source de stress pour les animaux, leurs nerfs sont mis à rude épreuve. Tout d’abord, l’attente. Avant leur entrée en scène, ils patientent les uns derrière les autres, en file indienne. Vous voyez les files d’attente dans les parcs d’attraction ? Et bien c’est quasiment la même chose, mais en plus rustique, les barrières étant fabriquées de morceaux de bois. Les bêtes sont accompagnées de leurs dompteurs, et l’étroitesse de la file les empêche de trop se rebeller. Ensuite il y a le SAS (donc juste en-dessous de la tribune officielle). Les animaux comprennent que c’est la dernière étape avant le « face à face » avec les humains. Certains se laissent faire et y entrent sereinement. Pour d’autres ce sera plus musclé: ils sont poussés et même tirés par les cornes ! Enfin c’est l’entrée en scène. Ils bondissent sur la piste et là c’est l’effervescence ! Les jeunes gesticulent et crient pour attirer l’animal, courent dans tous les sens. La plupart des taureaux ne s’attardent pas et déguerpissent au plus vite! Comme expliqué plus haut, l’arène étant en longueur, les taureaux se retrouvent libres assez rapidement. Les dresseurs doivent à présent les récupérer, et ce n’est pas une mince affaire : Une fois libres, si les dompteurs ne les ont pas rattrapés à temps, c’est le chaos. Nous avons pu observer plusieurs tactiques pour éviter l’animal à ce moment-là : il y a ceux qui se jettent sur le côté pour l’éviter, et ceux qui se jettent au sol. En effet, excités par le bruit et l’agitation autour d’eux, les taureaux foncent! Il faut être très vigilant: un taureau qui surgit et c’est un mouvement de foule ; ce serait d’ailleurs principalement à ce moment-là, hors de la piste, que les accidents mortels arriveraient …
Et au final, est ce que ça vaut la peine?
OUI ! Vivre en Inde n’est pas offert à tout le monde, et assister à ce genre de festivités est une véritable chance. Nous avons pu expérimenter la ferveur des locaux, constater leur fierté de voir des étrangers s’intéresser à leurs célébrations, et bénéficier de leur accueil chaleureux. C’est l’Inde dans toute sa splendeur: festive et accueillante.