Il n'y a pas deux Espagnols qui prennent le café de la même manière. Et pas deux façons similaires de le commander. Voyage avec deux serveurs madrilènes sur la route de l'or noir du petit-déjeuner, en tasse, en verre ou avec du lait, et explications linguistiques
Pepita et Ernesto sont serveurs professionnels à Madrid, respectivement âgés de 27 et 55 ans, qui travaillent dans le centre pour la première, en pleine zone touristique (La soberbia. C/ Espoz y Mina,1) et dans le sud de la capitale pour le second (Bar Layka. Paseo de las Delicias, 77). Ils nous servent de guide dans ce parcours initiatique, consistant à demander son café au bar, en Espagne.
De l'extérieur, on a le sentiment que pour tout étranger qui découvre l'Espagne, même la plus simple envie d'un café "classique" peut prendre des tournures d'une complexité extrême. Pepita confirme : "Quand les Français arrivent en Espagne, il ont cette habitude de dire 'un café', or ici, personne ne le demanderait de la sorte. Même pour un café dans une petite tasse, sans lait, un Espagnol commandera 'un café solo' ou un 'expresso', c'est une habitude".
En Espagne, oubliez le légendaire : "Garçon, un café s'il vous plaît"
Ainsi, pour un café simple existent trois choix. "Un americano", également appelé "café solo largo", café simple mais pas chargé, généralement plus grand qu'un café simple basique et servi dans un verre, car allongé en eau. "Entre le décaféiné et l'expresso allongé. Les clients français le demandent fréquemment, sans utiliser les bons termes, mais on comprend facilement", explique Ernesto. Deuxième option, "un café solo", que vous pouvez commander "corto de café" ou non, c'est à dire tassé (qui sera alors comparable à un café bu dans le sud de l'Italie) ou pas. Et enfin, "un expresso", café de cafetière. "Dans les trois cas, vous pouvez choisir de le boire dans une tasse, dans un petit verre ou dans un verre haut, c'est selon et c'est d'ailleurs ainsi pour toutes les commandes qui concernent le café", détaille Pepita. Voilà pour le plus simple. Un café noir, tassé, allongé ou classique. Du basique, on vous dit.
Le lait, cet ingrédient blanc qui complique tout
La complexité prend une tournure moins accessible pour les novices dès lors qu'ils souhaitent marier l'or noir au liquide blanc. Comprenez le lait. "Ce n'est pas si compliqué", nuance Pepita, "il y en a trois seulement, le 'cortado', le 'manchado' et le 'café con leche', voilà tout". Evidemment, pour un café au lait, trois options, cela s'apparente à la simplicité même... pour un Espagnol. 'Un cortado' est un café avec un tiers de lait environ. 'Un manchado' est un café avec une goutte de lait seulement, afin de quitter le goût du café qui peut sembler âpre pour certains, le terme signifiant que l'on change la couleur du café, "on le colore" pour ainsi dire. Enfin, 'un café con leche' est un mélange équilibré entre café et lait. "Attention tout de même, dans les trois cas, vous devez préciser si vous le voulez tassé en café ou allongé en café, ainsi que tassé en lait ou allongé en lait, et si vous désirez le lait chaud, froid ou 'templado', c'est à dire tiède", souligne Ernesto. "Et puis il ne faut pas oublier 'un capuchino', un café crème, que les Français adorent !", sourit Pepita. Et d'ajouter : "Et aussi 'un café bombón', qui se sert dans un petit verre : moitié café, moitié "leche condensada", c'est à dire du lait condensé sucré !" Autant pour nous, le compte n'était pas bon. Vous avez donc cinq possibilités de café avec du lait. Multipliées par les températures du lait et les récipients, autant dire une infinité.
Commander un café en Espagne, c'est acheter son pain en France !
Viennent ensuite les cafés alcoolisés. "Le plus connu de tous et commun, 'un carajillo' de toujours", rigole Ernesto. Trois options majeures, le "carajillo" avec brandy, aguardiente de orujo ou rhum. Avec le même principe de dosages multiples que pour le lait. "Les anciens boivent parfois 'un café irlandés', c'est-à-dire avec du whisky. Mon grand-père est un adepte de ce café-là", ajoute Pepita. Voilà pour un vaste tour d'horizon, sans doute incomplet mais comment pourrait-il en être autrement ?
Au hasard d'une rencontre dans la rue, on demande à Marta, 27 ans, hôtesse de l'air originaire de Teruel, qui prend le temps de nous répondre. On croyait tout savoir, c'est raté ! "Je bois soit 'un café con hielo', soit 'un café helado', selon la saison". Retour dans le centre, Pepita nous éclaire, sourire moqueur. "Le 'café helado' est servi quand on vous l'apporte alors que 'el café con hielo', c'est n'importe quel café, avec du lait ou pas, et un verre avec des glaçons à côté. Il se boit plus l'été. De toute façon, je crois que commander un café en Espagne, c'est aller acheter son pain en France ! Quand vous arrivez dans une boulangerie en étant Espagnol en France, vous êtes complètement perdu ! "
Travailler l'été comme serveur en Espagne, pas si simple
Imaginez dès lors les saisonniers qui traversent les Pyrénées vers le sud. Dragan, originaire de Marseille, désormais installé à Salamanque, se rappelle et raconte, loquace : "Ma première expérience en tant que serveur en Espagne a été catastrophique. J'ai dû refaire cinq fois le café ! La commande ? Une dame âgée qui souhaitait 'un cortado descafeinado corto de café, con leche templada descremada y sacarina'. Qui plus est avec l'accent sévillan ! Heureusement, à la cinquième tentative, un collègue a décomposé la commande et j'ai compris "un cortado" donc un café avec du lait mais "descafeinado" donc de déca, "corto de café", donc plus fourni en lait qu'en café, "con leche descremada", avec du lait écrémé 'y 'sacarina', des sucrettes ! Sacré premier défi ! Je me suis demandé où j'avais mis les pieds..."
Benjamin IDRAC