Bonne nouvelle pour les férus d’histoire, en particulier pour ces histoires qui tendent un pont entre la France et l’Espagne. Un livre qui relate l’incroyable aventure de milliers d’Auvergnats qui émigrèrent en Espagne depuis le XVe jusqu’au tout début du XXe siècle vient de sortir en Espagne.
On le sait peu, mais au cours de son histoire l'Espagne n'a cessé d'être un pays d'immigration. Les plus nombreux sont les Français et parmi eux, les Auvergnats. Ils étaient environ 25.000 en Espagne au XVIIe siècle. Rose Duroux, historienne française née à Madrid, retrace avec minutie le parcours de ces hommes, en particulier au XIXe siècle en Castille. Le livre, intitulé en espagnol "Français qui émigrèrent en Espagne" (Franceses que emigraron a España) permet de découvrir comment ces migrants de la Haute-Auvergne (ancien nom du Cantal) ont montré une prédilection pour le pourtour de la Méditerranée (Catalogne, Valence, Andalousie).
Cependant, c’est la région de Madrid, ancienne Castille, qui les a retenus le plus longtemps et ce, jusqu’à la guerre de 1914-1918 qui sonna le glas de cette immigration, lorsque seuls quelques insoumis refusèrent de rentrer en France et s’espagnolisèrent. Même les guerres franco-espagnoles de la Révolution et de l’Empire 1808-1814 qui provoquèrent assassinats et pillage, ne condamnèrent pas cette fidèle migration. D’ailleurs, si l’on jette un coup d’œil dans le bottin téléphonique de Madrid, on y découvrira des noms bien français, auvergnats, tels que Clamagirand, Vermenouze, Selinge, Poudereux, Rhodes ou Lalaurie.
De gabachos à commerçant respectés
Bien que l’origine est controversée, on sait qu’ils étaient appelés au départ gabachos -mot qui désigne avec dédain les Français- car ces Auvergnats, montagnards d’Outre-Pyrénées, très pauvres et qui parlaient mal, acceptaient les tâches les plus viles. Ils étaient méprisés non seulement par le peuple mais aussi par les autorités consulaires françaises. En revanche, les Auvergnats du XIXe siècle -sujet principal du livre- constituaient une véritable colonie fort respectée, composée de boulangers tahoneros à Madrid et de commerçants dans les villages.
C’est ainsi qu’on apprend au fil des pages que les Français ont su profiter d’une carence endémique de boulangeries à Madrid pour devenir boulangers. En effet, Madrid, qui n’a été promue capitale qu’à la fin du XVIe siècle, était incapable de pourvoir à ses propres besoins en pain. Elle comptait alors sur les villages environnants, dont Vallecas. Et c’est ainsi que le nombre de boulangers-meuniers, appelés tahoneros (en France la boulangerie et le moulin étaient séparés) se multiplie, et en 1886, près de 40% des tahonas de Madrid sont françaises.
Quant aux marchands-drapiers, descendants des anciens colporteurs auvergnats, ils sont écartés de la capitale par leurs concurrents espagnols et refoulés vers les bourgades situées à quelques lieues, comme Chinchón, Navalcarnero ou Torrejón de Ardoz. Ils constituent alors dans les campagnes de puissantes compagnies. Le principe est simple. Pendant que les uns restent au comptoir de l’entrepôt, leurs compagnons font des tournées à dos de mulet ; ils répondent ainsi aux besoins de la population rurale en habillement, alimentation et outillage. Ces compagnies connaissent, dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle, une extraordinaire expansion. Ainsi, par exemple, une centaine de personnes gèrent, à Chinchón, une constellation de 25 entrepôts principaux, et leur empire commercial rayonne sur trente ou quarante lieues.
Ces petites maisons de commerce éclatent en 1808, saccagées en réponse à l’invasion napoléonienne, mais après la guerre d’Indépendance et une fois la paix revenue, de petites sociétés resurgissent, pour venir combler un vide commercial tenace dans les campagnes. Ainsi, pas moins de 125 villages des provinces de Madrid, Guadalajara, Cuenca, Toledo vont abriter, au XIXe siècle, de façon plus ou moins continue, une ou plusieurs de ces petites compagnies commerçantes.
Rose Duroux a pu obtenir toutes ces informations en plongeant dans différentes sources. En effet, cette immigration a laissé de nombreuses traces dans la littérature, la presse et dans nombre de centres de documentation, français et espagnol : nationaux, préfectoraux, consulaires, municipaux, paroissiaux, notariaux, hospitaliers, mais aussi dans les archives familiales. L’auteur a ainsi eu la chance de rencontrer plusieurs survivants ou descendants directs de ces migrants d’un autre temps.
L’origine auvergnate de Malasaña
Force est de constater à quel point l’histoire peut jouer parfois de sacrés tours. Un certain François Malassagne, sorti du moulin de Romananges, commune du Cantal, devient boulanger à Vallecas où il se marie (fait rare puisqu’il y a eu très peu de mariages mixtes, ces Français de Castille rentrant au bout de quelques années en Auvergne) ; son fils Juan est le premier a donner son nom à la "Plaza Juan Malasaña" de Vallecas ; mais c’est surtout sa petite fille Manuela, qui nous intéresse : une rue, un quartier et une station de métro l’honorent à Madrid, et ce, pour sa mort héroïque ou non -les versions divergent sur ce point-, le 2 ou 3 mai 1808 contre l’envahisseur français. Malasaña, un des principaux symboles de la résistance contre Napoléon et ses troupes était d’origine auvergnate !
A signaler qu’en plus de sa sortie en espagnol, le livre, qui était épuisé en France (sa publication date de 1992), vient également d’être réédité.
Présentation du livre sur Amazon, ici.