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Pessah en Pologne - la Pâque juive originelle avec Rachel Lea Kesselman - Partie 2

la Pâque juive originelle avec Rachel Lea Kesselman Torahla Pâque juive originelle avec Rachel Lea Kesselman Torah
Rachel Lea Kesselman
Écrit par Bénédicte Mezeix
Publié le 13 avril 2023, mis à jour le 28 mars 2024

La semaine dernière, vous avez fait la connaissance de Patrycja et Maria, catholiques, Iwona protestante et Inna, orthodoxe. Toutes les 4 avaient accepté de partager avec nous les rites, traditions et souvenirs qui les lient à cette période particulière de l’année, qui sonne comme un nouveau départ : Pâques. Cette semaine, Rachel Lea Kesselman, jeune femme juive française, en Pologne depuis 2013 et fondatrice du « Kesselman Museum in Radomsko », le premier musée juif à ciel ouvert en Europe, replonge pour nous dans ses souvenirs et nous raconte les célébrations de Pessah de son enfance ainsi que les moments qu’elle partage aujourd’hui avec la communauté juive de Pologne, dans sa nouvelle vie. Pessah a débuté mercredi 5 avril 2023 au coucher du soleil et la fête prend fin jeudi 13 avril au soir. 


En préambule, un petit casse-tête orthographique

Lors du premier concile de Nicée (Concilium Nicænum Primum), qui s’est tenu dans ce qui est l’actuelle Turquie, du 20 mai au 25 juillet de l’an 325 après J.-C., réunissant des évêques de l’Empire romain, sous l’égide de l’empereur Constantin Ier, il a été décidé de distinguer les Pâques chrétiennes et la Pâque juive, en assignant aux Pâques chrétiennes, une date correspondant au dimanche suivant le quatorzième jour du premier mois lunaire du printemps, célébrant ainsi l’équinoxe et la première pleine lune.

Pâque est féminin et singulier pour désigner la fête juive de Pessah.
Pâques, orthographié ainsi, désigne la fête chrétienne, et malgré sa consonne « s » finale, est masculin singulier, sauf quand il est accompagné d’un adjectif, « Pâques » devient alors féminin pluriel — c’est pourquoi on dit : « Joyeuses Pâques », « Pâques orthodoxes ». Vous suivez ?


Pessah — la Pâque juive originelle

Pessa'h signifie en hébreu « sauter au-dessus » ou « passer par-dessus » — et a donné Pascha en latin, puis Pâques en français. 

La fête de Pâque (au singulier) correspond dans la tradition juive à la commémoration du passage de la mer rouge par les Hébreux et à leur fuite d’Égypte après avoir été réduits en esclavage par Pharaon pendant 400 ans. Conditions de vie effroyables, premiers-nés garçons jetés dans le Nil et noyés… Pour tenter de sauver son peuple, Dieu ordonna à Pharaon — à travers son prophète Moïse — de lui rendre sa liberté à plusieurs reprises mais Pharaon refusait constamment jusqu’à ce que Dieu lui envoie la fameuse 10e plaie, la mort des premiers-nés. 

Le terme de Pessa'h renvoie à la notion de passage, traduisant ainsi sa double dimension : celui de la terre d’exil vers la terre promise, ainsi que le passage de l’esclavage à la liberté pour le peuple hébreu. Pessah a débuté mercredi 5 avril 2023 au coucher du soleil et prend fin jeudi 13 avril au soir. 

 

Rachel Lea Kesselman, jeune femme juive française, qui vit en Pologne depuis 2013, est fondatrice du « Kesselman Museum in Radomsko», premier musée juif à ciel ouvert en Europe. Elle a accepté de replonger pour nous dans ses souvenirs en nous racontant les célébrations de Pessah de son enfance ainsi que les moments qu’elle partage dorénavant avec la communauté juive de Pologne.

 

Lepetitjournal.com/Varsovie : Rachel, que représente Pessah pour vous ?

Rachel Lea Kesselman : Pessah est la sortie d’Égypte par les Hébreux qui vont chercher la liberté, en particulier sur la terre de Canaan, telle que promis à leurs ancêtres. C’est aussi la confiance totale en Dieu qui fait un cadeau énorme au peuple juif, mais néanmoins, il faut aussi se battre pour obtenir cette liberté et de vivre enfin sur sa terre. C’est le miracle dans l’agissement.

La sortie d’Égypte, c’est la sortie du monde profane qui mène vers ce qui va devenir la Nation juive avec une spiritualité nouvelle et des rites bien particuliers. Pessah est une fête très joyeuse mais aussi très contraignante… Une grande spécificité du judaïsme ! (rires). La SimHa, la joie, est l’essence même du judaïsme. L’avant dernière parasha de la Torah met d’ailleurs l’accent sur ce point : « le secret réside dans la joie » : en ayant la joie au cœur, on attire toutes les bonnes choses.

Et à travers la « joie », on entend aussi la confiance en soi ou en un Être plus grand que soi qui nous protège, alors pourquoi aurait-on peur ?  — les nouveaux gourous de « la loi de l’attraction » n’ont donc rien inventé ! (rires)

 

Pessah c’est une fête mais aussi des contraintes. Pourriez-vous nous expliquer lesquelles par exemple ?

Les contraintes de Pessah sont très nombreuses. Les 3 contraintes principales sont de ne pas manger de Hametz, de ne pas en posséder, ni d’en tirer profit. Le Hametz, c’est tout ce qui va fermenter, en particulier le levain, qui allégoriquement représente l’orgueil, et dont il faut se débarrasser. Cela passe par le pain, les biscuits, les féculents comme le riz et les pâtes, mais aussi les shampoings, les crèmes pour le visage, les parfums, les produits ménagers, il y en a partout en fait… ! Il faut se défaire de tous ces aliments et produits — là, soit en les donnant un jour avant la fête en tsedaka (don, charité), soit en les enfermant dans des cartons qu’on entreposera dans une pièce à part et que l’on n’ouvrira plus pendant les 8 jours de Pessah.

C’est une recherche minutieuse dans tout l’appartement, dans la ou les voitures, les vêtements, les sacs…

Pour la cuisine, là où se trouve le plus de Hametz, il faut s’y prendre, quand on est célibataire, au moins 3 jours à l’avance. C’est déjà assez long, alors quand on est une maman de 2, 3, voire 8-10 enfants dans les familles ‘hassidiques, ça doit être très compliqué ! Il faut aussi laver l’intérieur des placards afin d’enlever la moindre poussière de Hametz

 

Rangement Pessah
Photos : Rachel Lea Kesselman 

 

On scotche certains placards avec tous les produits Hametz à l’intérieur et on recouvre le plan de travail de papier aluminium. On a aussi une vaisselle spécifique (et toute la batterie de casseroles et autres poêles, couverts...) qui ne sert que pour les 8 jours de Pessa’h. 

On peut voir ce ménage extrême comme une grosse pression. Néanmoins, sans ce « tsav », cet ordre, il serait peu probable que l’on fasse une fois par an cet examen si minutieux de toute la maison.

Et par extension, une remise en cause de soi-même, l’occasion d’un redémarrage, d’un renouveau. C’est sûrement de notre fête de Pessa’h que vient le fameux « ménage de printemps » !

 

Rachel, quels souvenirs d’enfance de Pessah gardez-vous ?

Mes souvenirs d’enfance de Pessah, c’est à Cannes quand j’aidais maman à faire ce ménage spécifique et à faire des courses scrupuleuses pour Pessah avec les produits autorisés de la liste du Consistoire. Papa me racontait des anecdotes de son enfance et il chantait très bien. Comme mon Papa était survivant de la Shoah — il était issu d’une famille ‘hassidique de Radomsko mais était devenu séculaire avec toutes les horreurs de la guerre — nous n’étions que tous les 3, Papa, Maman et moi. Ce n’est pas comme en Israël, à Los Angeles, à New York où, depuis des années, les gens ont recréé des familles entières, se retrouvant à 10, 20, 30 à table ! Pour moi ça n’a jamais été le cas. On invitait éventuellement des amis de mes parents, eux aussi survivants de la Shoah. Mais, c’était quand même très joyeux, avec le caractère bon vivant de Papa qui menait le seder à la perfection (le repas suit une orchestration spéciale, avec une série de légumes à manger dans un ordre symbolique et beaucoup de jolis chants). Et bien sûr, c’est moi qui chantais le Ma nishtana, les 4 questions rituelles entonnées par le plus jeune membre de la famille. 

Les petits déjeuners, c’était la matza (pain azyme) recouverte de fromage blanc et de confiture à la fraise ou la fameuse matza au chocolat noir. Un délice !

La veille de Pessah, on se hâtait de terminer les préparatifs. Il y avait une belle ambiance : avec Papa, on cherchait à la bougie les 10 petits morceaux de pain enveloppés dans du papier aluminium que maman avait dissimulés ici ou là dans la maison, tel que le préconise la tradition (et je suis persuadée que la recherche des œufs dans le jardin à Pâques vient de là).

On s’amusait bien ! J’avais 10-12 ans, mon Papa en avait 65 et on cherchait ensemble comme deux enfants. Papa qui était un remarquable homme d’affaires avait su garder son âme d’enfant, c’était très attendrissant. 
Mais pour moi, Pessah c’est aussi malheureusement la nuit de son décès, le 8 avril 2001. Ça a été un choc atroce. Depuis, Pessah est aussi une nuit et une période un peu difficile parce que ça me replonge dans cette nuit de Pessah-là. Et c’est difficile de « passer par-dessus », comme l’expression est bien trouvée…

 

Comment se passe dorénavant Pessah en Pologne, depuis votre installation en 2020 ?

Pour les produits cashers, il y a à Varsovie un petit magasin qui fait à peine 10 m² où il n’y a pas grand-chose, disons les produits emblématiques de Pessah : de la matza, du gefilte fish, des kneidelech, les matzot au chocolat, du lait surveillé pour Pessah…  A Nice, on a plusieurs supermarchés cashers très bien achalandés et ça me manque, surtout pour les produits frais et laitiers. 

Pour Pessah 2020 et 2021, quand il y avait le confinement, j’ai demandé au Grand Rabbin de Pologne : « Mais comment faire sans yaourts ? » (car d’habitude, je voyageais en France et je ramenais quelques bons produits cashers lé-Pessah en mini frigo). Il m’a répondu : « Pour les yaourts, en Pologne les bios nature, c’est autorisé ». C’est assez limité mais je crée mes yaourts aux fruits… en y mettant de vrais fruits, et voilà !

Pour le reste, Maman a la gentillesse de m’envoyer un petit colis avec notamment du dentifrice casher lé-Pessah, des bouillons-cubes aussi parce qu’à Pessah on fait beaucoup de soupes de légumes avec des kneidelech, les typiques petites boulettes de farine de matza qui gonflent dans l’eau, c’est délicieux. 

Je dois souligner qu’à Varsovie, le rayon bio de Carrefour est une excellente source d’approvisionnement pendant Pessah (et pour la cashrout toute l’année de manière générale). Si seulement les étiquettes polonaises pouvaient être collées ailleurs que sur la liste des ingrédients français, ce serait parfait ! 

 

Qu'en est-il du seder de Pessah en Pologne ?

Après le décès de mon Papa, c’est devenu douloureux de fêter Pessah à Nice dans des conditions similaires à cette nuit-là, chez Maman. Depuis, je m’échappais toujours dans la famille en Argentine, en Israël, à Los Angeles ou plus simplement au seder communautaire à Monaco.

Depuis une dizaine d’années, je le fête souvent à Varsovie entourée de mes amis. Le Grand Rabbin de Pologne récite très bien la Hagada de Pessah comme le faisait mon père, il me le rappelle un peu. 

Est-ce qu'il y a des choses qui vous agacent durant Pessah ?

Certaines personnes se plaignent des restrictions pendant Pessah ! En tant qu’enfant de survivant, ça m’est insupportable ! Mon grand-père était marchand de grains en gros avant la guerre et approvisionnait en nourriture les alentours jusqu'à 40 kilomètres autour de Radomsko. Pendant la guerre, mon père a fait vivre sa famille pendant 28 mois sous terre dans la forêt : 6 personnes dans 2 mètres cubes, sans l’aide de qui que ce soit. Seuls lui et son petit frère sortaient la nuit pour chercher des pelures de pommes de terre, la seule chose qu’ils ont mangé pendant 28 mois. Il y a de nos jours une telle abondance de fruits, de légumes, de poissons, de matza, de chocolats cashers lé-Pessah, comment peut-on se plaindre ?! 

 

Rangement Pessah
Photos : Rachel Lea Kesselman

 

Pessah est une période où l’on cherche à se débarrasser du Hametz que l’on a chez soi, mais aussi en soi. Faire profil bas et réaliser que même avec peu, on ne manque de rien. 
Moshe rabbenu, Moïse, était l’homme le plus aimé de Dieu car il était le plus humble de toute la terre. Nous pouvons « en prendre de la graine » ! (sans mauvais jeu de mot… à Pessah ! rires).


PessaH casher vésameaH !