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Entretien avec Frédéric Petit, député des Français à l’étranger

Frédéric Petit LPJFrédéric Petit LPJ
Écrit par Lepetitjournal.com Varsovie
Publié le 21 avril 2021, mis à jour le 21 avril 2021

Frédéric Petit : « La France et l’Union européenne ne peuvent pas faire de compromis sur l’Etat de droit en Pologne »

 

Entretien avec Frédéric Petit, député des Français établis à l’étranger (Allemagne, Europe centrale, Balkans)

 

Lepetitjournal.com : Les relations franco-polonaises connaissent récemment un regain d’intérêt avec la visite en Pologne de deux ministres, MM. Riester et Beaune à quelques jours d’intervalle, suivi de la visite du vice-Premier ministre polonais Jarosław Gowin et du Premier ministre Mateusz Morawiecki en France au début du mois de mars. Quels sont les sujets et secteurs stratégiques d’intérêt commun entre nos deux pays aujourd’hui ?

Frédéric Petit : Nous avons de nouvelles perspectives de coopération sur l’énergie, l’agriculture, les nouvelles technologies et l’industrie notamment. Cela s’ajoute aux thématiques européennes communes qui sont aujourd’hui particulièrement urgentes et sur lesquelles le couple franco-allemand joue le rôle de moteur que nous pourrions élargir à la Pologne, en particulier le changement climatique, la solidarité dans la gestion de la crise sanitaire et la relance économique. Les coopérations franco-polonaises sont toujours plus nombreuses et plusieurs projets devraient rebondir lorsque le plus dur de la crise sanitaire sera passé.

 

Lepetitjournal.com : La récente visite du secrétaire d’Etat chargé des affaires européennes a fait l’objet d’une brève polémique autour de la question des droits et libertés, notamment de la communauté LGBTI en Pologne. Cette question de l’Etat de droit est régulièrement soulevée au sein de l’UE. Quelle est votre analyse de la situation en Pologne ?

Frédéric Petit : La polémique a été un petit peu exagérée par la presse. Comme je l’ai dit à l’agence de presse polonaise[1], les désaccords entre Etats Membres de l’UE ne sont pas quelque chose de nouveau. L’Union européenne est un formidable espace de médiation où les Etats apprennent à modérer leurs positions et à s’écouter les uns les autres. C’est sans précédent dans l’histoire européenne.

Le sujet fondamental sur lequel le France ne peut pas faire de compromis est l’Etat de droit, notamment parce que les autres points de friction en découlent directement ou indirectement. Par exemple, la loi sur l’avortement de 1993 a été jugée inconstitutionnelle par un Tribunal constitutionnel dont l’impartialité et l’indépendance n’est plus aujourd’hui pleinement reconnue par les autres cours constitutionnelles européennes. Lors de la visite du ministre Clément Beaune à Varsovie, les grévistes de « Strajk Kobiet » (la Grève des femmes) et les militants des droits LGBT+ nous ont d’ailleurs confirmé qu’ils avaient surtout besoin de s’appuyer sur un cadre juridique sécurisé et sur des institutions crédibles pour lutter contre les discriminations. C’est sur ce sujet que la diplomatie française et européenne peut et doit agir. Pour le reste, les Polonaises et les Polonais ont l’expérience des luttes et des libérations, et se sont déjà largement engagés dans le débat de société en Pologne et sur le traitement des sujets de fonds.

Nous devons aussi nous assurer que les fonds européens massifs de relance de 750 milliards d’euros seront utilisés en accord avec les règles standard de transparence comptable et de contrôle démocratique des fonds publics et que les tribunaux resteront un recours fiable en cas de litige. Sans cela, c’est la crédibilité de l’UE comme acteur-clé de la relance économique qui est remise en cause.

 

Lepetitjournal.com : Vous présidez le groupe d’amitié France-Pologne à l’Assemblée nationale. En quoi ce travail permet-il d’améliorer la relation franco-polonaise et au-delà, la coopération entre parlements et Etats membres au sein de l’Union européenne ?

Frédéric Petit : C’est essentiel, parce que lorsque nous nous rencontrons, nous pouvons nous dire les choses en toute franchise. Pour la Pologne, je pense bien entendu à l’indépendance de la justice, aux zones dites « anti-idéologie LGBT » et aux droits des femmes. Pour la France, il y a eu l’épisode des Gilets Jaunes (j’étais venu à la Sejm échanger à ce sujet avec mes homologues polonais), les grèves sur les retraites et plus récemment la convention citoyenne pour le climat. Tout cela attire l’attention internationale.

En nous rencontrant régulièrement nous évitons les postures stériles et voyons comment nous pouvons avancer ensemble. Lorsque la Pologne a menacé d’utiliser son veto au Conseil de l’UE sur le mécanisme de conditionnalité des fonds européens à l’Etat de droit, j’ai immédiatement envoyé un courrier formel à mon homologue polonaise Anna Paluch, qui m’a répondu en substance qu’elle comprenait mes inquiétudes et se réjouissait que le gouvernement polonais ait entre-temps reculé sur cette question fondamentale.

Je dirais que les parlementaires représentent une « troisième voie » de dialogue, à mi-chemin entre les médias qui relèvent attentivement toutes les polémiques et la diplomatie gouvernementale plus formelle.

 

Lepetitjournal.com : En Pologne, vous êtes « chez vous », comme partout en Europe, vous le dîtes souvent. Votre connaissance intime du pays vous donne-t-elle une vision plus fine des réalités de ce pays que ne perçoivent pas forcément les gouvernants français et européens à l’heure actuelle ?

Frédéric Petit : Lorsque le ministre délégué aux affaires européennes Clément Beaune est venu saluer la maire de Gdańsk Aleksandra Dulkiewicz et se recueillir sur la tombe de Paweł Adamowicz, j’étais à ses côtés ; j’avais rencontré personnellement Pawel Adamowicz quelques mois avant son assassinat. Sa mort m’a beaucoup affecté. Je crois sincèrement que les relations internationales vont bien au-delà des intérêts et des rapports de force, c’est avant tout des histoires humaines, des liens entre les peuples, c’est très profond. Lorsque pendant plus de cent ans la Pologne n’avait pas d’Etat, l’intelligentsia polonaise venait à Paris pour respirer l’air de la liberté et continuer à faire vivre leur peuple hors les murs. Frédéric Chopin, Adam Mickiewicz, Marie Curie ou encore le général Józef Haller : tous ces grands Polonais ne sont pas liés à la France par hasard ! C’est la même chose pour les nombreux descendants des mineurs polonais du Nord de la France ou des bassins miniers de la région stéphanoise qui se sont liés à notre pays et souhaitent entretenir cette mémoire.

 

Lepetitjournal.com : Lorsque vous êtes en Pologne, vous rencontrez des concitoyens français et de nombreuses personnalités institutionnelles et politiques. Que vous apporte le fait d’être à l’interface entre ces deux univers très distincts ?

Frédéric Petit : Le dialogue permanent avec les concitoyens  de la 7ème circonscription des Français établis à l’étranger est une priorité de mon mandat.

Bien avant le Grand Débat National (j’ai organisé une douzaine de rencontres du Grand Débat dans les différents pays de ma circonscription), j’organisais chaque année un cycle de rencontre avec les citoyens : sur le budget de l’Etat, sur l’Europe, sur la transition écologique, etc. Avant l’épidémie, je me déplaçais régulièrement dans ma circonscription. J’ai organisé à Varsovie une discussion sur le budget de l’Etat en 2018, deux débats sur l’Europe, l’un avec la professeure de lettres et ancienne militante de Solidarność Liliana Sonik en 2019, l’autre avec le politique et également ancien acteur important de Solidarność Paweł Zalewski en 2020, ainsi qu’un Grand Débat National à Varsovie en 2020.

Depuis le covid-19, j’organise de  nombreux échanges en ligne. Nous avons récemment invité la sociologue Dominique Schnapper à parler de laïcité, le fondateur de Conspiracy Watch Rudy Reichstadt à parler du phénomène du complotisme.[2]

La rencontre avec des responsables polonais est également essentielle. Il est pour moi crucial de parler des investisseurs français, des lycées français et des associations francophones locales lorsque je rencontre le maire de Varsovie, Rafał Trzaskowski, le maire de Cracovie, Jacek Majchrowski ou encore le maire de Poznan, Jacek Jaśkowiak. Ces dirigeants sont conscients que les populations françaises contribuent au dynamisme et à la vitalité du pays, avec les francophiles, les francophones et toutes les autres minorités et cultures qui font la richesse de la Pologne. Lorsque je me rends au Forum économique de Krynica (maintenant à Karpacz), je fais l’effort de mettre de côté mes convictions partisanes pour parler à l’ensemble des décideurs et médias polonais, qu’ils soient dans la majorité ou dans l’opposition, parce que la présence française en Pologne est très appréciée et que cela est bénéfique pour l’ensemble de la communauté française et francophone du pays.

La démocratie, ce n’est pas juste un processus électoral. C’est aussi une culture du débat, des « désaccords fraternels » comme je le dis souvent. Elle exige que nous, responsables politiques, allions à la rencontre des citoyens.

 

Lepetitjournal.com : Comment la communauté française de Pologne traverse-t-elle la crise sanitaire et voit-elle l’avenir proche ?

Frédéric Petit : Nos concitoyens sont sous pression, le contexte économique est difficile, comme pour l’ensemble de la population. Des amis sont malades, des décès nous ont frappés.

Mais je vois aussi que nos concitoyens ne baissent pas les bras, qu’ils s’adaptent, trouvent des solutions. Les Polonais disent « Polak potrafi », et nous nous disons, « impossible n’est pas français ».

Depuis le début de l’année, j’ai interpellé le Gouvernement sur le coût des tests, rendus obligatoires avant tout déplacement en France, parce qu’il est important que ces tests soient pleinement remboursés.[3] Un tout nouveau dispositif permet désormais à des PME des Français établis à l’étranger de recruter des « volontaires internationaux en entreprise ». C’est un progrès attendu depuis longtemps, et c’est à saluer.[4]

Je constate que les Alliances françaises (présentes à Łódź, Wrocław, Gdańsk, Katowice, Lublin, Szczecin, Bydgoszcz¸ Toruń) ont su être résilientes et s’adapter pour passer rapidement aux cours en ligne dans un contexte pourtant extrêmement tendu. L’Institut français à Varsovie et Cracovie a également su faire face, et je veux m’assurer que l’ensemble des acteurs du réseau culturel bénéficient de leur reconnaissance et de leur lien avec la France.

 

Je sais aussi que le lycée français de Varsovie a fait des efforts importants pour s’adapter au contexte sanitaire depuis maintenant plus d’un an. En tant que rapporteur sur les dépenses budgétaires de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE) j’auditionne régulièrement l’AEFE, j’échange avec la direction et le conseil d’administration du lycée de Varsovie et des autres lycées à l’étranger et reste particulièrement à l’écoute des familles qui sont éprouvées en cette période difficile.

 

 

 

 

 

[3] Ma lettre du 11 février 2021 au Secrétaire d’Etat Jean-Baptiste Lemoyne sur les tests, les contrôles aux aéroports et la vaccination : https://frederic-petit.eu/situation-des-francais-de-letranger-pendant-la-crise-ma-lettre-a-jean-baptiste-lemoyne/

[4] Pour en savoir plus sur le dispositif, baptisé « EFE International », pour « Entrepreneurs Français à l’Etranger » : https://www.forum-efe.org/news/detail-dune-actualite/news/lancement-de-efe-international-4.html  Sur le site de la CCI France International : https://www.ccifrance-international.org/services/le-vie/efe-international.html

lepetitjournal.com varsovie
Publié le 21 avril 2021, mis à jour le 21 avril 2021

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