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Féministe en Pologne : Weronika Śmigielska, l’engagée contemporaine

Weronika - Tomasz ZawadaWeronika - Tomasz Zawada
Weronika Śmigielska ©Tomasz Zawada
Écrit par Pauline Roussel
Publié le 19 février 2019, mis à jour le 19 février 2019

Nous retrouvons Pauline, alliée féministe, jeune bretonne de 21 ans, qui a décidé de partir en Pologne rencontrer les luttes des femmes polonaises, le temps de quelques mois pour cerner l'histoire des mouvements pour l'émanciaption des femmes en Pologne et la partager par-delà les frontières. Pour cela, elle a décidé d'aller à la cueillette de récits de vies des féministes du pays. 

 

À 28 ans, Weronika Śmigielska, donne l’impression d’avoir vécu plusieurs vies. De ses études qu’elle commence à Poznań, ville de son enfance, en licence de lettres espagnoles à l’inscription de son nom sur les listes électorales locales et parlementaires, toute une suite d’engagements politiques ont marqué son chemin. Le 23 octobre, elle me partageait sa vie d'activiste. 

 

« 18h à Ogniwo t’irait bien ?  »

18h01 … 18h07 … 18h10 passés. Elle arrive, trempée et essoufflée. Elle s’excuse de son retard et me tourne le dos dans la foulée pour poser ses affaires. Hyper active ou activiste ? Question que je me pose avec malice. Weronika est co-fondatrice de la coopérative Ogniwo, un café librairie qui est aussi un centre social et culturel où se mêlent les luttes militantes. C’est ici que nous nous sommes rencontrées pour la première fois. 

Quelques minutes plus tard elle revient vers moi. « Je suis venue en vélo, oh la la, il pleut des cordes». Pas de doute, elle parle la langue de Molière comme sa langue maternelle. Accueillante et souriante, il est tout de même possible en cette fin de journée de déceler sur le visage de Weronika une envie intempestive de regagner son lit. Toujours est-il qu’elle est présente et s’agite avant que notre discussion ne commence. Enfin, tout est prêt. Je me surprends à la tutoyer avec légèreté. En compagnie de Weronika, une atmosphère complice se crée facilement. Comme elle le souligne « Je n’ai pas de mal à parler de moi». Quelques rires parfois gênés parsèment notre discussion mais c'est avec aisance qu’elle se confie sur son engagement et ses idées politiques.

 

« À Cracovie, je suis devenue une activiste, disons … urbaine. »

Weronika vit depuis sept ans à Cracovie. Elle y est venue pour faire son master en culture contemporaine. Avec le sourire au coin des lèvres, elle avoue : « Je suis devenue ici une activiste disons … urbaine. Enfin, c’est là où mon féminisme s’est renforcé. Pourtant, quand je suis arrivée à Cracovie j’étais persuadée que je me consacrerais uniquement à ma vie étudiante ...»

Elle rit. On peut déceler une part de nostalgie dans sa voix et ses gestes. Elle ne parle pas de son enfance. Comme si tout avait commencé à Cracovie. Pourtant, elle me confie qu’avant elle était scoute depuis 10 ans, dans l’organisation la moins « conservative » des deux existantes en Pologne. Pour elle, c’était aussi une forme d’activisme. Sans le scoutisme beaucoup de choses dans sa vie seraient différentes aujourd’hui, notamment son engagement féministe. Elle répète souvent que, tout ça, ce sont de « longues histoires » mais elle prend tout de même soin d’en livrer quelques-unes. 

 

L’effet « boule de neige »

En culture contemporaine, Weronika a évolué dans le monde activiste puisqu’il s’agissait d’études très politiquement engagées. Elle y côtoyait des personnes souhaitant mobiliser les étudiant(e)s au-delà des activités liées à l’université. « C’était un peu un endoctrinement … enfin, dans le bon sens ! Et puis, c’est parti comme une boule de neige. Aujourd’hui, ce master n’existe plus, va savoir pourquoi.»

En 2012, elle participe à son premier « camp de protestation » sur la place du vieux marché de Cracovie. Dans cette ambiance militante,  Weronika connaît des personnes engagées à Cracovie avec lesquelles elle fonde l’initiative « droit à la ville ». Cette initiative n’a pas tenu mais elle a donné naissance à un forum des habitants de Cracovie. Pour la première fois, de nombreux activistes s’y rencontraient  pour parler d’une vision de la ville en commun. « C’est aussi à cet événement que j’ai rencontré des personnes qui sont aujourd’hui à Ogniwo, dont certaines avec qui j'ai participé à sa création.»

Par la suite, elle s'engagea dans critique politique où elle faisait partie d’un club de discussions pour les « intellos de gauche ».  À cette même période, elle s’est engagée dans l’organisation des manifa de Cracovie. Il s'agit des manifestations par et pour les femmes de Pologne. « À Cracovie, c’est l’un de mes plus longs engagements même si cette année j’étais moins présente dans le comité. J’y ai participé de l’extérieur, comme tant d’autres femmes mobilisées. »

Cet effet « boule de neige » a eu des répercussions jusqu’à aujourd'hui. Les projets qui restent les plus importants pour Weronika sont Ogniwo et son bénévolat dans l’association la ville en commun (miasto wspólne en polonais).

 

Le regard avisé de Weronika sur la politique polonaise

Malgré un léger essoufflement dans son engagement, Weronika se sent toujours très attachée à tout ce qui encourt dans sa ville. La politique polonaise reste un domaine pour lequel elle cultive une certaine curiosité. « De nos jours, beaucoup de mouvements bataillent contre le gouvernement qui met en danger nos libertés. Pourtant, en ces temps-ci, appeler notre gouvernement un système totalitaire me paraît toujours une exagération. Avant lui, les attaques basées sur l’homophobie, le sexisme et la xénophobie existaient déjà. Ces agressions et le chauvinisme n’ont pas été inventés en 2015 quand Andrzej Duda est arrivé au pouvoir avec le parti d’extrême droite PiS.» Elle bâille. Je lui demande si parler une autre langue que la sienne ne la fatigue pas trop. Elle me rassure, elle aime parler le français. Ainsi, elle continue sur sa lancée. 

Elle explique que ces dernières années, le débat entre féminisme libéral et social s’est développé. Les voix des mères du féminisme, plus libérales et toujours en faveur de la « Pologne libérée » du communisme, restent majoritaires. Cependant, elles font face aux jeunes comme Weronika, issus d’un féminisme plus social. Une nouvelle génération qui essaye de faire entendre à ces fondatrices que leurs problèmes sont nouveaux et qu’ils existent aussi par leur faute. « La gauche, la vraie en Pologne, n’arrive pas à s’organiser. Il en est de même pour certains mouvements féministes. La question étant de savoir, est-ce que les organismes plus radicaux devraient cacher un peu leurs idées et se rallier à une partie de la scène politique plus libérale pour faire face au PiS ? Ou bien, est-ce qu’ils ne feraient pas mieux de présenter leurs propres visions d’une Pologne solidaire sans entrer dans cette vision polarisée de la politique ? »

 

« Être activiste ne suffit pas. Il faut entrer en politique. »  

« Aujourd’hui, chaque domaine de notre vie publique subit des changements en Pologne. Des propositions de loi font surface et nous menacent. Encore une fois, c’est le cas de la loi pour l’interdiction totale de l’IVG…». Weronika ressent de la colère contre son gouvernement. Pour elle, cela ne suffit pas d’être activiste. Il faut s’engager en politique pour faire bouger réellement le cours des choses. Pour sa part, l’engagement politique ne lui fait pas peur ayant déjà milité pour le parti de gauche Razem et les verts. À ce sujet, elle confie que ces derniers temps le changement climatique la préoccupe plus. Nous terminons notre échange sur une lueur d’espoir. « Peut-être qu’un jour la prochaine convergence des luttes se fera entre féministes et écologistes … qui sait ? ». Peu importe la lutte, nous cherchons toujours à œuvrer en faveur d’un meilleur vivre ensemble. Weronika évoque pleinement cette quête.

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