Édition internationale
Radio les français dans le monde
--:--
--:--

SMOLENSK – Les rebondissements de l’enquête

Écrit par Lepetitjournal.com Varsovie
Publié le 1 janvier 1970, mis à jour le 14 janvier 2013

 

Si 2011 avait été pour les médias étrangers l'année de la clôture de l'enquête sur la tragédie de Smolensk survenue en avril 2010, 2012 a été en Pologne l'année de toutes les suspicions autour de la catastrophe. Alors qu'en est-il des traces de matériaux explosifs détectées en octobre dernier sur l'épave de l'avion du président Kaczy?ski ? Éclaircissements...

Article « Du TNT sur l'épave du Tupolev - Enquête de Smolensk (...) » 30.10.12

Accident ou attentat ?
Dès le mois de janvier, les analyses scientifiques des voix enregistrées sur la boîte noire, relançaient la polémique en révélant le caractère erroné des affirmations contenues dans les rapports d'enquête officiels sur la présence du chef de l'armée de l'air polonaise dans le cockpit. Une présence à la base de la thèse selon laquelle des pressions politiques auraient été exercées sur les pilotes pour atterrir malgré de mauvaises conditions. Après une audition publique au Parlement européen, fin mars 2012, en présence de scientifiques et d'experts travaillant pour la commission d'enquête parlementaire mise en place par le parti conservateur PiS, Jaros?aw Kaczy?ski, leader du PiS et frère jumeau du président défunt, n'hésite plus à clamer sa conviction qu'il y a eu attentat. En octobre à Varsovie, un colloque a réuni une centaine de scientifiques polonais qui, pour la plupart, ont remis en cause les conclusions officielles, argumentant en faveur de la thèse d'une explosion en vol d'origine criminelle ou technique. 

 Imbroglio politico-médiatique?
Néanmoins, pour attirer l'attention des médias étrangers il a fallu la publication le 30 octobre dernier par le journal Rzeczpospolita ("La République") d'un article sur la présence de TNT et de nitroglycérine détectée sur l'épave du Tupolev par une équipe d'enquêteurs polonais. Si la nouvelle a fait l'effet d'une bombe, elle a cependant suscité le jour-même un démenti partiel de la part du parquet militaire polonais et une rétractation de la part du journal. Jaros?aw Kaczy?ski a parlé d'un crime terrible et Donald Tusk, qui a pris pour lui ces accusations de crime, même si ni lui ni son gouvernement n'avaient été désignés, a déclaré qu'il n'était pas possible de vivre dans le même pays que le leader du principal parti d'opposition. Ce à quoi Kaczy?ski a répondu, toujours par caméras de télévision interposées, en se demandant si le premier ministre avait l'intention de le tuer ou simplement de le bannir du pays.

Mis à part cette guerre politico-médiatique polono-polonaise, il semble finalement que les médias étrangers n'aient retenu que le démenti des procureurs militaires polonais, selon lequel la présence de traces de matériaux explosifs n'avait pas été établie. Pour les personnes qui ont suivi d'un peu plus prêt le déroulement de l'enquête sur la tragédie du 10 avril 2010, ce démenti laisse toutefois songeur. 

Pourquoi des recherches aussi tardives ?
La première question qui vient à l'esprit, est pourquoi les autorités polonaises n'ont recherché des traces de matériaux explosifs sur l'épave qu'en octobre 2012, soit deux ans après le crash ?, Elles affirmaient pourtant avoir fait le nécessaire au printemps 2010. En fait, les enquêteurs polonais n'avaient analysé en 2010 qu'un tout petit nombre d'échantillons. Ce serait les zones d'ombre dans les rapports d'analyses des autorités russes, mais aussi certains indices relevés sur les corps des victimes exhumées en Pologne cette année, qui auraient poussé le parquet militaire polonais à envoyer sur place en octobre une équipe d'experts équipée de détecteurs de matériaux explosifs.

 ? Et quelles conclusions pour ces recherches ?
On peut également se demander ce qu'ont réellement détecté ces appareils. D'après le fabricant polonais de deux des appareils utilisés, mais aussi d'après les procureurs militaires, les détecteurs utilisés indiquent la présence de composés chimiques précis. Certains détecteurs auraient bien indiqué à plusieurs reprises la présence de TNT et de nitroglycérine. Ne nous emballons cependant pas trop vite, le fabricant des appareils lui-même affirme que si la présence de ces traces est pour lui établie, leur origine (explosion ou pas) ne peut être déterminée que par les analyses de laboratoire en cours (qui devraient prendre 6 mois, sachant cependant que les échantillons sont restés 2 mois en Russie avant d'être remis aux Polonais, ce qui ne manquera pas de jeter une ombre sur les résultats de ces analyses).

Et les implications médiatiques dans tout ça ?
Une dernière question se pose pour comprendre pourquoi le journal Rzeczpospolita s'est rétracté aussi vite et aussi complètement, alors que les procureurs polonais ont finalement confirmé les dires du journaliste à l'origine de l'article "Du TNT sur l'épave du Tupolev". Ce journaliste maintient d'ailleurs toujours ses thèses et affirme avoir obtenu ses informations de quatre sources différentes qu'il tient pour fiables. Sans prétendre détenir la clé de l'énigme, on rappellera que le propriétaire actuel du quotidien Rzeczpospolita a racheté ce journal en 2011 dans des circonstances quelque peu troublantes. Le propriétaire précédent, le fonds d'investissement britannique Mecom, lui a vendu ses parts (51 % du capital) après que l'État polonais avait refusé à plusieurs reprises de lui céder sa participation (49 %). L'Etat polonais avait également exercé des pressions sur Mecom pour faire changer le rédacteur en chef de Rzeczpospolita, à l'époque le plus grand quotidien d'opposition. Après que Mecom a vendu ses parts à M. Grzegorz Hajdarowicz, celui-ci n'a eu aucun problème pour racheter les 49 % qui appartenaient à l'État. Très rapidement après, le rédacteur en chef qui semblait tant gêner le gouvernement de Donald Tusk était remercié. Il est également intéressant de savoir que Grzegorz Hajdarowicz a prévenu le gouvernement polonais de l'article à paraître sur les traces de matériaux explosifs, dans la nuit qui a précédé sa publication, et qu'il a ensuite licencié l'auteur de l'article ainsi que le rédacteur en chef de Rzeczpospolita qui avait approuvé la publication.

Des circonstances à méditer puisqu'il ne fait aucun doute que si la thèse de l'attentat devait être confirmée un jour le premier ministre Donald Tusk et son gouvernement se retrouveraient dans une situation très inconfortable. D'un autre côté, chaque nouvelle polémique autour de la question de la tragédie de Smolensk semble nuire à Kaczy?ski et à son parti "Droit et Justice" (PiS) au bénéfice de la "Plateforme civique" (PO) de Donald Tusk. Cette affaire de TNT ne fait pas exception puisque le PiS, en tête dans les sondages en octobre pour la première fois depuis l'arrivée du PO au pouvoir en 2007, est de nouveau retombé derrière le PO après ce retour de Smolensk sur le devant de la scène médiatique.

Olivier Bault (www.lepetitjournal.com/varsovie) - Jeudi 10 janvier 2013

lepetitjournal.com varsovie
Publié le 10 janvier 2013, mis à jour le 14 janvier 2013
Pensez aussi à découvrir nos autres éditions