Aussi étonnant que cela puisse paraître, le grand rabbin de Haute-Silésie et de Katowice, Yehoshua Ellis, a bien prononcé ces mots lors d'une interview qu'il nous a accordée: « La Pologne est un endroit merveilleux pour vivre quand on est juif aujourd'hui ». Excès de diplomatie, optimisme forcené ou regard réaliste ? Même si la situation des juifs en Pologne est désormais bien meilleure comparée à ce qu'elle était pendant la période communiste, l'interview qui suit peut parfois surprendre. Cependant, il n'en reste pas moins que la culture juive n'a jamais été aussi visible et présente en Pologne depuis 1989.
Qu'est-ce qu'être juif à Varsovie ou en Pologne aujourd'hui ?
Varsovie est un endroit merveilleux quand on appartient à la communauté juive. On y trouve 2 musées juifs, 3 restaurants cacher, 4 synagogues, des monuments historiques... Cette communauté prospère depuis quelques années dans la capitale polonaise, mais la situation est loin d'être aussi idéale dans le reste du pays. Les communautés juives des villages ou des petites villes se vident, et seules celles des grandes villes du pays parviennent à perdurer. C'est le cas par exemple à Cracovie, Katowice, Lodz, Gdansk, Pozna? ou encore Lublin.
Combien de juifs vivent aujourd'hui en Pologne ?
Personne ne le sait. Il existe certaines statistiques qui tentent d'estimer cette population, mais elles sont très peu précises. Déjà, il convient de déterminer la définition à donner d'un juif : est-on juif parce que nous avons des origines juives ou parce que nous pratiquons cette religion ? Les estimations qui ont été effectuées estiment cette population entre 5 000 et 60 000 juifs en Pologne aujourd'hui, dont plus des deux-tiers vivraient à Varsovie.
Comment vivent les juifs en Pologne ?
La situation s'est-elle améliorée depuis 1989 ? La situation des juifs actuelle démontre un contraste notable : d'un côté, les infrastructures pour la condition juive n'ont jamais été aussi bonnes. Grâce à internet, aux expositions, les juifs peuvent accéder à de nombreuses informations, redécouvrir leur passé et leurs ancêtres. Mais dans un sens également, dans les petits villages, les gens ont toujours très peur de se faire identifier comme juifs, d'où la difficulté de recensement aussi.
Le nombre de communautés juives diminue dans le pays, car les jeunes partent souvent dans les plus grandes villes polonaises, et leurs parents meurent sans succession dans les campagnes. La situation des juifs en Pologne est cependant bien meilleure qu'il y a 20 ans. L'antisémitisme existe toujours mais est bien inférieur à ce qu'il était au moment de la chute du communisme.
La Pologne est l'un des endroits les plus sûrs pour les juifs de Pologne. Le fait que les Polonais et les juifs vivent une histoire commune, et même un héritage commun, est de plus en plus accepté en Pologne.
Quels sont les relations entre la communauté juive et les autres communautés religieuses ?
Les relations entre les communautés juive et catholique en Pologne sont extrêmement cordiales, il y a une volonté de travailler ensemble, de tisser des liens. J'ai moi-même rencontré à de nombreuses reprises des représentants de l'Eglise catholique de Pologne, que ce soit à Katowice ou à Varsovie, et toutes ces rencontres furent très fructueuses. Les relations sont également excellentes avec les petites communautés telles la protestante ou musulmane.
Quant aux relations avec les pouvoirs politiques, elles sont régulières et appréciées : je me souviens que lorsque le précédent président de Pologne, Bronis?aw Komorowski, s'était rendu en Israël, il avait demandé au Grand Rabbin de Varsovie de l'accompagner. Ce dernier a également été le premier dignitaire religieux qu'a rencontré l'actuel président de Pologne après son élection, Andrzej Duda.
A travers la création d'événements et organisations culturelles (festival juif de Cracovie, musée POLIN de Varsovie), assiste-t-on au renouveau de la culture juive en Pologne depuis 1989 ?
Pour moi, c'est plutôt un renouveau de la condition juive. Mais la communauté juive porte un autre regard : elle perçoit ces événements comme des projets sur les juifs, mais qui ne sont pas destinés pour autant aux juifs. Ces événements sont de grands succès, très populaires, mais la communauté juive n'y prend pas vraiment part. Je crois que, paradoxalement, on peut témoigner de la prospérité de la condition juive aujourd'hui à travers la renaissance des cimetières juifs : sous le communisme, le pouvoir interdisait aux familles de restaurer les tombes et d'y indiquer l'identité juive de la personne. Aujourd'hui, on voit fleurir de magnifiques cimetières, et les plus jeunes viennent y redécouvrir leurs ancêtres.
La condition des juifs est donc bien meilleure qu'elle ne l'était il y a 15 ans, 20 ans. C'est miraculeux par rapport aux précédentes décennies, mais ce n'est absolument rien comparé à ce qu'était la vie et la culture juive avant 1939?
Est-ce que vous observez aujourd'hui des conversions au judaïsme ?
Oui, effectivement, il y a de plus en plus de conversions au judaïsme. Ce sont régulièrement des personnes qui redécouvrent leurs origines juives. D'autres concernent simplement des personnes qui sont intéressées par la culture juive. Mais ces conversions doivent être relativisées : elles ne concernent que certains individus, quelques dizaines tout au plus?
© Photo Yehoshua Ellis: Bo?ena Nitka
Ludo Olivier (lepetitjournal.com/Varsovie) - Mercredi 12 octobre 2016
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