Et si le plus gros succès commercial dans l'histoire de la culture polonaise était un jeu vidéo ? LePetitJournal.com revient sur l'énorme succès de la saga Wied?min.
Puisqu'on vous dit que la Pologne est un pays moderne !
Lors des rencontres officielles, il est d'usage que les chefs d'Etat s'échangent des cadeaux d'apparat, souvent des objets d'art emblématiques d'un savoir-faire national. Lorsqu'en mai dernier, Barack Obama est venu à Varsovie rencontrer le président Komorowski, ce dernier lui a donc remis... une version collector dédicacée de "Witcher 2, Assassins of King" ! Gageons que Nicolas Sarkozy n'a lui encore jamais offert le jeu "Rayman contre les Lapins encore plus Crétins" à ses homologues étrangers.
Un réussite commerciale historique pour la Pologne
L'éditeur polonais de jeux vidéo CD Projekt vient de se déclarer très satisfait de ses ventes. Depuis mai dernier, The Witcher 2 s'est écoulé à plus de 1,1 million d'exemplaires. A sa sortie, et selon une estimation basse, le jeu a aussi été piraté au moins 4,5 millions de fois en 6 semaines...
Le succès de ce second opus a par ailleurs relancé les ventes de The Witcher premier du nom. Celui-ci avait déjà intégré le top 100 des jeux PC les plus vendus de tous le temps. Quatre ans après sa sortie, il s'est encore vendu à 401.543 unités en 2011.
L'avènement d'un divertissement de masse
Les jeux vidéos touchent chaque année un public plus large, plus adulte et plus féminin. En France, 83,5% des pratiquants ont plus de 18 ans. Leur âge moyen est de 35 ans et va en s'avançant. Et 52% des joueurs sont aujourd'hui des joueuses.
Avec 52 milliards d'euros de chiffre d'affaires en 2011, le marché des jeux vidéos dépasse depuis longtemps les revenus du cinéma. Le jeu Call of Duty: Modern Warfare 3 s'est par exemple écoulé à 9,3 millions d'exemplaires le jour de sa sortie. En deux semaines, il a généré un milliard de dollars de recettes. Beaucoup mieux que le film Avatar, qui est pourtant le plus gros succès au box-office de toute l'histoire du cinéma.
Une success story polonaise
Basé à Varsovie, CD Projekt est parvenu à se faire un nom avec un unique titre. Fondé en 1994, cet éditeur et distributeur polonais de jeux vidéo est aujourd'hui un des leaders du secteur en Europe centrale. CD Projekt a été la première entreprise polonaise à se spécialiser dans les CD-Roms puis la première à éditer des hits internationaux, entièrement traduits en Polonais.
Les doublages sont même souvent effectués par des acteurs célèbres (Piotr Fronczewski, Ma?gorzata Foremniak, Daniel Olbrychski...). Entre leurs mains Baldur's Gate, un des premiers titres entièrement traduit en polonais, est devenu un succès commercial historique.
En février 2002, CD Projekt lance une unité de développement interne : CD Projekt RED STUDIO spécialisée dans les jeux vidéo. Leur premier titre est Wied?min (The Witcher). On y incarne le personnage principal de la saga (cultissime en Pologne) d'Andrzej Sapkowski.
Le meilleur jeux 2011 ?
The Witcher 2 a été mondialement acclamé par la presse et les joueurs à sa sortie. Si l'interface et la jouabilité ne sont pas parfaites, ce jeu de rôle et d'action bénéficie quand même d'une excellente réalisation. Les décors et les jeux de lumières sont particulièrement réussis, le monde est très immersif, mais la grande force du jeu réside dans son histoire très prenante et ses personnages charismatiques.
Evoluant dans un univers médiéval-fantastique (donjons, dragons, elfes...), le joueur incarne le « Sorceleur » (Wied?min en polonais) Geralt de Rive, un magicien chasseur de monstres qui s'est retrouvé entrainé dans les troubles politiques du Royaume de Téméria. Il devra se lancer dans un quête épique pour révéler l'identité d'un groupe de tueurs responsables de l'assassinat en série des têtes couronnées de tous les Royaumes du Nord.
Un jeu fait par des adultes pour d'autres adultes
L'univers du jeu est sombre et complexe, bien moins manichéen que ce que propose le commun des jeux vidéos. Geralt, le héros, existe dans un univers moralement ambigu, mais parvient à maintenir sa propre éthique. A la fois cynique et noble, il a été comparé à Philip Marlowe, le célèbre détective des polars de Raymond Chandler.
Comme toutes les grandes ?uvres de science-fiction ou de médiéval-fantastique, The Witcher 2 utilise son univers exotique comme un prétexte pour explorer des questions contemporaines. Ici le droit à la différence, la peur de l'étranger, le racisme, le patriotisme, ou le terrorisme.
Le joueur évolue dans un monde sale et violent, loin des jeux japonais et américains souvent trop aseptisés. Les dialogues sont parfois très crus, l'histoire offre aussi de nombreuses occasions de boire plus que de raison ou de coucher avec les personnages féminins.
Pour se faire de la publicité à peu de frais et séduire son public adulte (et masculin), une des protagonistes du jeu, une sorcière sulfureuse (mais virtuelle), a même donné de sa personne en posant nue pour l'édition polonaise de Playboy.
Les projets de CD Projekt
Après le PC, l'éditeur polonais s'attaque maintenant au marché des consoles. Le 17 avril, il lancera une version améliorée de son titre The Witcher 2 sur Xbox 360. Voici une bande-annonce (particulièrement violente) montrant la nouvelle scène cinématique d'introduction du jeu :
Pour 2014/2015, le studio serait déjà en train de développer The Witcher 3 pour PC et consoles de prochaine génération. Un nouveau jeu de rôle narratif, développé par une seconde équipe, est également en pré-production.
La rédaction (www.lepetitjournal.com/varsovie.html) vendredi 2 mars 2012
Pour en savoir plus :
Andrzej Sapkowski est né à Lodz en 1948. Il a travaillé dans la vente avant de se tourner vers l'écriture.? Sa première nouvelle Wiedzmin ? Le Sorceleur a été publiée en 1986 dans Fantastyka, le magazine de fantasy le plus vendu en Pologne. Devant le succès rencontré, Andrzej créa un cycle basé sur le Sorceleur qui le propulsa parmi les auteurs les plus vendus de Pologne. En 1997, il gagna le prix Polityka Passport, qui consacre les artistes ayant de grandes chances de s'internationaliser.
Depuis son univers à été décliné en jeux de cartes, livres de jeux de rôles, une (mauvaise) série télé ensuite redécoupée pour faire un (mauvais) film avec un Micha? ?ebrowski péroxydé dans le rôle principal.
Et voici des extraits d'une interview recueillis et mis en forme par Simon Pinel en 2009.
Est-ce que les aventures de Geralt de Riv occupent une place à part dans votre bibliographie ?
Andrzej Sapkowski: Naturellement, j'ai commencé avec des histoires courtes. Ce n'était pas un choix de ma part, c'était une demande du marché. C'était une époque où les auteurs polonais n'avaient aucun espoir de publication. Les éditeurs, les maisons d'édition, les directeurs littéraires disaient qu'un auteur polonais, ça ne se vendait pas. La nouvelle, la forme courte, c'est quelque chose de très ramassé, qui est en fait un petit chef-d'?uvre parce qu'il faut mettre à l'intérieur une intrigue, développer des personnages, un début, une progression, une fin et le tout concentré dans quelque chose comme cinquante, soixante voire quatre-vingt pages. C'est quelque chose de très difficile.
Donc, ce que j'ai fait, c'est que j'ai écrit des histoires courtes qui ont fonctionné et ensuite je les ai rassemblées dans un recueil. Et en quelque sorte, j'ai ouvert une porte parce que j'étais le premier auteur polonais à être vendu et à faire de l'argent. Ensuite j'ai déclaré que la fantasy polonaise méritait une saga que je voyais en cinq tomes. Je me suis dit que si j'arrivais à écrire ça en Pologne, ça sera culte. Lorsque j'ai expliqué ma vision des choses, les gens se sont moqués de moi. Mais j'avais raison. La saga est devenu culte.
Vous sentez vous comme un ambassadeur de la littérature polonaise ?
AS : Je suis trop humble, trop modeste pour me prétendre de quoi que ce soit mais peut-être, peut-être? pourquoi pas ?