Après une vie professionnelle très intense, cette franco-belge est venue se ressourcer à Valencia il y a trois ans. Elle est venue toucher un rêve aussi : celui de recouvrer la femme qui est en elle. De cette recherche est née sa peinture - son jardin secret, comme elle l’appelle - et qu'elle a décidé, non sans pudeur, de dévoiler. Elle y esquisse une définition de la féminité, subtile alliage de mouvement et de douceur, dont ses toiles se font la représentation sensible.
Marjorie Vergracht expose jusqu’au 29 novembre à la Trentatres Gallery, située Carrer Sueca, 33 à Valence. Une partie des ventes sera reversée à l'AECC, l'Association de Lutte contre le Cancer en Espagne.
Paul Pierroux-Taranto : Tu exposes au mois de novembre à la Trentatres Gallery. Comment est né ce projet ?
Marjorie Vergracht : Le projet est né d’une superbe rencontre avec Noémie qui est la responsable des expositions à la Trentatres Gallery. On s’est tout de suite bien entendues. Noémie a repris en main tout le planning des expositions et a vraiment favorisé et mis en avant les artistes. Ils ont aussi mis en place un nouveau système d’attache pour les tableaux à mon initiative. Après avoir installé mes toiles, j'ai envoyé une vidéo à Noémie pour le fun, et elle m’a répondu que c’était sans doute pour elle l’une des plus belles expos qu’elle avait vues dans sa galerie. C’est le genre de compliment qui me fait rougir (rires). Je suis très heureuse et hyper touchée.
La Trentatres Gallery est vraiment l’endroit stratégique, “là où il faut être” pour exposer à Valence, parce que c’est au cœur de Ruzafa. C’est le rendez-vous privilégié des artistes. J’ai d’ailleurs eu l’occasion d’y faire de très belles rencontres.
Je fais une permanence artistique car j’ai décidé d’être tous les jours à la galerie de 13h à 14h. Toutes les personnes qui souhaitent me rencontrer, échanger ou voir mes tableaux sont les bienvenues. Elles peuvent aussi me contacter sur mon Facebook ou mon Instagram MV Paint (mon nom d’artiste). Je suis également disponible pour fixer des rdv en dehors de ces horaires.
Dans les tableaux que tu exposes, la représentation de la femme avec des chevelures libres est un thème récurrent.
Après avoir eu une vie professionnelle très intense, très “working girl”, avec toute une série de postes à responsabilité, quelque chose me manquait. Je suis revenue à la peinture il y a cinq ans. Cela répondait à une nécessité. Un besoin vital. C’est devenue une thérapie. Fondamentalement, je peins pour moi. Ce que devrait faire chaque artiste, je crois. J’ai ressenti le besoin d’exprimer une ode à la féminité. Il fallait que je montre ces femmes dans des moments simples du quotidien qui laisseraient transparaître ce qu’est la féminité.
C’est vrai que la chevelure est un élément pictural important à mes yeux. J’ai exprimé dans mes toiles tout ce que j’avais cru perdre à un moment de ma vie, après la maladie. Il y a des poitrines. Il y a des cheveux. Ce sont des choses qui m’ont manqué. Cela renvoie sans doute à une forme de nostalgie d'autant que j'ai toujours porté les cheveux très longs. Quand j'étais jeune, j'ai été mannequin pour Jean-Louis David et d'autres marques et les cheveux m'arrivaient aux fesses (rires). Les personnes qui me connaissent vraiment disent que c’est moi dans ces tableaux. C’était moi avant, et c’est celle que je voulais redevenir. Ces femmes sont un peu cachées et discrètes. Il y a toujours un petit voile de pudeur, bien loin de l’image de la femme fatale. Je me reconnais bien là.
" Pour moi, la féminité allie la douceur et le mouvement "
Donne-nous ta définition de la féminité.
Pour moi, la féminité allie la douceur et le mouvement. Les femmes que je peins ont de l’aplomb. Elles sont indépendantes. Il y a une partie élancée, un mouvement, une force qu’on retrouve dans mes toiles. Cette force n’est pas pour autant un tourbillon car beaucoup de douceur s’en dégage aussi. Douceur qui me caractérise énormément, je crois, et qu’on peut percevoir notamment dans les couleurs. La féminité, c’est aussi l’humilité. Le fait de ne pas se mettre en avant. D’avoir une certaine discrétion voire d’être un peu en retrait. Mes toiles ont un côté “jardin secret”. Ces femmes ont une finesse dans leur manière de se vêtir, de ne pas tout montrer. Leurs formes ne sont pas plantureuses. Elles sont sensuelles plus qu’érotiques. Et même si je ne les représente pas aux côtés d’un homme par exemple, je crois qu’il y a de l’amour dans ce que je dessine et je peins.
Quand as-tu commencé à peindre ?
J’ai baigné dans une famille d’artistes. Depuis toute petite, je suis entourée de peintres, d’écrivains, de danseurs, de musiciens (des salles en Belgique portent le nom de ma famille), etc. J’ai aussi un mentor, qui est mon oncle et mon parrain.
À l’âge de six ans, j’ai commencé à prendre mes premiers cours de peinture. Ces cours m’ont appris à donner libre-cours à mon inspiration et je crois qu’ils ont vraiment été le déclencheur de ma passion. On ne me disait pas ce que je devais peindre, mais plutôt : “regarde ta feuille dans le sens que tu veux, à l’horizontale ou en portrait, et fais comme tu le ressens !”. Après, on me disait : “choisis les couleurs qui t'attirent et peins. Mais ne cherche pas à atteindre un but !”. Ces cours ont été un apprentissage de la spontanéité. C’est resté profondément ancré en moi. Quand je démarre un tableau, je ne sais pas ce que je vais faire. Ce sont les couleurs qui m’inspirent et me guident. Je commence par faire un fond de couleurs et après ça vient. Mes toiles, c’est vraiment ce qui sort de ma tête et de mon cœur.
Il y a aussi eu la danse.
Je fais de la danse depuis toujours. Je pense que cela se retrouve dans la manière que j’ai d’exprimer le mouvement dans mes tableaux. J’ai commencé par la danse classique. D’où les tutus et les ballerines qui sont récurrents dans mes toiles. J’ai ensuite fait beaucoup de modern jazz et j’ai fini par du ragga dancehall et du hip hop où j’ai fait de nombreux concours. J'étais dans un cours de personnes de vingt ans de moins que moi. Je me suis retrouvée sur scène en face de ma fille, les mains au sol et les pieds en l’air. J’étais très sportive à l’époque (rires). Je connaissais bien le milieu du son et je fréquentais des rappeurs connus. J’ai aussi participé à des films parce que j’ai travaillé pour la télé et forcément il y avait plein de collègues et de potes caméramans qui montaient leurs projets à côté. Tout ça était très artistique et intense. Je crois que je suis toujours très jeune dans ma tête.
" Il ne faut jamais peindre dans le but que cela plaise à quelqu’un "
Et quand as-tu commencé à peindre des femmes ?
C’est récent. Je pense que c’est lié à mon parcours personnel et à l'évolution de ma peinture. Avant, je peignais uniquement à l’aquarelle. C’est ma base picturale. Mon mentor peint lui-même à l’aquarelle et j’ai découvert cette technique dans son atelier. J’ai d’abord peint beaucoup de paysages, des collines, etc. Ensuite, j’ai eu une période où j'ai fait des pages de BD à l’aquarelle sur ma vie de maman.
Je trouvais la douceur que je cherchais dans l’aquarelle mais j’ai ensuite ressenti le besoin d’exprimer une force. J’avais besoin de matière pour donner du relief aux vêtements, aux cheveux, à ce mouvement justement. C’est pourquoi j’ai commencé à peindre à l’acrylique sur toile, il y a quatre ans. Ce mélange de pinceau et de couteau, parfois fait de superpositions épaisses de couleurs, dans l’esprit des dentelles, je ne pouvais le trouver que dans l’acrylique. Depuis, j’ai beaucoup de plaisir à peindre sur toile même si je pense que ma base artistique reste et restera l’aquarelle.
En exposant, tu t’exposes aussi car tu nous livres une part de ton intimité. Quand as-tu pris la décision de vendre ta peinture ?
Le but d’une toile, ce n’est pas de la vendre. Il ne faut jamais peindre dans le but que cela plaise à quelqu’un. L’essentiel, c’est de prendre son pied au moment où on peint. Il n'y a que ça qui compte.
Au départ, je n’ai jamais pensé vendre mes toiles. Je peignais pour moi. Je décorais ma maison. J’offrais des tableaux à mes amis parce que j’y mettais tout mon coeur. Quand on a voulu m’acheter des tableaux, je ne voulais pas m’en séparer parce que c’était comme des bébés pour moi ! Mes enfants ne voulaient pas que je les vende non plus. C’était comme si on entrait dans mon jardin secret. Quand les gens voulaient savoir où ils pouvaient voir mes toiles, je répondais “Venez chez moi” (rires). Ensuite, j’ai créé un compte Instagram et je recevais souvent des messages du type : “J’adore ce tableau ! Combien tu le vends ?”. Je répondais toujours “Mais il n’est pas à vendre !” (rires). Finalement, j’ai beaucoup réfléchi. Et c’est face au nombre des demandes, et à l’insistance des gens, que j’ai bien été obligée de changer d’avis. Ça a pris plus d’un an pour que j’accepte de vendre une toile.
Cela fait d’ailleurs seulement trois ans que j’expose. Mais en ce moment, j’ai beaucoup de projets. J’ai vu un adjoint au maire de ma ville natale qui m’a appelé pour une exposition dans une très grande salle. Je vais aussi avoir sans doute une autre expo en Belgique. Je discute en ce moment d’un partenariat pour l’année à venir avec un artiste chanteur très prometteur. En fait, j’ai plus de plaisir à faire des expos qu’à vendre.
Cela fait beaucoup de projets en effet ! Tu es restée une femme très active.
Mon travail me manque, oui. (rires) J’étais une femme d’affaire qui bossait 70h par semaine. J’ai monté mon agence de com à 22 ans et je travaillais à mon compte. À chaque fois, on m’appelait pour venir et monter un projet. J’étais recrutée et connue pour faire ça. J’ai travaillé douze ans chez Sopra Steria où j'ai participé au montage du marketing group au moment du rachat d’Integris (Bull Europe). Puis j’ai bossé douze ans en tant que directrice marketing stratégique pour le groupe Taylor, premier fabricant mondial de cartes fidélité à l’époque. J’ai toujours eu ce côté entrepreneurial. Alors maintenant que je m’offre une pré-retraite que je n’ai pas choisie, j’ai besoin de rester active. La danse et la peinture qui m’accompagnent depuis toute petite me permettent de conserver la partie plaisante de mon métier. Je suis toujours en train de chercher des salles, de faire des relations publiques, de monter des partenariats.
Dans le cadre de tes expositions, tu collabores avec l’association espagnole de lutte contre le cancer à laquelle tu reverses une partie des fonds.
En effet. J'organise toutes ces expositions beaucoup plus pour l’association que pour moi. Il s’agit de l’AECC, Asociación Española Contra el Cáncer (l’Association de Lutte contre le Cancer en Espagne). De mon propre chef, je suis allé les rencontrer cette année lors de ma dernière exposition le 8 mars pour la journée de la femme. Je leur ai expliqué mon parcours personnel et mon projet. Ils m’ont proposé de collaborer. Depuis je reverse une partie de mes ventes à l’association et je le ferai pour toutes les expos à venir.
On a aussi parlé d’un partenariat pour que j’anime des ateliers de peinture. Cela me tient beaucoup à cœur. Je cherche aussi des sponsors pour financer le matériel. Malheureusement, je n’ai pas encore eu l’occasion d’animer ces ateliers à cause du confinement et ce projet a été mis entre parenthèses. J'attends que la situation s’améliore pour le faire mais c’est un projet qui a été monté, validé et qui est évident à mes yeux.
Penses-tu que la peinture peut être un outil thérapeutique ?
Oui, complètement. Mon mentor m’a appris à traverser les caps de ma vie grâce à la peinture. J’ai découvert que la peinture aide à lâcher prise et à transmettre ses émotions quelles que soient les circonstances de la vie. La peinture m’a été d’une grande aide pour affronter la maladie et plus généralement, elle m’apporte beaucoup de bonheur. C’est un équilibre de vie pour moi.
Les personnes qui sont dans la souffrance n’ont pas besoin de savoir dessiner ou peindre pour éprouver un tel plaisir et avoir autant de lâcher prise. C’est tellement bon ! J’ai commencé à partager ce plaisir à Valence avec des amies qui n’ont jamais peint de leur vie. Sur ma terrasse, on peint des toiles et on s’éclate ! C’est pour cela que je vais donner des cours bénévolement. Je suis venue à Valence pour réaliser mes rêves. Et la peinture est un rêve que j’aimerais partager.
Tous nos remerciements à la photographe Karen Laing pour la photo principale de l'article.