"C'est un lien avec l'histoire étonnant" qui unit François-Ferdinand de Lesseps avec son aïeul, celui que l'on nomme encore "le grand Français" dans les ambassades de Panama City. Un héritage extraordinaire, pas toujours commode, qui forge un nom, un homme et une personnalité. De passage à Madrid à l'occasion du dîner de gala annuel de l'Entraide Française à la Casa de Velázquez, le descendant de celui qui fut notamment Consul général de France à Barcelone en 1842, dévoile avec pudeur une épopée hors du commun, qui nous mène de Bayonne à Barcelone, et de Suez à Panama
(Photo lepetitjournal.com)
La barbe bien taillée, les yeux calmes derrière de petites lunettes rondes, la quarantaine gantée d'une élégance toute en sobriété, presque aristocratique, le verbe choisi avec précision... On s'imagine volontiers François-Ferdinand de Lesseps tiré d'une autre époque et on ne tarde pas à le vêtir des habits du diplomate, discret agent au service des grandeurs de la nation, habile négociateur capable de mener à bien les affaires de l'Etat, dans les salons de l'empire comme dans les campements de bédouins. A 44 ans, marié, père de 4 enfants, directeur de ressources humaines pour une filiale de Swatch Group, François-Ferdinand de Lesseps vit à Paris... entre les temps modernes et la fin du 19e siècle. "C'est parfois difficile de se positionner par rapport à une figure qui a une telle importance", révèle-t-il, à propos de son arrière arrière grand-père. "C'est une légende forcément, probablement un des hommes les plus importants de son époque, qui a révolutionné la géopolitique et le commerce mondial".
"C'est la réalisation de mon aïeul dont je suis le plus fier"
Ferdinand de Lesseps est à l'origine de nombreux projets pharaonesques. De 1853 à 1869, il s'investit dans la promotion, puis dans la construction du canal de Suez, à une époque où les colonies européennes, notamment britanniques, françaises et turques, se disputent le contrôle de la mer Rouge. Son descendant rapporte l'anecdote suivante : arrivant à Alexandrie en bateau, il serait resté bloqué en quarantaine, tandis qu'un cas de choléra était soupçonné sur le navire. Afin de tromper l'ennui, le diplomate se fait livrer à bord des livres, parmi eux, des ?uvres des Saint-simoniens dont certaines exprimaient l'idée de creuser un canal pour joindre les deux mers. De là serait venue son obsession pour le projet, dès son arrivée en Egypte. "Il a su s'entourer des bons ingénieurs, comme Gustave Eiffel, s'appuyer sur des relations qui l'ont épaulé, négocier avec les différentes parties, mais surtout, il a fait preuve de persévérance", estime François-Ferdinand de Lesseps. "C'est la réalisation de mon aïeul dont je suis le plus fier", admet-il, "c'était un visionnaire". Et la même interrogation qui se répète : "Comment se positionner par rapport à ça ? C'est une réalisation tellement exceptionnelle, qu'il est difficile de se dire que l'on fera mieux".
"C'était un humaniste, qui acceptait difficilement le pouvoir du fort sur le faible"
Un autre souvenir : "Toute mon enfance j'ai entendu des personnes se plaindre du canal de Panama, répéter que toute leur famille avait été ruinée par le projet". Débuté en 1882, le deuxième canal percé sous la direction Ferdinand de Lesseps ne sera inauguré qu'en 1914... par les Américains. Entre temps, tremblements de terre, fièvre jaune, faillites financières et intrigues en tous genres auront eu raison du projet de Ferdinand, qui a pourtant gardé toute son aura à Panama ("on l'appelle encore le 'grand Français', là-bas", rappelle notre interlocuteur). Stimulés par le succès de Suez, les actionnaires ayant investi dans le projet se retrouvent sur la paille. L'illustre entrepreneur est condamné à 5 ans de prison. "Ce n'a pas toujours été facile à assumer", commente François-Ferdinand, "mais c'était déjà un vieil homme, qui s'est dans une large mesure fait abuser par certaines personnes". Et la mésaventure n'a pas raison de l'admiration que porte François-Ferdinand pour Ferdinand tout court, rappelant une autre facette du personnage : "C'était un humaniste, qui acceptait difficilement le pouvoir du fort sur le faible. Ce n'était pas quelqu'un qui se complaisait dans le luxe : il suffit de voir la maison où il logeait à Ismaïlia, en marge des travaux de Suez, c'était plutôt spartiate".
"Je trouve qu'il y a quelque chose d'arrogant dans le fait de mettre en avant les réussites de nos ancêtres"
Et l'Espagne dans tout ça ? Tandis que les serveurs accommodent les derniers détails du dîner de gala de l'Entraide Française, qui verra dans quelques instants les représentants de la meilleure société française de Madrid se presser avec curiosité autour de l'illustre invité, ce dernier commente, de sa voix douce : "Je n'ai jamais beaucoup aimé parler de Ferdinand de Lesseps : je trouve qu'il y a quelque chose d'arrogant dans le fait de mettre en avant les réussites de nos ancêtres. Cela dit, si je peux d'une façon ou d'une autre apporter quelque chose à l'Entraide Française, c'est avec plaisir". Et d'ajouter : "J'ai une fibre profondément espagnole, malgré tout, j'ai même plus de sang espagnol que français : ma mère est espagnole, et Ferdinand lui-même était à moitié espagnol". Le nom de Lesseps a-t-il des origines catalanes ? "Non, la famille est originaire de Bayonne. Mes aïeux y étaient maîtres d'armes, notaires ou militaires, jusqu'à ce qu'un certain Barthélémy embrasse la carrière diplomatique. Ce fut l'unique survivant de l'expédition de la Pérouse. Ce fut lui aussi qui introduit Ferdinand dans le milieu, pour son premier poste au Portugal... puis Ferdinand rejoignit son père, consul à Tunis, avant l'Egypte, puis l'Espagne à Malaga". Décidément on ne s'ennuie pas avec la famille de Lesseps. Alors qu'on voudrait parler d'Espagne, on parle de la Pérouse, on s'attarde sur le poème de Beaudelaire, "la dame créole", dédié à la mère de la seconde femme de Ferdinand. On évoque la livraison de la statue de la liberté, à New York, toujours sous l'égide du même homme...
(Christian Bang Rouhet et François-Ferdinan de Lesseps, pendant l'interview / Photo lepetitjournal.com)
Création de l'Entraide Française : 154 ans plus tard l'institution existe encore
De 1840 à 1849, Ferdinand de Lesseps est en poste en Espagne. D'abord à Malaga, puis à Barcelone, comme Consul général, et enfin Madrid, comme ministre de la France. Aujourd'hui encore, les Français de la Péninsule profitent de plusieurs des réalisations hautement significatives menées à bien par le diplomate. Ainsi, il est à l'origine dès 1849 d'une école des Français qui porte encore son nom dans la cité comtale. Mais c'est la création de la société de bienfaisance qui a justifié le voyage à Madrid de François-Ferdinand. 154 ans plus tard, l'institution existe encore, avec ses antennes à Barcelone, Madrid et Valence. La crise aidant, elle est diablement active. Christian Bang Rouhet, vice président de l'association à Madrid, commente : "Nous avons connu au cours des 4 dernières années une augmentation vraiment importante du nombre de personnes aidées, en raison de la situation économique. Toutes les aides sont les bienvenues". Près de 120 personnes ont confirmé leur présence pour le dîner de gala. Un succès. Tous les bénéfices seront intégralement reversés pour les oeuvres de bienfaisance de l'Entraide. François-Ferdinand de Lesseps consulte sa montre -"On finit par regarder toutes les montres dans mon métier", nous a-t-il confié- ajuste sa veste, pose pour la photo. "Je n'aime pas trop ça", glisse-t-il, avant que le flash ne crépite.
Vincent GARNIER (www.lepetitjournal.com - Espagne) Jeudi 28 juin 2012
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