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Fin de la gloire pour le français à Valencia ?

un drapeau bleu blanc rouge dans le ciel bleuun drapeau bleu blanc rouge dans le ciel bleu
Écrit par Coralie Lambret
Publié le 7 avril 2022, mis à jour le 1 avril 2023

Jusque dans les années 1980, le français était la première langue étrangère enseignée dans les écoles à Valence. Avec la globalisation, il a progressivement cédé sa place à l’anglais et a considérablement perdu de son prestige. Les professeurs s’inquiètent de ce déclin qui ne cesse de s’amplifier et redoutent la disparition du français dans l’enseignement. 

 

Retour sur l’âge d’or du français dans la région valencienne 

Le 31 octobre 1993, le Consulat Général de France à Valence fermait ses portes pour laisser place à une petite agence consulaire, dépendante du consulat d’Alicante, et quelques années plus tard, de celui de Madrid. Cette étape est certainement le tournant le plus marquant dans le déclin du français à Valence. Le ministère des affaires étrangères a jugé que la population française n’était pas suffisante pour conserver un bâtiment d’une telle ampleur. Pourtant, quelques années auparavant, le français connaissait ses plus belles heures de gloire à Valence. 


Une langue de prestige à Valencia

Dans les écoles valenciennes, le français était enseigné comme première langue étrangère. Il rimait avec esprit critique, ouverture sur le monde et pensée des Lumières. Le français était considéré comme une langue prestigieuse, réservée à une certaine classe sociale : au Lycée Français, on trouvait énormément d’élèves issus de la bourgeoisie progressiste valencienne. “Je me rends compte qu'il y avait très peu d’enfants d’ouvriers. Le lycée était fréquenté par l’élite de l’époque, la bourgeoisie éclairée”, confie Jean-François Taranto, élève diplômé de la première promotion du Lycée Français de Valence, à Paterna, en 1980. Les familles progressistes ne souhaitaient pas placer leurs enfants dans les écoles publiques ou catholiques qui étaient sous l'influence franquiste.

une photo de classe avec des élèves
Promotion Moncada, classe de seconde, Lycée français de Valence. À droite Gérard Ramieri. 

 

S’ouvrir au monde grâce au français 

L’Espagne est restée sous le joug de la dictature de Franco jusqu’en 1975. À cette époque, le pays n’était pas ouvert sur le reste du monde comme il l’est aujourd’hui. Les francophones qui vivaient à Valence étaient très peu nombreux. On retrouvait majoritairement quelques expatriés, Français ou Belges, et une communauté de Pieds-Noirs issus de l’ancienne colonie française en Algérie.

L’enseignement du français n’avait pas pour premier objectif de faciliter les échanges avec les francophones, qui étaient bien moins nombreux qu’aujourd’hui, mais plutôt d’initier les élèves à une culture prestigieuse. Gérard Ramieri, directeur adjoint du Lycée Français de Valence de 1975 à 1981, nous explique que les locaux étaient majoritaires à l’époque : “Il n’y avait que trois ou quatre Français dans les classes. La majorité des élèves étaient des Espagnols républicains qui fuyaient l’enseignement franquiste des lycées publics”.

Les gens étaient fiers de parler français. Cela prouvait une certaine noblesse et un certain niveau de connaissances.

Tu parles français ? La classe

Le consulat général de France à Valence était un bâtiment luxueux à la décoration chic et élégante. On retrouvait dans un même lieu la Chambre de commerce, la Société de Bienfaisance et le consulat. L’endroit était entièrement dédié aux populations francophones et francophiles de la ville. Jean-François Taranto raconte les soirées mondaines qui s'y tenaient : “L’ambiance était raffinée. Les femmes portaient toutes de jolies robes de bal et les hommes des queues-de-pie. Même le concierge portait un costume. J’étais très jeune à l’époque, mais je trouvais déjà ces soirées incroyables !”   

Avant la fermeture du bâtiment, le français était la langue de la bourgeoisie. Il représentait l’élite valencienne et octroyait un certain prestige aux personnes qui le maîtrisaient. “Les gens étaient fiers de parler français. Cela prouvait une certaine noblesse et un certain niveau de connaissances”, affirme Gérard Ramieri.

 

Madame Globalisation aurait-elle tué le français ?

À partir des années 1980, avec la globalisation, l’anglais est très vite devenu la langue d’échange internationale, au détriment de beaucoup d’autres. Au fil des années, le français a été relégué au second plan, cédant sa place à l’anglais dans les collèges et lycées valenciens. Le français comme langue étrangère est alors devenu un cours optionnel, au plus grand dam des professeurs. Jusque-là, son statut de première langue étrangère rendait l’apprentissage du français obligatoire. 

 

Un succès qui se fane 

Chaque année, de moins en moins d’étudiants choisissent le français comme deuxième langue étrangère. Comme il s’agit d’une option, ils préfèrent se diriger vers l’informatique, les tables de conversation en anglais ou les sciences.

Jusqu’en juin 2021, les écoles et les enseignants pouvaient encore argumenter sur l’utilité du français avec des activités extérieures, organisées par l’Institut Français. Mais depuis sa restructuration, les professeurs peinent à convaincre les élèves que le français est attrayant. “Ce qui est intéressant dans une langue, c’est justement de pouvoir la pratiquer à travers des activités ludiques. Mais aujourd’hui, à Valence, nous n’avons même plus cette possibilité”, se désole Cristina, Valencienne et enseignante de français. 

Elle regrette également que les écoles ne soutiennent pas plus l’apprentissage des langues de manière générale. Tous les ans, elle voit ses attributions d’horaires réduites parce que la demande est de moins en moins élevée mais aussi parce que les établissements préfèrent consacrer les périodes de cours à d’autres matières. 

Pour la majorité des étudiants, le français et la France se résument à Paris.

Un très mauvais marketing 

“Pour la majorité des étudiants, le français et la France se résument à Paris”, poursuit Cristina. Dans les écoles, le français est peu voire pas du tout valorisé. Pour Cristina, qui est une grande passionnée, une langue est bien plus que l’apprentissage du vocabulaire et de la grammaire. Les langues ouvrent l’esprit des apprenants et façonnent leur regard sur le monde et les cultures.

Cette jeune enseignante déplore un cruel manque de mise en avant de ces aspects. Pour les étudiants valenciens, consacrer du temps de travail à un cours comme le français est inutile. Ils s’imaginent qu’on ne parle cette langue qu’en France et qu’elle ne leur servira à rien dans la vie, parce que l’anglais pourvoira à tout. Et les écoles entretiennent cette pensée.

Les établissements proposent des tables de conversation en anglais pour pratiquer la langue de façon moins académique. En français, trois heures de cours sont mises à disposition des professeurs, et ceux-ci doivent s’adapter et s’arranger pour enseigner toutes les compétences en si peu de temps. Cristina estime que c’est très problématique : “En seulement trois heures, je dois leur apprendre à écrire en français, à le parler et le comprendre. Je dois aussi enseigner la grammaire et le vocabulaire. J’aimerais accorder plus de temps à la pratique mais c’est pratiquement impossible”

 

Quelles solutions pour redonner au français sa beauté d’antan ? 

À l’université, le français ne rencontre pas ce déclin. Tous les ans, les inscriptions dans les filières comme la traduction et l’interprétation en français attirent un certain nombre d’étudiants. Miguel, professeur d'interprétation et de traduction à l’université d’Alicante, le constate chaque année : “Tous les ans, une soixantaine d’étudiants choisissent le français. Mais à l’université les choix sont faits dans un but précis, en accord avec des attentes ou des désirs professionnels. Dans le secondaire, c’est moins souvent le cas”

Le problème se situe donc avant les études supérieures, au collège et au lycée : ”Si on ne donne pas envie aux étudiants d’étudier une langue, ils ne le feront pas de leur propre chef, sauf s’ils sont passionnés et qu’ils savent qu’ils s’en serviront plus tard dans leur métier”, développe Cristina. 

 

Sortir des sentiers académiques

Pour les professeurs, les solutions résident dans les apprentissages extra-scolaires. Les cours de français dans des institutions spécialisées, ou en cours du soir, continuent de remporter un franc succès. Les formats sont différents, beaucoup plus axés sur la pratique de la langue et moins sur l’apprentissage de la grammaire et du vocabulaire. Inévitablement, cette forme d’enseignement rend la langue beaucoup plus attrayante.

Le corps professoral se bat quotidiennement pour qu’on lui accorde plus de possibilités en dehors des cours, comme la projection de films, les sorties culturelles, etc. À cet égard, la nouvelle initiative citoyenne, La Base Culture, offre une lueur d’espoir pour combler ces attentes. Depuis quelques mois, cette association propose et organise des activités variées et attractives pour promouvoir le français à Valence. Les professeurs aspirent à ce que le projet continue de se développer et arrive dans les écoles. 

des personnes avec des visages de différentes couleurs et des drapeaux
Journée de la francophonie le 20 mars au CCCC avec La Base Culture à Valence

Cristina est une enseignante investie, qui ne baisse pas les bras facilement. Cette année, elle organise un voyage à Paris avec ses élèves et espère les convaincre que le français et sa culture valent vraiment la peine d’y consacrer du temps et du travail. Mais seule, elle a peur de se lasser de ce combat sans fin : “Si les directions ne nous aident pas, on ne pourra pas changer les choses de manière considérable. Je peux proposer des idées mais si l’école ne suit pas, je ne peux rien faire.” 

À terme, Cristina et ses collègues craignent que ce manque de considération ne nuise totalement à l’enseignement du français à Valence. Aujourd’hui, ils espèrent que des initiatives, à l’image de La Base Culture, permettent au français de reconquérir le cœur des étudiants valenciens. 

 

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