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Interview : Réal Godbout, un bédéiste québécois en tournée au Japon

Réal Godbout BD Réal Godbout BD
©Éric Lajeunesse
Écrit par Julien Loock
Publié le 1 janvier 1970, mis à jour le 21 février 2018

Jusqu'au 20 février 2018, la bande dessinée québécoise s'expose au Musée international du manga de Kyoto. Nous avons eu le plaisir de parler BD et Japon avec Réal Godbout, un bédéiste québécois renommé, lors de son passage à l'ambassade du Canada à Tokyo. La rencontre, débordante d'anecdotes, a été l'occasion de discuter de nombreux sujets, de l'amour du neuvième art de l'auteur aux arts visuels en passant par la BD de la Belle Province. 

 

Réal Godbout, vous êtes un bédéiste québécois incontournable. Père des personnages de Michel Risque et Red Ketchup, entre autres, vous commencez à dessiner dès les années 70. Pouvez-vous nous en dire plus sur votre passionnant parcours ? 


Cela fait très longtemps, en effet, que je suis auteur de bande-dessinée. Mais ma carrière ne fut pas un long fleuve tranquille, elle s’est même plutôt déroulée en dents de scie. Comme je n’avais jamais réalisé d’études en art, les premières années ont été un peu obscures. Je suis un véritable autodidacte dans ce domaine. Il faut dire aussi que la BD québécoise était inconnue à cette époque. C’était comme démarrer sa carrière dans un métier inexistant. Je publiais donc dans des magazines très marginaux. C’est le magazine CROC qui m’a véritablement lancé, en 1979. Dédiée à l’humour, cette publication à succès offrait beaucoup de place à la BD. J’y dessinais les aventures de mon personnage Michel Risque. Ce personnage, qui avait été créé bien avant CROC, est ainsi devenu un feuilleton mensuel (qui donnera naissance par la suite à la série Red Ketchup, également publiée dans CROC), en collaboration avec mon ami Pierre Fournier. De 1979 à 1995, Michel Risque représentait alors mon activité principale. Lorsque CROC a cessé de paraître en 1995, je me suis occupé d’illustrations une nouvelle fois, de story-boards pour l’animation et j’ai enseigné à Ottawa, dans un programme de BD en 1999. J’ai ensuite réalisé un roman graphique inspiré de l’œuvre de Kafka « L'Amérique ou le disparu ». Dernièrement, la maison d’éditions La Pastèque a réédité en albums les 5 ouvrages de Michel Risque et les 8 de Red Ketchup. Pour l’anecdote, bien que sorti en 2017, le 9ème album de Red Ketchup avait été entamé puis interrompu à la suite de l’arrêt du magazine CROC. Je l’ai ainsi complété 20 ans plus tard, heureux de retrouver ce personnage.

 

Réal Godbout Japon Red Ketchup
Red Ketchup, T9, Élixir X, La Pastèque, 2018


Pourquoi cet amour de la BD ? Pensez-vous qu'un déclic particulier en est à l'origine ?


Enfant, j’aimais beaucoup lire de la BD, ce qui n’est pas si rare évidemment et j’aimais aussi  beaucoup dessiner. Je ne pensais pas nécessairement faire de la BD à cette époque-là. Je ne sais pas si je peux qualifier cela de déclic, mais je dirais que la fin de mon adolescence y fut pour quelque chose, quand je me suis aperçu que la BD ne s’adressait pas uniquement aux enfants, mais également aux adultes avec un style plus alternatif. Mes études allaient nulle part à ce moment-là et je ne savais pas vraiment où me diriger. Le printemps de la BD québécoise en 1970 et la rencontre avec d’autres auteurs ont fait aussi sûrement germer en moi cette envie. C’est d’ailleurs à partir de là que s’est développée l’école de la BD québécoise.


Nous avions posé cette question à Thomas-Louis Côté, DG du Festival de la BD francophone de Québec, lors de son passage au Japon. Nous souhaiterions également avoir votre avis personnel. Pour vous, quels atouts possède le neuvième art québécois ?


Cerner le neuvième art québécois est assez difficile. La BD québécoise est avant tout très éclectique, avec une variété de genres importante. Elle est véritablement au croisement des cultures nord-américaines et européennes, voire japonaises aujourd’hui, avec le manga. Les auteurs de BD québécoise évitent aussi généralement les histoires héroïques qui se prennent trop au sérieux. Les aventures québécoises sont absolument déjantées et farfelues. Il existe un certain sens de la dérision chez les auteurs du neuvième art québécois, pas seulement dans la BD d’ailleurs. Notons également une tendance assez forte pour les récits autobiographiques. 
Autre atout de taille, il existe une véritable passion pour cet art de la part des auteurs québécois, car même si beaucoup de livres sont publiés pour ce petit marché, il est difficile d’en vivre. Les auteurs le font par passion.


Votre œuvre de bédéiste s'exprime jusqu'au 20 février au Musée international du manga de Kyoto, aux côtés de six autres artistes québécois. Exposer ses créations au Japon, est-ce une consécration pour vous ? Une fierté ?


Une fierté sûrement. Une consécration, nous verrons si cette exposition débouche sur autre chose. Le fait d’avoir été choisi me prouve aussi que je ne suis pas complément dépassé et has-been. Je me sens des fois comme le doyen de la BD québécoise (rire). Je suis ravi d’avoir été sélectionné, car cela peut être un début de visibilité dans un pays qui est un pôle important de la BD dans le monde.

 

Red Ketchup Japon
Réal Godbout et Pierre Fournier


Cette exposition au pays du Soleil Levant peut-elle vous ouvrir de nouvelles portes dans le monde, dans la BD ? 


Là encore, je ne peux pas prévoir les retombées de l’exposition, mais j’espère bien. A mon âge, on s’occupe un peu moins des plans de carrière à long terme, même si je désire continuer le plus longtemps possible à produire. J’aime toujours autant dessiner et j’ai toujours envie de faire de la BD. Je souhaite que mes livres soient lus et appréciés par le plus grand nombre possible et si je peux avoir des lecteurs  au Japon, cela me ferait également très plaisir. Et, sait-on jamais, des traductions en japonais pour mes albums.


Les arts visuels sont extrêmement populaires dans l'histoire du Japon. Des estampes au manga, il y en a pour tous les goûts. Un art graphique japonais vous inspire-t-il en particulier ? Si oui, pourquoi ?


Je dirais qu’avant de connaître le manga, dans le sens moderne de la BD, j’ai surtout connu l’univers des estampes japonaises, avec les œuvres de Hiroshige, Utamaro ou Sharaku. Hokusai est quelqu’un de particulièrement très important pour moi. Il a été d’une grande influence pour mes dessins. Quant à l’univers du manga, je ne le connais pas suffisamment, il faut dire. Je connais les grands auteurs bien sûr, mais j’aimerais en connaître davantage. Les jeunes auteurs québécois ont été fortement influencés par les manga. Pour ma part, et parce que ce genre de BD a été véritablement populaire en occident à partir des années 1990, j’étais déjà adulte. Ce qui me frappe au Japon, c’est de voir que la culture manga n’est pas juste limitée à la publication, cet art se retrouve véritablement partout, dans la publicité ou dans la signalisation. C’est amusant et très intéressant. J’aimerais que ce soit comme cela chez nous (rire).


Avez-vous déjà collaboré avec des artistes japonais ?

 

Non, je n’en ai jamais eu l’occasion.  C’est d’ailleurs mon premier voyage au Japon et je n’ai pas souvent eu l’opportunité de rencontrer des auteurs japonais. Une exception tout de même, avec un artiste très important, Osamu Tezuka, qui était venu à Montréal en 1987. J’ai eu la chance de le rencontrer brièvement. Il a laissé une œuvre en quantité incroyable. Son travail m’impressionne, c’est une leçon de BD à chaque page. 


Votre personnage phare, Red Ketchup, évolue dans une Amérique plus que profonde. Mais si vous deviez imaginer une nouvelle aventure dans la capitale japonaise, quel pourrait être son scénario ? 


Les aventures du 6eme album de Red ketchup se déroulent justement au Japon. J’ai dessiné cet album au début des années 90, alors que je n’étais jamais allé dans le pays. A cette époque-là, je n’avais pas Internet pour me documenter. Mais, comme j’avais toujours été attiré par la culture japonaise, je me suis inspiré de livres de photos ainsi que de mes nombreuses recherches. Ce que l’on voit dans cet album, c’est un Japon imaginaire, celui de ma vision personnelle. Ce qui est curieux c’est que, 25 ans plus tard, je visite enfin le Japon et j’essaye de comparer avec l’univers de mes dessins. Je m’aperçois que ma vision était assez proche de la réalité, même s’il doit y avoir des erreurs et des invraisemblances. Aujourd’hui, j’ai pris pour la première fois le shinkansen et je me suis souvenu de l’un de mes dessins de ce train (Réal Godbout nous le montre). Cela reste une caricature de ma vision très subjective. 
 

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