L’Alliance française de Chiang Rai nous a invités à un après-midi littéraire. L'occasion de rencontrer son nouveau directeur, Alex Cormanski, enseignant de formation, en poste depuis sept mois. La rédaction a voulu en savoir un peu plus sur lui, sur l’Alliance, sur les projets qu’il veut mettre en place, notamment autour du vélo, lui qui ne se déplace jamais sans son élégant deux roues.


Le Petit Journal : Bonjour Alex, parlez-nous d’abord de vous et de votre parcours.
Alex Cormanski : Je suis professeur et formateur de professeurs de français langue étrangère de formation. J’ai fait tout mon parcours universitaire à l’Université de Paris 3 Sorbonne-nouvelle jusqu’au doctorat dans la discipline didactique/didactologie des langues et des cultures, y ai présenté une thèse sur « le corps dans la langue, l’utilisation des techniques dramatiques dans l’enseignement/apprentissage des langues ». En parallèle à mes études, j’avais une activité théâtrale, j’ai donc associé l’aspect pratique du jeu de l’acteur à la réflexion, la théorie de l’apprentissage des langues en interrogeant le rôle du corps dans ce processus. Car apprendre une langue étrangère, entrer dans cette langue, c’est un peu comme changer d’instrument de musique. Parler une autre langue, c’est un peu comme jouer la musique de cette langue. Il faut savoir s’adapter et il faut surtout pratiquer. Une langue, ça se respire. J’insiste beaucoup aussi sur les interactions, ce qui est crucial dans le jeu. Une langue, ça ne se parle pas tout seul.
Je suis souvent invité dans divers pays pour former des enseignants à cette pratique enseignante très ludique à laquelle les élèves, quel que soit leur pays d’origine, répondent généralement très positivement.
LPJ : Votre avez forgé votre expérience aussi bien en France qu’à l’étranger.
A.C. : J’ai commencé à enseigner la langue et la culture françaises il y a une quarantaine d’années en université (Paris 8, Paris 3), mais aussi dans les grandes écoles comme l’ESSEC, aux élèves du cycle étranger de l’ENA, puis je suis allé aux Etats-Unis où j’ai passé six ans, en tant qu’enseignant de français, principalement au MIT (Massachusetts Institute of Technology), ensuite en Israël comme Attaché de Coopération Educative à l’Ambassade de France, aux Pays-Bas, où j’ai été Délégué général de l’Alliance française et en même temps directeur de l’Alliance de Rotterdam, ai ensuite atterri dans une université malaisienne, à Penang, puis en Chine, où j’ai passé plus de quatre ans, à Peking University, et Beijing University of Chemical Technology, entre autres.
LPJ : Vous êtes en poste à Chiang Rai depuis le 18 novembre 2024. Comment votre arrivée s’est-elle passée ?
A.C. : Un peu comme si je visitais une aire à construire. J’ai vite imaginé un chantier des possibles. L’Alliance est une petite structure, le nombre d’apprenants de français est faible. Beaucoup de raisons à cela. La situation du français dans le monde, la taille et la situation de Chiang Rai par rapport aux autres grandes villes et agglomérations thaïes, l’absence de grandes compagnies industrielles nationales comme internationales. Mais il faudrait creuser.
Sur le plan culturel, je suis allé trouver le maire peu de temps après mon arrivée - c’était le 25 décembre, une date difficile à oublier - pour lui proposer différents projets comme la Fête de la musique, un grand concours de pétanque et une course cycliste. J’ai appris en même temps qu’il était aussi très intéressé par l’enseignement des langues aux enfants. J’ai alors tout de suite proposé des cours de français à ce public selon mon approche théâtrale, qui marche très fort avec les petits. Quelques semaines plus tard, il invitait des directeurs d’écoles municipales pour développer le projet. Tous se sont dit intéressés mais il y a des questions de calendrier à respecter, alors il faut attendre, ce qui me semble assez courant ici. J’espère que cela se concrétisera.
Créer du lien culturel et linguistique entre francophones et Thaïs
LPJ : Et les autres idées ?
A.C. : Je suis en train de préparer la Fête de la musique, qui se tiendra en principe le 20 juillet à la First Church de la ville parce qu’elle est déjà équipée d’un piano et d’une sono. Pour l’instant, j’ai une liste de huit groupes de musiciens qui joueront du classique, du rock, de la pop, de la musique thaïe traditionnelle, on aura même un peu de chanson française grâce à Gaétan, qui habite ici.
Nous fêterons aussi le 14 juillet à l’Alliance, plus exactement le 13 puisque le 14 tombe un lundi (mais on danse bien dès le 13 partout en France !). Je voudrais faire venir beaucoup de jeunes thaïs qui se verront proposer des jeux, des quiz culturels, tout cela en constituant des équipes mixtes francophones et Thaïs pour créer du lien culturel et linguistique. Et bien sûr, on dansera.
Quant à la course cycliste, il s’agit, au-delà de l’événement sportif, de proposer une nouvelle politique de déplacement en ville avec, à l’appui, la construction de pistes cyclables. Faites du vélo, c’est bon pour votre santé ! Le corps médical, que je vais contacter, devrait y souscrire, ainsi que toute l’équipe municipale.
Le concours de pétanque verra le jour, j’espère. Il devrait aligner des équipes thaïes et des « Farangs ».

LPJ : D’autres idées dans le panier ?
A.C. : Je voudrais instaurer un ciné-club à l’Alliance, une fois par mois, avec discussions, débats à la fin des projections. Cela devrait se faire en fin d’après-midi pour faciliter les déplacements de ceux qui habitent un peu loin de la ville.
Le public devait être très majoritairement francophone, il aura ainsi l’occasion de faire vivre sa langue, sa francité.
Mais je n’oublie pas que notre mission essentielle est de nous adresser aux Thaïs, en développant notre offre de cours (français général ou français professionnel). 90% de ceux-ci se font en ligne pour l’instant. J’aimerais faire venir physiquement à l’Alliance un plus grand nombre d’apprenants. Notre mission consiste aussi à faire découvrir la culture française à travers des expositions et des conférences.
Il faut réveiller les expatriés qui sont installés en Thaïlande depuis un certain temps.
LPJ : N’est-ce pas un challenge très difficile à relever de faire vivre une Alliance française à Chiang Rai ?
A.C. : Oui, mais, selon le bon vieux dicton, « qui ne tente rien, n’a rien ». Donc, je me lance dans l’aventure d’entreprendre, et ceci dans plusieurs directions. Il faut chercher de nouveaux publics, réveiller les expatriés qui sont installés en Thaïlande depuis un certain temps en leur proposant des activités comme celles que j’ai déjà indiquées, mais aussi en touchant leur entourage immédiat.
Par exemple, peu de temps après mon arrivée, j’ai envoyé un questionnaire assez détaillé à 110 d’entre eux, qui avait pour but de bien les connaître, d’en savoir plus sur leur situation, leurs besoins, leurs aspirations, savoir par exemple quelle langue ils parlent au quotidien avec leur épouse ou compagne, s’ils ont des enfants, si ceux-ci parlent français, pour évaluer d’éventuels besoins linguistiques et proposer des cours de mise à niveau, car c’est leur héritage culturel qui est en jeu. Je n’ai malheureusement reçu que 16 réponses… Mais je ne perds pas espoir. Il faut persévérer, faire jaillir l’étincelle.
Je compte gagner en visibilité avec les actions à mon programme et, de là, qui sait, faire (re)naître un désir de France aussi bien chez les Thaïs que chez les Français.
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