Gilles Pecassou, directeur général délégué de l’Institut de recherche pour le développement est en Thaïlande. Nous l’avons rencontré à l’université de Chiang Mai pour parler coopération. Accompagné de Xavier Mari, représentant de l’IRD dans le pays, il s’est échappé quelques heures de Bangkok pour venir à la rencontre de chercheurs thaïlandais mais aussi de leurs homologues français venus travailler avec eux. Une démarche essentielle aux yeux de Gilles Pecassou.


Le Petit Journal : Pourriez-vous nous présenter l’IRD ?
Gilles Pecassou : L’Institut de recherche pour le développement réunit 2.500 personnes dont 1.000 chercheurs, des ingénieurs et des soutiens administratifs qui, tous, ont pour but de faire avancer la science et la connaissance. Nous sommes un institut public donc redevable à l’État des moyens qu’il nous octroie chaque année.
Notre fonctionnement et nos travaux de recherche sont tournés vers la coopération scientifique avec une cinquantaine de pays partenaires. Nous travaillons systématiquement avec les communautés scientifiques d’autres pays. Nous sommes concentrés sur la zone intertropicale et ses pays émergents. Ce fonctionnement particulier fait que nous dépendons à la fois du ministère de la Recherche et du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères. C’est ce qui fait aussi que, traditionnellement, aux côtés de notre présidente qui est une scientifique, est nommé un directeur général délégué au profil de diplomate, ce qui est mon cas, pour bien appréhender cette dimension de diplomatie scientifique.
Un réseau de « mini-ambassades scientifiques »
LPJ : Dans combien de pays avez-vous des équipes physiquement présentes ?
G.P. : Nous avons trente-cinq représentations à travers le monde. En tant que diplomate, j’aime bien dire que nous avons décidé d’investir dans un réseau de « mini-ambassades scientifiques ». Ce réseau physique, humain, a pour mission d’alimenter la relation avec nos partenaires. L’IRD, ce ne sont pas que quelques personnes qui viennent de temps en temps participer à des colloques. C’est bien plus que cela.

LPJ : Qui sont les partenaires dont vous nous parlez ?
G.P. : Cela dépend des pays. En Thaïlande, il s’agit principalement des grandes universités. Il y a également quelques instituts gouvernementaux. Pendant mon séjour, je vais d’ailleurs renouveler des accords. Nos partenaires ne sont pas seulement académiques. Il y a des ONG, des institutions pas uniquement tournées vers la recherche. Nous voulons ouvrir la science et mettre les chercheurs en relation avec d’autres milieux. Si nous voulons avoir un minimum d’impact, nous ne pouvons pas rester entre scientifiques, simplement à publier. Nous réfléchissons par exemple à ce qu’il faut faire pour lutter contre la pollution plastique ou améliorer la qualité de l’air. Nous avons, pour cela, développé des partenariats avec des fondations privées, des fondations d’entreprises. Il existe, ici à Chiang Mai, un partenariat avec la Fondation BNP, sur la capacité des forêts tropicales à stocker du carbone.
LPJ : Où en est la Thaïlande en matière de recherche scientifique ?
G.P. : La Thaïlande est un pays très présent au niveau international. Son niveau de recherche est assez élevé. En cinquante ans, les inégalités de moyens en la matière se sont réduites entre nos pays occidentaux et les pays en développement. Nous aimerions donc aujourd’hui développer avec la Thaïlande des dynamiques régionales en Asie du Sud-Est.
Xavier Mari : Travailler avec la Thaïlande, ce n’est pas travailler, par exemple, avec le Laos. Les enjeux de développement durable sont nôtres depuis longtemps mais, dans la région, on pense encore developpement avant de l’imaginer durable. La Thaïlande commence à appréhender le sujet. Notre rôle consiste aussi à aider régionalement les pays les moins avancés à se développer. La Thaïlande est encore très tournée vers ses enjeux nationaux et nous essayons de la tourner vers l’international.
G.P. : Nous ne sommes pas une banque de développement. Nous parlons ici d’enjeux scientifiques qui ne se pensent qu’à l’international.
X.M. : Le fait de lier la science à des enjeux communs, transfrontaliers, permet de faire bouger les lignes.
G.P. : Nous sommes conscients de ne pas réaliser un travail politique. Mais si nous pouvons apporter un petit quelque chose en plus, c’est déjà ça.
LPJ : Quel est précisément l’objet de votre visite en Thaïlande ?
G.P. : L’objet de ma visite est le lancement, à Bangkok, d’un atelier régional sur les écosystèmes aquatiques en Asie du Sud-Est.
X.M. : Nous travaillons sur les sujets eau-climat, eau-santé, eau-biodiversité et moyens de subsistance.
G.P. : Mais je vous le disais, je profite de ma visite pour renouveler des partenariats ou renforcer des projets de coopération. Nous sommes par exemple aujourd’hui à Chiang Mai pour rencontrer la « Forest restauration research unit » de l’université, avec qui nous avons des projets, et qui accueille des chercheurs français expatriés. Nous croyons que la meilleure façon de développer des partenariats c’est que des chercheurs viennent travailler au cœur du dispositif thaïlandais. C’est une singularité car nous sommes le seul institut à faire cela.
LPJ : Quelles sont les implantations de l’IRD en Asie du Sud-Est ?
G.P. : La Thaïlande bien sûr, le Vietnam qui est notre implantation la plus importante, le Cambodge, le Laos et l’Indonésie. Depuis Bangkok, Xavier Mari couvre également l’Inde, le Népal, le Bangladesh et la Birmanie. Notre implantation en Thaïlande date de 1985.
La Thaïlande pratique un peu la marche forcée
LPJ : Sur quels sujets travaillez-vous particulièrement en Thaïlande ?
X.M. : La Thaïlande, comme tous les pays en développement, pratique un peu la marche forcée. L’industrialisation y est rapide, le développement de l’agriculture aussi. Mais les normes, notamment environnementales, ne suivent pas. On fait de la croissance. On essaie d’aller vite. Et il y a beaucoup d’impacts en termes de biodiversité. Nous nous y intéressons. Nous travaillons aussi sur la santé. Le Covid a bien sûr changé le regard sur le sujet. La biodiversité, dont je parlais, n’est pas complètement maîtrisée, il y a ici des virus inconnus et des gens qui bougent beaucoup. On essaie d’avoir une approche pluridisciplinaire tournée vers les solutions. Sans oublier le volet sciences humaines. Il faut expliquer aux communautés quel intérêt il y a à changer les comportements.
LPJ : Pourquoi le rôle de l’IRD est-il primordial aujourd’hui ?
G.P. : La science est encore une valeur ajoutée, un outil de rayonnement que la France possède comme peu de pays. Notre réseau est plus important que celui des autres états européens et des autres compétiteurs stratégiques. Mais la science est plus qu’un soft power qui nous donnerait une position stratégique. Nous partageons avec la Thaïlande les Objectifs de développement durable des Nations unies, rassemblées dans l’Agenda 2030. Une part de cet agenda commun concerne la recherche scientifique.
Sur le même sujet
