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STRANGER BY THE LAKE - Entretien avec Alain Guiraudie

 

Récompensé du prix de la mise en scène à Un Certain Regard au Festival de Cannes pour son quatrième long-métrage, L'Inconnu du Lac, Alain Guiraudie, est de passage à Melbourne pour présenter son dernier film au Melbourne International Film Festival. Le cinéaste français à l'accent chantant a accepté de répondre aux questions de lepetitjournal.com. 

Lepetitjournal.com/Melbourne -

Est-ce la première fois que vous êtes accueilli au Melbourne International Film Festival ?

Oui c'est la première fois que je viens y compris en Australie. Je viens pour sept jours. J'aimerais voir la campagne aux alentours de Melbourne mais il y a déjà beaucoup de choses à faire à Melbourne. Je vais aussi essayer d'aller voir d'autres films pendant le festival, c'est rare que j'aille dans un festival sans voir d'autres films.

 Quel est votre parcours cinématographique ? Comment avez-vous appris à faire des films ?

L'envie de faire des films remonte à très très loin. Lorsque j'avais onze ou douze ans, il y a des films qui ont commencé à me happer. Je me rappelle de phases où je voulais à tout prix voir des films, j'avais une espèce de boulimie cinématographique. Mais c'était à la télé à l'époque car je n'allais pas au cinéma. Je suis né dans une famille d'agriculteurs. Le cinéma était loin. Mes parents n'avaient pas le temps d'aller au cinéma donc on n'y allait pas. Le premier film que j'ai vu au cinéma c'est Superman.

J'ai appris à faire des films en en faisant. Je n'ai pas fait d'école ni d'études d'ailleurs et je n'ai pas lu beaucoup de choses. Je n'ai pas spécialement épluché les films des autres.  Je n'ai pas beaucoup travaillé sur le langage cinématographique. Cela ne veut pas dire que je ne me suis pas posé la questions sur par exemple où est ce que je mets la caméra, pourquoi je la mets là, pourquoi je fais tel plan etc. J'avais envie de faire du cinéma mais ça me paraissait très compliqué et très loin géographiquement car tout se passait à Paris, c'était à 700 kilomètres de chez moi, et socialement car il fallait être introduit, c'était un art de bourgeois. En plus, j'ai un peu ce côté velléitaire dans le sens où je repousse tout à plus tard. J'ai commencé par écrire des romans qui n'ont jamais été publiés et pour cause ils étaient très mauvais. Ils se sont tous transformés en scénario. Un jour, j'ai écrit quelque chose sans savoir si ça allait être une nouvelle, une pièce de théâtre ou un scénario. Je l'ai ressorti d'un tiroir au bout d'un an, je l'ai montré à un ami qui m'a dit que mon texte était bien. Donc, je l'ai envoyé à un producteur qui m'a encouragé à le faire mais il ne me l'a pas produit. J'ai cherché des financements par moi même, j'ai eu le GREC (Groupe de Recherche et d'Essai Cinématographique) et ça m'a permis de faire mon premier film. Et j'ai énormément appris sur ce premier film. Mes premiers films n'ont pas marché mais ça m'a toujours donné envie d'en faire un suivant.

Comment vous est venu l'histoire de L'Inconnu du lac ?
Je n'avais jamais vraiment parlé de l'homosexualité et surtout je n'avais jamais vraiment parlé de ma sexualité. J'avais envie de le faire. Je voulais partir d'un monde que je connais plutôt bien qui est quelque chose d'assez documentaire. C'est une vraie réalité et en même temps, pour quelqu'un qui n'est pas habitué, c'est aussi de la science-fiction. Et dans ce film, je voulais parler de l'amour, de la mort, du désir. Je voulais montrer le sexe et réunir le sexe et la tendresse. La première image qui m'a donné envie de faire le film, je pense que c'est la séquence de la noyade, du point de vue de Franck c'est à dire vue de loin.

Les scènes de sexe sont frontales et assez crues mais jamais dérangeantes. Elles sont érotiques mais jamais pornographiques. Comment avez-vous travaillé pour ne pas tomber dans de la pornographie ?
Les scènes de sexe auraient pu être pornographiques si elles n'avaient pas été liées avec l'acte amoureux. Sur le tournage et même au montage, on a toujours travaillé de façon à ce que les scènes de sexe soient liées à l'amour et que cela se fonde l'un dans l'autre. Les deux principales scènes de sexe non simulées sont jouées par des doublures mais qui ne sont pas issues du porno. J'aimerais un jour faire jouer les acteurs du film jusqu'au bout, vraiment lier le sexe et l'amour mais les acteurs ne voulaient pas et je le comprends. On a tourné les scènes de sexe avec les comédiens et les doublures dans le même espace, c'est-à-dire qu'il y avait les comédiens qui faisaient leur chorégraphie amoureuse et ensuite les doublures qui avaient assisté à ses scènes d'amour, enchainaient sur leurs scènes de sexe tout en essayant de garder les mêmes mouvements. Et au montage, on n'a pas voulu mettre trop de scènes de sexe non simulées, on en a mis que deux. Alors que dans la pornographique, on voit des organes en fonctionnement jusqu'au dégoût. Je voulais parler de l'amour et de la passion et pour moi cela passe par le sexe, et le sexe ce sont des organes en fonctionnement. Habituellement, on a tendance à mettre les grands élans amoureux du côté du cinéma lyrique et le sexe du côté de ce qui est sale et de la pornographie, moi je voulais réunir les deux.

Dans une interview donnée au Monde, Sylvie Pialat, votre productrice, révèle que vous ne tournez jamais avec la même équipe technique ni avec les mêmes acteurs, pourquoi ?
A un moment, j'ai travaillé avec les mêmes personnes puis j'ai trouvé qu'on était coincés dans une certaine routine. On ne discutait plus vraiment. On était tombés dans des espèces d'automatismes. J'avais envie de renouveler la "machine". Concernant les comédiens, je recommence tout le temps à zéro car dès l'instant qu'un comédien a incarné un personnage fort dans un de mes films, j'ai du mal à le voir dans un autre personnage. Et c'est aussi une des raisons pour laquelle j'ai tant de mal à travailler avec des acteurs connus. En revanche quand je vois le travail que Bruno Dumont a fait avec Juliette Binoche dans Camille Claudel 1915, je me dis qu'il y a de la place pour cela. Ou alors un comédien comme Johnny Depp est assez fabuleux. Je suis fasciné aussi par Vigo Mortensen. Je n'ai pas trop de demi-mesures, c'est soit les pas connus du tout, soit les grands [rires].

Comment vous comportez-vous sur un tournage ? Dirigez-vous beaucoup les acteurs ou les laissez-vous libres ?
Il y a deux phases avec moi. Dans un premier temps, cela passe beaucoup par du travail sur table, des lectures, des répétitions où je dirige beaucoup. Mais je ne suis pas forcément hyper précis. Parfois je cherche et si quelqu'un me dit tu es sûr que c'est bien de faire comme ça je peux changer "mon fusil d'épaule" et partir dans une autre direction. Mais lors de cette première phase, on travaille vraiment la construction des personnages, la globalité du film. Je dis ce que j'attends d'un comédien, et on confronte nos points de vue. On travaille beaucoup la rencontre entre le comédien et le personnage car quand je choisis des comédiens, je les prends aussi pour ceux qu'ils sont. J'aime bien qu'ils nourrissent le personnage avec ce qu'ils sont, avec leur façon d'être, avec leur « gueule » et avec leur voix. J'aime bien confondre les deux. Dans un deuxième temps, sur le tournage, je travaille beaucoup en plan séquence donc je leur laisse beaucoup d'espace. Et ensuite, on réajuste des choses. Sur le tournage, je travaille plus sur des choses purement pratiques, par exemple ce mot là il faut qu'il soit plus interrogatif ou gérer les déplacements, tu vas de là à là et tu t'assieds à ce moment là. Et il y a des choses sur lesquelles je suis très sûre de moi, je n'aime pas que les comédiens expliquent au spectateur ce qu'il faut penser par leur interprétation, je veux qu'ils soient très investis dans le personnage mais qu'il y ait une certaine distance. C'est un concept assez compliqué. Je n'aime pas aussi les comédiens qui ont conscience du comique de leur situation ou du tragique de l'existence du personnage.

Quels sont vos réalisateurs favoris ? Etes-vous influencé par certains de ces réalisateurs ?
J'ai des réalisateurs favoris qui m'ont montré qu'une autre voie était possible, qu'un autre monde était possible. Almodovar, Nanni Moretti ont été des réalisateurs importants pour moi. Et concernant les réalisateurs de ma génération, c'est comme si j'avais un dialogue cinématographique à distance avec eux. Quand je vois les films des frères Larrieu ou ceux de Bruno Dumont, ça m'influence. Par exemple je me dis : "il faut travailler comme ça" ou parfois je prends le contre-pied. Cela ne me laisse jamais indifférent. Mais même quand je prends le contre-pied c'est parce-que je sens qu'ils ont touché quelque chose de juste.

Quel est le dernier film que vous avez vu en salle ? Et quel est votre dernier coup de c?ur cinématographique ?
Le dernier film que j'ai vu en salle c'est Le Congrès d'Ari Folman, un bon film. J'ai vu beaucoup de films à Cannes. Tip Top de Serge Bozon m'a beaucoup plu. La Vie d'Adèle d'Abdellatif Kechiche est un film qui m'a plus impressionné qu'ému, le coup de c?ur serait plutôt pour les comédiennes. Sa façon d'aller "trifouiller" la réalité est impressionnante et son travail sur l'obscénité est assez sidérant. Une vraie sensation cinématographique selon moi est Steak de Quentin Dupieux même si cela fait longtemps.

Chloé Servel ( www.lepetitjournal.com/melbourne) Mercredi 7 Août 2013

 

 L'inconnu du lac / Stranger by the lake, séances : Mardi 6 août, Vendredi 9 août

 

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