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Rendez-vous avec la musique baroque à Singapour

 Baroque arnaud de fontgalland singapour Baroque arnaud de fontgalland singapour
Écrit par Sabrina Zuber
Publié le 9 novembre 2020, mis à jour le 10 novembre 2020

Un an après avoir présenté au public singapourien l’Ensemble Les Surprises en concert et une insolite promenade musicale au Jardin Botanique de Singapour, la compagnie Sing’Baroque propose un nouveau Rendez-Vous avec la musique baroque, dans le cadre du Festival vOilah! 2020. Nous en parlons avec Arnaud de Fontgalland, fondateur et directeur de Sing’Baroque.

 

Lepetitjournal.com : L’année 2020 a été surement marquée par l’anxiété et par les conséquences de la pandémie du Covid19. Quels ont été les impacts sur votre propre programmation ?

 

Arnaud de Fontgalland : Après les succès de nos deux concerts en 2019, nous avions prévu en 2020 de recevoir le prestigieux ensemble Les Arts Florissants à deux reprises. Au mois de mai tout d’abord dans le cadre d’une tournée en Asie du Jardin des Voix, leur programme de détection et de formation de jeunes chanteurs, et au mois d’octobre pour une semaine de master classes et de concerts, notamment en collaboration avec Red Dot Baroque.

Nous avons malheureusement dû annuler ces évènements l’un après l’autre. Les mesures liées au Covid dans le monde entier ont eu un impact très important sur le monde culturel et sur le spectacle vivant en particulier. Les musiciens ne peuvent plus se produire, pour les plus jeunes cela entraine une réelle précarisation de leur situation, et pour tous une énorme frustration de ne plus être sur scène. Et le public a perdu tout accès au monde du spectacle. Nous avons donc choisi, comme d’autres ensembles et producteurs, de proposer des évènements en ligne, à la fois pour permettre aux musiciens de se retrouver et de jouer ensemble et pour offrir à notre public, à tous ceux qui nous soutiennent, des spectacles en ligne mais toujours de très grande qualité.

 

Pour l’édition 2020 du Festival vOilah! Sing’Baroque propose deux évènements assez pointus :
un film documentaire autour du maestro William Christie, fondateur de "Les Arts Florissants", un des plus réputés ensembles de musique baroque au niveau international, et un concert par Red Dot Baroque, un ensemble singapourien qui, depuis sa création en 2018, s’est confirmé comme un groupe de musique de chambre excellent et très versatile.

Pouvez-vous nous en dire plus autour de ce jeune groupe ?

Plutôt que pointus, ce qui peut être perçu comme élitiste dans un sens restrictif, je dirai de très grande qualité. Comme le dit William Christie lui-même, « j’adore la notion d’élite, surtout quand elle est ouverte à tous ! ». Nous sommes convaincus que l’ouverture du monde de la musique au plus grand nombre ne peut certainement pas se faire en proposant une offre de qualité moyenne. Nous n’invitons donc que des musiciens et des ensembles de très grande qualité, et effectivement Red Dot Baroque s’est depuis le début imposé comme un ensemble de musiciens talentueux, dirigés par un chef charismatique et visionnaire. Les musiciens sont jeunes, l’ensemble l’est encore plus et nous souhaitons donc leur proposer de nombreuses occasions de jouer ensemble, raison pour laquelle nous les avons pris comme « ensemble en résidence », c’est-à-dire que nous avons une relation très proche et que Sing’Baroque fera tout son possible pour contribuer à leur développement et à leur rayonnement.

 

Le programme du concert « Les Gouts Réunis » est un mélange très intéressant de morceaux de deux compositeurs en compétition à la cour de Louis XIV : Jean Baptiste Lully (alias l’Italien Giovanni Battista Lulli) et Marc-Antoine Charpentier. Le premier était le compositeur officiel de la cour royale et héraut du style musical “à la française” ; le deuxième était le représentant par excellence du style nommé “à l’italienne”. On trouve par là un joli paradoxe… ?

En effet, c’est le paradoxe du règne de Louis XIV, qui a pris comme surintendant de la musique a la Cour un Italien devenu français (Lulli est donc devenu Lully), pendant que la duchesse de Guise avait pris sous son aile le Français Charpentier qui avait étudié à Rome auprès de Carissimi.

Lully, avec un talent politique égal à son talent musical, parviendra à s’imposer progressivement, d’abord en faisant danser le jeune Roi, puis en développant avec les meilleurs artistes de l’époque (Molière, Quinault…) des spectacles mêlant machineries, danse, comédie puis tragédie et musique. Il créera ainsi la tragédie en musique, le pendant français de l’opéra italien qui deviendra pour Louis XIV une arme politique pour démontrer la supériorité de la France dans les domaines des armes et des arts. Lully obtiendra du Roi des privilèges de plus en plus importants, allant même jusqu’à interdire la représentation de tout spectacle avec un effectif trop important dans tout le Royaume sans son autorisation.

Charpentier de son côté tirera profit de son expérience en Italie pour composer des œuvres typiquement romaines (telle sa messe à 4 chœurs) et deviendra en France le maitre de l’oratorio, sorte d’opéra à sujet religieux. Il sera toute sa vie tenu à l’écart de la cour par Lully qui voyait en lui un rival dangereux.

Mais si le style italien et le style français sont clairement définis et bien différents, chacun des deux compositeurs mélangera les deux tout au long de sa carrière. La rivalité entre ces deux styles fut beaucoup plus poussée par les chroniqueurs de l’époque tel Lecerf de la Vieville d’un côté, et le journal Le Mercure Galant de l’autre que par les musiciens eux-mêmes.

 

red dot baroque singapour voilah

 

Charpentier, Lully, mais aussi le philosophe Rousseau et le compositeur Rameau : des personnalités célèbres et liées au débat autour de la “querelle des bouffons” qui a marqué le développement et le succès de deux styles de musique diffèrent à la cour du Roi Soleil. Quelles sont les traits plus caractéristiques à chaque style et en quoi ils étaient en opposition ?

Les différences sont nombreuses, mais j’en retiendrai 3 essentielles :
Les formats des œuvres : en Italie, et à Rome en particulier, l’architecture grandiose des églises pousse à des effectifs de plus en plus pléthoriques ce qui explique de développement de messes à plusieurs chœurs, chacun étant disposé dans une des tribunes. Ce genre n’existera jamais en France, l’ordinaire de la messe lui-même (Kyrie, Gloria, Credo etc.) n’étant pas mis en musique à la Chapelle Royale où le Roi et l’assistance écoutaient un grand motet pendant que le célébrant disait la messe face au chœur tout bas. Le grand motet était suivi d’un petit motet pendant la communion et la messe se terminait avec un « Domine salvum fac regem » (Seigneur, sauve le Roi)

L’importance du texte : quand Monteverdi invente l’opéra, avec Orphée en 1607, la France répond plusieurs décennies plus tard avec la tragédie en musique. L’importance primordiale du texte sur la musique était telle qu’on définissait les chanteuses des œuvres de Lully comme « de très bonnes comédiennes avec une jolie voix ».

Les notions d’harmonie et d’ornementation : les dissonances ont été beaucoup plus poussées en Italie, alors qu’en France le style reste plus dans l’harmonie. Un peu comme les contrastes et les ornements sont poussés à l’extrême dans l’architecture italienne de cette époque quand la France privilégie une structure solide (le style « classique »)

 

Il doit y avoir surement des anecdotes et des petites histoires intéressantes autour de cette querelle…

Oui, en 1683 par exemple Louis XIV convie les meilleurs musiciens du Royaume à participer au concours pour devenir sous-maitre de la Chapelle Royale. Finaliste, Marc-Antoine Charpentier que le Roi connaissait et reconnaissait ne se présenta pas à la finale, pour cause de maladie. La maladie était-elle réelle ou a-t-il préféré éviter un concours dont Lully l’aurait évincé de toute façon pour éviter une concurrence trop rude ? A-t-il été empoisonné pour ne pas pouvoir s’y rendre ? Toutes les rumeurs ont couru et l’énigme n’est toujours pas résolue.

Quelques années plus tôt, Molière et Lully avaient monté ensemble de nombreuses comédies-ballets sur les textes que nous connaissons bien, notamment Le Bourgeois Gentilhomme. En 1672 les deux artistes se brouillent et Molière se tourne alors vers Charpentier pour mettre en musique Le Malade Imaginaire. La pièce aura un grand succès et sera à l’origine des restrictions successives sur les effectifs imposés par Lully. Charpentier réécrira donc l’œuvre et intitulera les versions successives « Le Malade Imaginaire dans sa splendeur / avec les défenses / rajuste autrement pour la 3e fois »

 

Sing’Baroque réaffirme donc son intention principale : emmener la musique baroque au grand public, aux non-connaisseurs, et montrer comme cette tradition musicale centenaire est toujours actuelle et vivante.

Le rendez-vous avec « Les Gouts Réunis » est pour le 15 novembre, à 20h, en ligne.

 

Pour réserver son billet c'est sur sistic

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