Double interview avec le fondateur de Sing’Baroque Arnaud de Fontgalland et le chef d’orchestre Maestro Bestion de Camboulas, à propos du concert Les Eléments et de la Balade des oiseaux, les 15 et 16 novembre, dans le cadre du Festival Voilah! Comme Arnaud de Fontgalland, je crois qu’il est mission de l’artiste d’introduire le spectateur à des genres et des expressions artistiques de tous types. C’est simple de parler de Verdi, Puccini ou Mozart. Moins évident d’éveiller la curiosité pour un concert offrant un répertoire non populaire et plus insolite. Comme lui, je pense que le public est prêt à découvrir, il est prêt à être accompagné ; il “suffit” de trouver le langage pour lui parler...
J’ai rencontré pour la première fois Arnaud De Fontgalland, durant l’été 2018 ; il venait de compléter le dossier de communication autour de son association et était prêt à lancer son projet d’emmener la musique baroque à Singapour. Nous avons échangé beaucoup d’informations et d’idées autour de la scène musicale locale, des axes de la politique culturelle du Pays et de ce que trop souvent on oublie : Ce que le public aimerait recevoir lors d’un spectacle.
Un an plus tard, lors de la présentation de la nouvelle édition du Festival Voilah!, je félicite Arnaud pour avoir réussi son pari, avec un double projet: le concert Les Eléments, le 15 novembre au théâtre du SOTA ; la Balade des oiseaux le 16 novembre au Jardin Botanique. L’oiseau est un animal récurrent dans le répertoire musical à travers les siècles. Un collègue compositeur et chef d’orchestre (auteur d’une pièce pour instruments et 4 voix solistes intitulée Birds Songs, avian metamorphoses) a souvent dit que les oiseaux sont les vrais maitres de musique : cette composition est en effet basée sur les fréquences acoustiques du chant des différents oiseaux. Les oiseaux ont aussi une place particulière dans la culture chinoise. Ce concert déambulatoire m’intrigue…
LePetitJournal.com : Comment est née cette idée ?
Arnaud de Fontgalland : Elle est née à deux endroits différents : au sein de l’Ensemble Artifices qui a envie de faire sortir le concert des murs, afin de s’approcher du public et de trouver un répertoire et un mode d’expression original. « Artifices » est un terme ainsi qu’un mode propre de l’époque baroque : ornementation, masques, pastiche, font partie d’une tradition que Alice Julien-Laferrière souhaite réinventer, à travers un contact très direct avec le public. Le chant des oiseaux est à l’origine de la musique : quand l’homme a voulu l’imiter, il a appris à imiter ses sons. A l’époque baroque, l’imitation va dans les deux sens : le violon, la flute cherchaient à imiter les oiseaux, et à l’inverse on apprenait aux oiseaux à chanter selon les codes humains.
L’idée de la balade des oiseaux revient aussi à la vocation de Sing’Baroque de partir à la rencontre du public, pour lequel ce répertoire devient accessible. On veut surprendre les auditeurs, les émerveiller. Enfin, l’oiseau symbolise aussi un pont entre les cultures chinoise et occidentale. Il suffit de penser aux concours d’oiseaux existant à Singapour, au nord du MacRitchie Resevoir, où tous les dimanches il y a des compétitions de chant d’oiseaux, auprès du Kebun Baru Birds Singing Club. Un animal qui « résonne » pour les occidentaux comme pour les asiatiques, donc.
Quel type d’instrument ? Combien de musiciens ?
On verra deux instrumentistes et un ornithologue. La balade se base sur un parcours sélectionné par les artistes dans les coins du Jardin où on peut voir le plus d’oiseaux ; l’ornithologue va identifier les oiseaux, expliquer les différences des chants et le type d’animal et les musiciens vont jouer une pièce qu’imite ce chant.
Mise à part la relation évidente d’un concert dans un parc afin de mieux se représenter les oiseaux, de s’immerger dans leur habitat naturel, il y a aussi une volonté d’aller à la rencontre du public d’une manière différente que dans une salle de concert.
Est-ce que cela a été difficile de convaincre les autorités locales de donner la permission de réaliser ce projet ?
Ça s’est fait assez rapidement grâce au soutien l’Ambassade de France qui a facilité la prise de contact initial. Au départ, la direction du Jardin Botanique n’avait pas compris qu’il s’agissait d’une balade et non pas d’un concert sur la scène au cœur du parc. Ils étaient surpris, certes, mais pas contre, ni hésitant.
Est-ce qu’il y a d’autres difficultés ?
La météo reste le plus grand problème. La pluie, certes, mais aussi l’humidité pour les instruments. Plus, l’aléas de la présence des oiseaux ! Pour avoir plus de chance d’en rencontrer, on démarre notre balade tôt le matin. Idéalement on ne peut pas accueillir trop de monde : les instruments ne seront pas amplifiés, l’acoustique sera d’extérieur et les gens vont devoir rester assez proches des artistes pour pouvoir suivre et interagir.
Voilà le plus grand défi, à mes yeux : pour ce spectacle c’est la présence des oiseaux qui va déterminer le programme et non pas l’inverse. Dans cet habitat naturel magnifique qu’est le Jardin Botanique de Singapour, à juste titre consacré comme patrimoine mondiale de l’humanité par l’Unesco, il faudra se confier complètement à Madre Natura.
Les deux musiciens qui jouent pendant la balade seront aussi à l’affiche au théâtre du SOTA pour le concert Les Eléments, présenté par l’Ensemble “Les Surprises”. Ces deux évènements s’inscrivent dans la continuité de la vocation de Sing’Baroque : proposer des concerts exceptionnels et de qualité pour faire découvrir de la musique inconnue du répertoire, mais aussi aller vers un public nouveau.
Je pose ensuite quelques questions à Louis-Noel Bestion de Camboulas, chef d’orchestre à la direction de l’Ensemble “Les Surprises”, en salle le 15 novembre.
Lepetitjournal.com : Nous sommes heureux de recevoir l'Ensemble Les Surprises pour la première fois à Singapour. Pouvez-vous nous parler de son origine et des traits qui le rendent diffèrent des autres groupes de musique de chambre ?
Louis-Noel Bestion de Camboulas : L'ensemble a été créé il y a 8 ans, avec pour but de défendre un répertoire peu souvent joué, et de montrer l'excellence de certaines œuvres oubliées. Un travail de défricheur est donc nécessaire, comparable à de l'archéologie, mais ensuite nous souhaitons toujours donner une vision moderne à ces œuvres anciennes. Notre ensemble se définit aussi par une volonté de fortes personnalités présentes en son sein, que chaque instrumentistes ou chanteurs soit un soliste à part entière même dans des grands effectifs
Y a-t-il une raison particulière pour laquelle vous avez choisi « Les Eléments » pour le Festival Voilah ?
"Les Eléments" est une œuvre assez emblématique. Car elle est aujourd'hui très peu connue, alors que pendant le XVIIIe siècle c'était un best-of. C'est une œuvre très colorée et très variée, et un compositeur que j'adore.
La version présentée à Singapour est une version réduite de la composition originale. Quels sont les critères « techniques » (musique, rôles, instrumentation) qui aident à sélectionner et réduire un ouvrage si complexe afin de le rendre plus accessible au grand public ?
C'est toujours important pour moi d'aller à l'essentiel de ces œuvres. C'est une pratique qui se faisait déjà à l'époque, présenter le contenu musical le plus marquant d'un opéra. Cela se fait en conservant l'intrigue principale, et en "passant plus vite" sur tous les passages de divertissements (puisqu'on est dans un opéra-ballet, il y a un grand nombre de divertissements qui sortent de l'intrigue principale). Du point de vue de l'instrumentation, c'est aussi un travail de réécriture, puisque nous avons un orchestre de chambre, mais qui permet d'avoir toutes les couleurs qu'avaient alors les grands orchestres, couleurs de cordes, de vents (hautbois et différents flutes), et aussi une tessiture large de la contrebasse au piccolo.
Pourquoi conseiller fortement les lecteurs de lepetitjournal.com de venir écouter « Les Eléments » ?
Les Eléments, c'est un vrai feu d'artifice, de couleurs, d'émotions... ! Une musique très pétillante, à la fois la grandeur de la musique du grand siècle (Delalande était le vieux compositeur respecté), mais aussi la ferveur de la jeunesse (avec Destouches qui était un jeune compositeur très enflammé).
On aura donc la possibilité d’écouter un “tube” de l’époque baroque qui a été exécuté à ses temps un peu partout, au sein de la grande cour de Versailles ainsi qu’à Fontainebleau, et dans les provinces les plus petites, dans des adaptations en version de chambre. Et qui arrive à Singapour après presque 300 ans !