Chaque année, ils sont plus de 600 à Nanyang Technological University (NTU) et plus de 900 à National University Singapore (NUS) à suivre des cours de français. Pourquoi ont-ils décidé de le faire ? Quels impacts le français a-t-il eu sur leur vie ? Autant de questions auxquelles les témoignages de Shi Min et de Wee Lyn, débutants en français à NTU, et ceux de Sarah et Ern-Min, de niveau avancé en français et qui inaugurent ce semestre le nouveau cours d’études francophones enseigné entièrement en français à NUS, apportent des réponses pleines d’enthousiasme et de fraîcheur. Shi Min est étudiante en 2nde année de linguistique, Wee Lyn, en 2nde année de commerce, Sarah et Ern-Min sont étudiants en, respectivement, études européennes et sciences de l'ingénieur.
Shi Min : « Parler français m’a ouvert l’esprit »
Pourquoi avez-vous choisi le français comme langue étrangère ?
Je fais du piano depuis ma plus tendre enfance : j’aime la musique classique française, les compositeurs comme Debussy. Je suis passionnée par l’art de la Renaissance française. Avant même d’entrer à NTU, j’avais envie d’apprendre le français. Depuis que j’étudie la linguistique, je m’intéresse en plus à l’influence du français sur les autres langues. En regardant les séries françaises, je m’aperçois que l’anglais a emprunté de nombreux termes de vocabulaire au français. Apprendre du français, c’est, d’une certaine façon, apprendre à mieux parler en anglais. C’est vraiment très intéressant et motivant.
Enfin, les classes de français de mon université ont lieu deux fois par semaine et sont en complète immersion linguistique. Je trouve qu’avoir deux sessions hebdomadaires, où les professeurs ne parlent qu’en français, est plus stimulant qu’une seule de 3 heures. Les exercices d’auto-apprentissage en ligne me permettent de rester en contact avec la langue : je peux toujours rester en contact avec la langue. C’est super !
Qu’est-ce qui pourrait freiner votre motivation à apprendre le français ?
Certains étudiants ne veulent pas s’inscrire dans les niveaux supérieurs de peur d’avoir de mauvais résultats aux examens. Je trouve que c’est dommage. Moi, j’ai envie d’apprendre les langues que je veux !
Qu’est-ce qui vous intéresse dans le français ?
La prononciation, la conjugaison et les règles de tutoiement et de vouvoiement. Au fur et à mesure que je progresse en français, j’essaie de faire le parallèle avec l’anglais ou d’autres langues que je maîtrise comme le chinois.
Selon vous, pourquoi est-ce important d’apprendre le français à Singapour ?
Même si à première vue, la communauté francophone ne semble pas la plus importante à Singapour, il y a en réalité de nombreux francophones, dont beaucoup d’étudiants sur mon campus. Dans ma résidence universitaire, ma voisine est française, elle est devenue une amie avec qui je parle en français et j'apprends de nouveaux mots. D’un point de vue professionnel aussi, avoir plusieurs cordes à son arc sur un marché du travail internationalisé est un atout majeur : grâce au français, j’espère travailler pour le ministère des Affaires étrangères ou enseigner dans une école bilingue.
Dans le cadre de vos études, vous avez récemment effectué un stage d’immersion linguistique en France. En quoi cette expérience a-t-elle changé votre vie ?
C’était une expérience intense et inestimable pour moi. J’ai fait d’immenses progrès en français, bien sûr. De nombreuses choses apprises à NTU me sont revenues à l’esprit et j’en ai aussi compris la signification. C’était comme un puzzle qui se mettait en place devant mes yeux. Mais ce qui n’a pas de prix pour moi, c’est l’ouverture d’esprit que ce séjour m’a donné. Par mes discussions avec ma famille d’accueil ou avec mes camarades de classe venus du monde entier ou encore au cours des excursions organisées par l’école, j’ai été confrontée à des points de vue différents du mien. J’ai changé d’état d’esprit. J’ai compris qu’il y avait différentes façons de percevoir et de résoudre les problèmes. Par exemple en France, il y a une loi contre les châtiments corporels. Je pense maintenant que cette loi devrait aussi exister à Singapour. Parler français m’a ouvert l’esprit et m’a donné confiance en moi.
Avant de partir, j’avais aussi des idées préconçues sur la France et les Français. Mes amis me disaient que les Français n’étaient pas sympas. Mais quand j’ai pris le train, les gens étaient très serviables et m’ont aidée ! Les stéréotypes que l’on a sur la France sont surtout le résultat des experiences vécues à Paris, car tout le monde va à Paris. Au contraire, Besançon est une ville tranquille et très agréable, loin des clichés de villes agitées véhiculées par certains médias.
D’après vous, le gouvernement singapourien devrait-il plus encourager l’apprentissage d’une langue étrangère avant l’entrée à université ?
Tout à fait ! A Singapour l’enseignement des langues étrangères avant l’entrée à l’université est réservé aux étudiants des meilleures écoles. Tous les étudiants, peu importe leurs écoles, devraient avoir cette chance dès le plus jeune âge. L’apprentissage d’une langue ne devrait pas dépendre des aptitudes ou résultats dans les autres matières. Les étudiants américains du CLA avaient déjà appris le français dans leur enfance, ils avaient un peu oublié mais les bases leur sont revenues assez vite. C’était plus facile pour eux.
Inciterez-vous vos enfants à apprendre le français ?
Oui, car plus les enfants sont jeunes et plus ils apprennent facilement les langues. Mes enfants pourraient bien être trilingues, ce qui est assez courant de nos jours.
Wee Lyn : « Joie de vivre » est mon expression préférée en français.
Pourquoi apprenez-vous le français? Quels sont vos objectifs ?
Depuis toujours, je souhaitais apprendre une langue étrangère. C’est sans doute cliché, mais je trouve que le français est une langue romantique. Par ailleurs, c’est une langue majeure sur le continent européen et comme je compte aller travailler en Europe ou faire un stage dans une entreprise francophone grâce aux programmes de l’ambassade de France, j’ai vraiment envie d’apprendre cette langue. A l’issue de mes études, j’espère atteindre le niveau intermédiaire avancé pour pouvoir passer une certification DELF mais aussi ajouter le mineur en langues à mon diplôme.
Quels impacts sur votre vie a déjà eu l’apprentissage du français ?
A NTU, nous n’apprenons pas seulement la langue, mais nous découvrons aussi la culture francophone avec des chansons, des films, des jeux, etc. Il y a deux chansons françaises que j’aime vraiment beaucoup, « La vie en rose » et « Amour plastique ». C’est grâce à mes études que je peux comprendre ces chansons et m’ouvrir sur une culture différente de la mienne. D’un point de vue social aussi, apprendre le français a changé ma perception du monde. Cet été, par exemple, je suis allée en Croatie où j’ai pu échanger avec beaucoup de francophones. J’ai remarqué que lorsque l’un d’entre eux avait fait une erreur, les autres le pardonnaient facilement. Cette attitude m’incite à être plus tolérante et plus indulgente dans ma vie de tous les jours avec les autres et avec moi-même ! Dans le domaine professionnel aussi, apprendre le français m’aide à mettre en perspective ma propre culture. Par exemple, dans le commerce, un même problème ne sera pas abordé ou résolu de la même façon par un Singapourien et par un Français. C’est très important pour mon futur travail où on me demandera d’avoir une vision des problèmes sur 360 degrés et d’aiguiser mon sens critique.
Quelle est votre expression préférée en français ? Pourquoi ?
« Joie de vivre ». Cette expression n’est pas exprimée de la même façon dans ma langue maternelle. Elle m’invite à profiter du moment présent et à moins me focaliser sur le passé ou l’avenir.
Sarah : « Le français est une des langues les plus belles du monde »
Pourquoi avez-vous choisi le français comme langue étrangère?
J’aime bien apprendre les langues étrangères. En plus du français, je parle couramment anglais, chinois, japonais, espagnol et italien. L’anglais, c’est ma langue maternelle et comme tous les Singapouriens d’origine chinoise, j’ai dû étudier le chinois mandarin pendant 10 ans à l’école. Le japonais était la première langue étrangère par laquelle j’ai été attirée, par l’idée de devenir « cool » en parlant une langue qui n’est pas forcément comprise par tout le monde. Je l’ai étudiée pendant 4 ans à l’école secondaire, puis à l’université. L’espagnol faisait partie du programme du Baccalauréat International au lycée et, comme je voulais connaitre les cultures hispaniques qui me paraissaient bien vivantes, j’étais très motivée pour le perfectionner. De plus, j’ai passé ma troisième année de licence à Madrid pour mon programme d’échange, où j’ai aussi suivi des cours d’italien, une langue dont la richesse culturelle m’a beaucoup plu. Par ailleurs, je viens de commencer à apprendre l’allemand à l’université, même je termine mes études cette année.
Le français, pourquoi ?
Mon apprentissage du français fait partie de ma licence en études européennes qui exigeait que je choisisse entre le français, l’espagnol et l’allemand comme langue étrangère. Étant donné que j’avais déjà maîtrisé l’espagnol, je savais que le français, étant une langue latine, serait facile à apprendre. Mais plus que cela, j’avais toujours eu l’impression que le français était l’une des langues les plus élégantes et je voulais également savoir produire ses mélodies. Après l’avoir étudié pendant 4 ans, j’ai toujours l’opinion que le français et une des langues les plus belles du monde. Et au fur et à mesure que je renforce ma connaissance du français, mon appréciation pour la culture française s’approfondit – notamment par rapport à l’histoire, l’art et la diversité de la gastronomie – et surtout quand je suis allée en France pour un programme d’immersion.
Qu’est-ce que devenir francophone a changé dans votre vie ?
Je crois qu’il est incontournable que notre vision du monde soit étendue lorsqu’on apprend des langues étrangères. L’apprentissage du français en particulier m’a ouvert les yeux sur la grande diversité de la francophonie : souvent on ne pense qu’à la France quand on entend parler du français, mais il y a aussi plein de cultures francophones en Afrique, en Europe, au Canada, dont on peut apprendre beaucoup. Bien que je ne puisse pas utiliser le français trop fréquemment à Singapour, ma vie aurait sans doute été beaucoup moins abondante si je ne l’avais jamais appris. Pour ma part j’ai toujours valorisé les langues pour leurs fonctions culturelles et sociales, plutôt que leur fonctionnalité. De plus, j’ai constaté qu’en plus de bien faciliter la communication, une langue partagée peut toucher notre sensibilité et ainsi permet de développer de très bonnes relations. C’est donc grâce aux cours de français que j’ai pu me faire pas mal d’amis à l’université, soit d’autres apprenants de français, soit des étudiants qui venaient de pays francophones. En dehors de cela il me faudra attendre pour voir où le français m’amènera dans la vie.
Pratiquer le français à Singapour, c’est un défi ?
En général c’est toujours possible de suivre un cours ou d’assister aux évènements organisés par l’Alliance Française pour pouvoir pratiquer le français en temps réel, mais les vidéos des YouTubeurs francophones ou les séries en version française sont aussi une très bonne manière d’avoir des contacts avec la langue.
Un mot préféré ?
Mon mot préféré est « pâtisserie » parce qu’il m’apporte de bons souvenirs de la gastronomie française !
Ern-Min : « Pour moi, le français est un loisir »
Pourquoi le français ?
Je parle le mandarin mais comme la plupart des Singapouriens, l’anglais est ma première langue. J’étais monolingue pendant la majorité de ma vie. À Singapour, on a une politique d’éducation bilingue mais dans ma famille, on ne parle pas souvent le mandarin. Du coup, je cherchais une autre langue pour m’apprendre comment étudier une langue d’une manière efficace. Puisque la mélodie et les sons du français sont très agréables, j’ai décidé d’apprendre cette langue. Maintenant, je suis accro à découvrir des phrases nouvelles et à avoir la capacité de communiquer en français parce qu’elle est ma première langue étrangère. C’est comme gagner des trophées dans une compétition : La première réussite est toujours la plus mémorable. Maintenant, je suis aussi en train d’apprendre l’indonésien. Parce que c’est utile dans cette région d’Asie du Sud-Est. J’ai aussi appris le coréen, mais pas très longtemps.
Qu’est-ce que devenir francophone a changé dans votre vie ?
En apprenant une nouvelle langue, on s’ouvre à un autre monde, une autre culture, une autre vie. Il y a une citation, par Nelson Mandela « Si vous parlez à un homme dans une langue qu’il comprend, vous parlez à sa tête. Si vous lui parlez dans sa langue, vous parlez à son cœur. ». C’est un fait que j’atteste. En pratiquant le français sur un site d’échange linguistique, j’ai appris des autres des valeurs différentes, leurs vues du monde, la religion, la politique, leur mode de vie. Pour moi, le français est un loisir. Quand mes études d’ingénierie me fatiguent, je regarde une vidéo française. Je doute d’utiliser le français régulièrement pour mon travail dans le futur sauf si je trouvais un boulot dans une entreprise française. Maintenant ça reste un bon moyen de relâcher la pression. Je voudrais continuer le français à un niveau assez avancé. Il y a une polyglotte célèbre, Lýdia Machová qui a dit qu’apprendre une langue est semblable à être piégé sur une île. Les vagues vous empêchent de vous enfuir. Il faut ramer sans cesse jusqu’à ce que vous soyez libres des vagues. Quand vous parvenez à un niveau avancé, vous avez un océan à explorer.
Comme je pense me marier très tôt, je ne pense pas que j’aille dans un pays francophone pour continuer mes études. Mais, Ce qui est sûr que j’irai dans un pays francophone avec ma future femme pour nos vacances grâce à ma connaissance du français.
Pratiquer le français à Singapour, c’est un défi ?
Je lis. Le premier bouquin que j’ai lu en français s’appelle « c’est un secret entre nous ». C’est le témoignage d’une femme qui était harcelée par son beau-père pendant son enfance et son adolescence. Et ça a été écrit pour encourager les filles ayant été harcelées à ne pas rester silencieuses. Je regarde aussi beaucoup de vidéos françaises sur Youtube et je crée les flashcards moi-même selon la technique que j’ai apprise à partir d’un bouquin, « Fluent Forever » écrit par Gabriel Wyner, un autre célèbre polyglotte. La communauté polyglotte a tant de bonnes techniques pour m’aider à améliorer mon niveau de français !
Je suis un peu plus courageux que les autres car je parle aux Français si je les entends dans le métro. Ils sont toujours très contents et étonnés de m’avoir rencontré. C’est un peu inédit à Singapour parce que parler avec les étrangers, ce n’est pas dans notre culture. N’hésitez pas participer aux événements français tel que des débats français ou un discours à l’Alliance Française. Soyez courageux et parlez avec un français dans le métro ou à Serangoon. C’est effrayant mais je suis convaincu que ça vaut la récompense !
Votre mot préféré ?
J’aime les mots « zézayer », « bégayer » et « marmonner ». Parce que ça me décrit en général pendant mon parcours de français. J’espère que ce n’est plus le cas.
Entretiens coordonnés par Karine Lespinasse, spécialiste du multilinguisme , IG mozimage4. Les témoignages de ShiMin et de Wee Lyn, à NTU ont été recueillis et traduits de l'anglais par Estelle Bech, coordinatrice de français, NTU, avec la collaboration du directeur adjoint de CML de NTU, Jean-François Ghesquière. Les témoignages de Sarah et Ern-Min ont été mis en forme par Hélène Girard-Virasolvit, professeure de français, NUS.
Si le sujet des méthodes d'apprentissage en langue vous intéresse, voir notre article sur l'esprit de développement en classe de français langue étrangère dans un contexte multilingue d'apprentissage; Lespinasse, Karine, and Estelle Bech. “Promote a Growth Mindset Approach in the Students in Foreign Language Education Motivational Strategies for Teachers and Learners”, CLaSIC 2018 - The Eighth CLS International Conference”, 6-8 December 2018, Singapore, National University of Singapore, pp. 143–153.