À l'occasion des journées maçonniques d'Asie qui se sont tenues à Bangkok en Thaïlande au cours du premier trimestre 2024, Guillaume Trichard, élu en août 2023 en tant que Grand Maître du Grand Orient De France a accordé une interview exclusive à Lepetitjournal.com, en présence du Grand Maître du Grand Orient De Thaïlande.
Monsieur Trichard, vous avez été élu au mois d'août dernier Grand Maître du Grand Orient De France, pouvez-vous nous en dire un peu plus sur vous et sur votre nouvelle fonction ?
J'ai 48 ans et j'ai passé toute ma vie professionnelle dans le marketing au sein de grands groupes industriels tels qu’Alcatel ou Thomson. J’y ai développé une fibre syndicale jusqu'au point de devenir secrétaire général de la fédération de l’industrie de l’UNSA puis en 2019 secrétaire général adjoint de l’UNSA.
Mon engagement maçonnique, quant à lui, a commencé en 1999, j'avais alors une vingtaine d'années. Au cours d'une émission de télévision, « des racines & des ailes », le Grand Maître du Grand Orient De France, à cette époque Philippe Guglielmi, avait expliqué que tous ceux qui avaient envie de rentrer en franc-maçonnerie pouvaient directement candidater et toutes les candidatures seraient étudiées.
Dès le lendemain j'avais écrit et j’ai reçu une réponse très rapidement, adressée par le Grand Maître ! Ce qui m’avait beaucoup impressionné.
Au cours de ma vie maçonnique j'ai assumé toutes les fonctions au sein de la loge où j’ai été initié, Acacia, celle où j’ai été affilié La Rose du Parfait Silence, ou celle que j'ai contribué à créer, Sub Rosa, jusqu'à mon élection à la Présidence d’un Congrès Régional, puis au Conseil de l'Ordre il y a 2 ans : la première année, en tant que Grand Trésorier adjoint, puis Président de la société immobilière qui gère le patrimoine immobilier du Grand Orient De France, la SOGOFIM, enfin en tant que Grand Maître de notre obédience, en août dernier.
Comment organisez-vous votre temps ? Avez-vous pris une année sabbatique afin d’assurer vos missions ?
Non, je continue à travailler. Le mandat de Grand Maître est un mandat bénévole, comme pour tous les élus au sein de l'Obédience, mandat qui a une durée d’un an. Si, personnellement, je peux le faire c'est parce que mon métier me permet de la flexibilité. C’est un mandat qui ne dure qu’un an, il n’y a donc pas de temps à perdre.
Pouvez-vous présenter le Grand Orient De France ?
Le Grand Orient De France existe depuis 1728, date d'apparition en France des premières loges. En 1773, il prend son nom actuel et se dote d'une constitution : nous venons donc de fêter le 250ème anniversaire de l'appellation « Grand Orient De France ».
C'est une obédience composée aujourd’hui de 54.000 frères et sœurs répartis dans 1400 loges, auxquelles s’ajoutent une vingtaine de loges transversales, dites d'études et de recherches, et des loges de mission.
Sont également mises en place par le Convent des commissions nationales sur un certain nombre de thèmes : le développement durable, le revenu universel et inconditionnel, le numérique, la santé publique et la bioéthique, et une commission, dite permanente, sur la laïcité.
Il est important de dire que les femmes sont bienvenues dans notre fraternité et nous comptons aujourd'hui environ 8.000 sœurs. Aujourd'hui, plus une seule loge ne se crée sans qu'elle soit mixte, et c'est le sens de l'histoire.
Quelles sont les missions Grand Maître en règle générale ?
Cela peut étonner mais rien dans le règlement général ne définit la mission du Grand Maître. Nous sommes une organisation très démocratique qui détermine les orientations chaque année lors de notre convent annuel qui réunit les délégués de toutes les loges.
Les missions générales du Grand Maître sont de représenter l’obédience, de s'assurer que les équilibres soient préservés et donner une impulsion.
La dimension de représentation est très importante avec une dimension de relation institutionnelle. Il doit aller faire connaître l'obédience, ses principes, ses valeurs, travailler avec les différentes équipes en interne, travailler à tisser les partenariats pour faire progresser notre franc-maçonnerie libérale et adogmatique partout dans le monde.
C’est la raison pour laquelle depuis mon accession à la grande maîtrise, je ne reste pas enfermé dans mon bureau à Paris, et je me déplace à la rencontre des frères et sœurs et c’est la raison de ma présence en Asie aujourd’hui.
Et est-ce que vous vous êtes donné une mission personnelle pendant cette année, en d’autres termes quelle trace aimeriez-vous laisser ?
J'aimerais que l'on garde de moi l'image d'un Grand Maître de combat.
Notre société arrive à un Momentum où il y a besoin d'avoir des responsables d'obédiences qui prennent leur bâton de pèlerin et mènent un certain nombre de combats. Je pense bien évidemment aux combats pour la défense de la laïcité, de la liberté absolue de conscience, pour la lutte contre la progression en Europe et partout dans le monde des régimes autoritaires antilibéraux, et bien sûr pour affronter les défis écologiques que je prends très au sérieux dans mon engagement maçonnique, mais aussi dans ma vie profane, puisque j’avais la responsabilité de la transformation écologique au sein de mon syndicat.
Quels sont les moyens de la maçonnerie pour mener ces combats ?
Il faut bien évidemment continuer à nous appuyer sur notre travail symbolique. Le Grand Orient De France repose sur 2 piliers : le travail symbolique et la réflexion introspective, la construction de son temple intérieur, mais aussi l’action pour la construction du temple extérieur. Le premier travail sert le second. On ne peut pas être uniquement focalisé sur l’édification de son propre temple intérieur, c'est peut-être là notre différence avec d'autres obédiences, dont le projet différent est tout à fait louable par ailleurs.
Le plan d'action de cette année peut-être résumé par ce concept que j'ai annoncé à Lille : « réparer et défendre la République ». Réparer parce que la République indivisible, laïque démocratique et sociale a besoin d'être réparée car c'est parce qu'elle est malade que des hommes et des femmes se tournent vers des extrêmes.
Cependant, nous ne sommes pas dans un parti politique, nous sommes dans un ordre initiatique, dans nos loges pour réfléchir, nous pensons et développons des idées que nous voulons parfois diffuser largement, et les mettre à disposition des décideurs politiques.
Je ne considère pas que c'est la franc-maçonnerie qui doit répondre aux défis du monde contemporain, ce sont aux francs-maçons ! La franc-maçonnerie, parce que c’est un ordre initiatique, donne une méthodologie de réflexion, avec une grammaire, celle des symboles. Au sein du temple chacun travaille d’abord sur lui-même avant de travailler sur des sujets sociétaux. Mais ce travail est fait pour être porté à l’extérieur. Ce sont les francs-maçons qui, par leur action dans le monde profane en tant qu’élus, responsables associatifs, syndicaux, en tant que responsables d’ONG, chefs d'entreprise, artisans, professions libérales, en tant que citoyens tout simplement, vont porter les principes et valeurs de la franc-maçonnerie. Par exemple, ce sont les francs-maçons qui ont cette lourde responsabilité de se battre pour l’avènement de la liberté absolue de conscience qui demeure la mère des libertés.
Quelles sont les valeurs portées par les francs-maçons ?
La déclaration universelle des droits de l'homme célèbre son 75ème anniversaire cette année. Ce texte a été très inspiré par des francs-maçons qui ont contribué à son écriture. Son article premier est une feuille de route pour les francs-maçons au 21ème siècle : « les hommes et les femmes naissent et demeurent libres et égaux en dignité et en droit, ils sont dotés de raison et de conscience et ils doivent agir dans la fraternité ».
Quel est votre mission en ce qui concerne l’étranger ?
Je crois que, lorsque c'est possible, plutôt que d'aller créer des loges esseulées, s'il existe une obédience libérale et adogmatique admise du Grand Orient De France, il faut qu'on l'aide à croître et cela dans un pacte bien compris. Entre obédiences, il y a les traités d'alliance, les traités d'amitié et de reconnaissance mutuelle. Je pense qu'il faut qu'on crée quelque chose de supplémentaire.
C’est ce qu’il s’est passé, en Asie, pour le Grand Orient De Thaïlande. Cette obédience a été fondée en Thaïlande en 2012 par des frères et sœurs du GODF avec l’aide du GODF. 12 ans plus tard, elle rayonne sur l’Asie du Sud-Est et des triangles qui lui sont liés sont nés dans beaucoup de pays environnants.
Mon rôle est justement d'aller porter cette petite flamme de la maçonnerie adogmatique et libérale et de resserrer les liens. Et montrer que nous sommes aux côtés du Grand Orient De Thaïlande.
Que conseilleriez-vous à un Français ou une Française qui vit à l’étranger, et particulièrement en Asie et qui veut vivre un engagement maçonnique ?
Rejoindre une loge c’est faire la démarche de rejoindre un ordre initiatique. Il faut s’interroger sur son désir de s’engager sur ce chemin et tous ceux qui répondent par l’affirmative peuvent rejoindre le GODT, quand bien même ils envisageraient de retourner en France plus tard, où ils pourront être accueillis par une loge du GODF.
Rejoindre le Grand Orient De Thaïlande, c’est rejoindre un espace de dialogue apaisé, dans la fraternité, avec des ressortissants qui partagent cette envie de travailler sur eux-mêmes pour agir sur la société.
Je m’adresse à vous maintenant, Madame, en votre qualité de Grand Maître du Grand Orient De Thaïlande. Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur votre obédience ?
Nous existons depuis 12 ans. Il y a 12 ans, un groupe de maçons du GODF de France ayant des liens particulièrement profonds et amicaux avec la Thaïlande a décidé de créer une obédience basée à Bangkok pour les frères et les sœurs d’Asie du Sud-Est. Le GODF de France nous a grandement aidé et soutenu pour la création de notre obédience. Aujourd'hui le Grand Orient De Thaïlande rayonne sur l'Asie du Sud-Est puisque des triangles se sont créés dans plusieurs pays.
Nous sommes une obédience mixte qui réunit également des frères et des sœurs venant de différentes obédiences, et voulant continuer leurs parcours maçonniques alors qu’ils sont éloignés de la France.
Dans cet esprit, toute personne intéressée par la franc-maçonnerie et souhaitant nous rejoindre peut nous contacter en envoyant un email à l’adresse suivante : contact@goasiesudest.org. Elle sera orientée vers la loge ou le triangle le plus proche de son pays de résidence en Asie du Sud-Est.