Au pied de Fort Canning, une petite église entourée d’un jardin détonne au milieu des gratte-ciel du centre-ville. C’est l’église arménienne, qui fêtera en 2026 ses 190 ans. Lepetitjournal.com vous emmène visiter ce lieu insolite en vous racontant son histoire.


La contribution significative des Arméniens au développement de Singapour
Que la plus ancienne église de Singapour soit aujourd’hui une église arménienne peut surprendre. Après tout, la communauté arménienne n’y a jamais compté plus d’une centaine de personnes. Il aurait été plus logique que l’anglicanisme, religion de la puissance occupante, arrive en premier.
Dans le sillage des anglais, douze familles arméniennes migrent très tôt à Singapour. Elles provenaient de populations habitant anciennement la partie orientale de l’Arménie, envahie par la Perse au début du 17ème siècle. Celles-ci se sont alors déplacées progressivement vers l’Inde, puis vers l’Asie du Sud-Est, en prospérant dans le commerce. La population arménienne croît progressivement jusqu’en 1880, où elle compte 80 personnes, chiffre qui reste stable jusqu’à la seconde guerre mondiale, après laquelle une grosse partie de la communauté émigre vers la Grande Bretagne et l’Australie. Aujourd’hui, l’effectif de la communauté arménienne de Singapour est de l’ordre de 40 personnes.
Cette communauté, peu nombreuse, mais riche et entreprenante, a laissé un héritage significatif à Singapour. Le Straits Times, quotidien de référence de Singapour, a été cofondé par l’arménien, Catchick Moses, en 1845. L’hôtel Raffles, fleuron de l’hôtellerie singapourienne, a été ouvert en 1887 par les frères arméniens Sarkies, comme l’hôtel E&O à Penang, l’hôtel Majahapit à Surabaya, et l’hôtel Strand de Rangoon. La fleur nationale de Singapour est un hybride réalisé dans les années 1880 par l’arménienne Agnès Joaquim. Leurs tombes sont situées aujourd’hui dans le jardin de l’église arménienne.
Pour en savoir plus sur la communauté arménienne de Singapour, lisez Respecful citizens, de Nadia H. Wright, livre disponible dans le réseau des bibliothèques publiques de Singapour.

Une communauté très attachée à sa religion
Moins d’un an après le débarquement des anglais à Singapour, la communauté arménienne commence à tenir des services religieux sous l’égide d’un prêtre arménien basé à Penang. Mais, dès 1927, elle réussit à avoir son propre prêtre résident. Elle est la première communauté chrétienne à ériger un lieu de culte permanent à Singapour. Mais celui-ci, comme les premières chapelles anglicane et catholique, construites avant l’église arménienne actuelle, n’a pas résisté au temps.
Avec l’extension de la communauté, la construction d’une église est envisagée, entièrement financée par la communauté. La première pierre est posée le 1er janvier 1835 et l’église est consacrée le 26 mars 1836. Elle est le premier bâtiment de Singapour à disposer de l’électricité. Elle devient le lieu de rencontre privilégié de la communauté arménienne de Singapour, notamment à l’occasion des services dominicaux. Il faut dire que la religion a toujours été le point de ralliement de cette communauté longtemps privée de nation.
Après la deuxième guerre mondiale, avec la diminution de la population arménienne de Singapour (plus que 40 en 1949), il n’y a plus de prêtre résident et l’église ne connaît qu’un service par an avec un prêtre venant d’Australie. Aujourd’hui, des services y ont lieu 4 à 5 fois par an, à l’occasion d’événements significatifs ou de visites de prêtres arméniens : ce sera le cas en mars 2026 avec la célébration des 190 ans de l’église. Mais l’église est régulièrement utilisée par d’autres groupes chrétiens et pour des événements rassemblant la communauté arménienne : par exemple, elle y fêtera le 21 septembre 2025 la fête de l’indépendance de l’Arménie, commémorant la sortie de l’Union Soviétique en 1991.
Des réflexions sont en cours pour avoir de nouveau un prêtre à demeure à Singapour, permettant des services plus fréquents, tant dans la cité-État que dans la région.

Une architecture traditionnelle adaptée au climat tropical
Construite par George Dromgold Coleman, architecte de nombreux bâtiments de Singapour, dont l’ancien parlement (aujourd’hui The Arts House) et l’église anglicane Saint-Andrew, l’église arménienne a de l’extérieur la forme d’une croix arménienne, avec une base carrée et des portiques émergeant des quatre côtés. La décoration est de style palladien, comme de nombreux bâtiments du 19ème siècle à Singapour : grande symétrie, proportions harmonieuses, utilisation de colonnes, de frontons et de frontispices. Conformément à la tradition arménienne, la chapelle fait face à l’est. Des fenêtres à persiennes assurent la bonne ventilation de l’édifice.
Mais, contre toute attente, l’intérieur de l’église est circulaire, surmonté d’une voûte. C’est d’ailleurs la seule église de Singapour ayant cette forme. A l’origine, cette voûte était surmontée d’un dôme avec un clocher, comme dans la plupart des églises arméniennes. Mais, peu après la construction de l’église, cette structure est apparue peu sûre et a été finalement remplacée en 1853 par le clocher octogonal décentré actuel.

L’intérieur est sobre. Il faut dire que l’église a été pillée durant l’occupation japonaise. Une peinture de la Cène décore l’autel. L’épais rideau qui sépare l’autel du reste de l’église est tiré durant certaines parties de la liturgie.
L’enclos de l’église comporte un autre bâtiment : le presbytère qui date de 1905. Ce bâtiment de deux étages de style colonial logeait jusqu’en 1930 le prêtre servant la communauté arménienne de Singapour. Il a été récemment profondément rénové et abrite depuis 2018 un musée arménien qui peut être visité avec un guide sur rendez-vous. Vous y apprendrez beaucoup de choses intéressantes sur l’Arménie et sa religion, sur l’histoire tragique de la communauté arménienne, qui a été balayée à de nombreuses reprises par des empires peu scrupuleux (d’où une diaspora deux fois plus nombreuse que la population de l’Arménie), sur la présence arménienne à Singapour et dans l’Asie du Sud-Est, et sur la contribution des arméniens au développement de cette région. Attenant au presbytère, un nouveau hall de réception communautaire est en cours d’achèvement.

Enfin, le jardin abrite 24 tombes d’arméniens célèbres. Celles-ci étaient à l’origine dans d’autres cimetières qui ont dû être évacués. Ces tombes sont aujourd’hui vides. Le jardin contient aussi 3 khachkars, ces stèles typiquement arméniennes sculptées d'une ou de plusieurs croix, accompagnées souvent d'un décor ornemental, parfois de figures humaines et d'inscriptions.
L’église arménienne a été parmi les premiers bâtiments à être inscrits à l’inventaire du patrimoine historique de Singapour en 1973. C’est aussi l’un des plus anciens bâtiments de Singapour encore debout.

L’église, ouverte tous les jours de 10h à 18h, est située 60 Hill St, Singapore 179366. Le Singapore Night Festival est une des meilleures occasions pour la découvrir.
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