CASA, petit nom de Casablanca, la capitale économique du Maroc, signale la source d’inspiration d'une exposition offrant diverses formes d’art visuel riches en couleurs. Jusqu’au 9 mai, se tient cette nouvelle exposition de Chloë Manasseh à la galerie Art Porters. Au-delà des œuvres exposées, c’est l’occasion d’en savoir un peu plus sur cette artiste éclectique, aux racines multiples, et à la curiosité insatiable. Si vous venez le jeudi entre 11h et 13h à la galerie, vous aurez l’opportunité de rencontrer l’artiste, qui pourra vous en dire plus.
Chloë, pour les gens qui ont vécu au Maroc ou l’ont visité, l’inspiration marocaine de ces œuvres saute aux yeux. Quelle est votre relation avec ce pays ?
Ma mère est née à Casablanca, d’une famille sépharade établie au Maroc depuis longtemps. Les sépharades sont cette branche du judaïsme qui s’est épanouie dans la péninsule ibérique jusqu’à la fin du 15ème siècle. A la fin de la “reconquista”, les “rois très catholiques” les ont brutalement expulsés, avec les musulmans, qui ont gouverné une partie de l’Espagne pendant plusieurs siècles. Les sépharades ont alors essaimé dans l’ensemble des pays méditerranéens, en particulier au Maroc qui était juste à côté. Je n’ai jamais vécu dans ce pays, mais j’y suis allée souvent, bien que ma famille maternelle ait dû émigrer dans les années 50, quand les relations entre Israël et les pays arabes se sont tendues.
Quelle est la genèse des œuvres que vous présentez dans cette exposition ? Que cherchez-vous à exprimer ?
D’une manière générale, à travers mes œuvres, j’essaie de rendre réel un imaginaire issu de la mémoire collective ou personnelle pour essayer de trouver des racines auxquelles me raccrocher.
De tout temps, les populations juives ont été déplacées. J’ai évoqué le cas des Sépharades poussés hors d’Espagne, ou ceux amenés à quitter les pays musulmans au siècle dernier, mais cela s’est reproduit à de multiples occasions dans l’histoire : par exemple Babylone et l’Egypte dans l’antiquité, plus près de nous la fuite devant le nazisme. Je retrouve ce phénomène dans ma famille qui a émigré à plusieurs reprises ces dernières générations : outre le Maroc, mon arbre généalogique plonge dans l’Irak, le Portugal, la Grande-Bretagne, Israël, l’Inde et Singapour. Moi-même, je suis née en Angleterre, où j’ai passé ma jeunesse, et je vis maintenant à Singapour, où je me suis mariée, après avoir séjourné dans d’autres pays.
Dans ce contexte, il est difficile de se construire une identité, qui est, pour la plupart des gens, basée sur un lieu de vie stable. A travers leurs pérégrinations, les juifs se raccrochent à leur religion et à leur folklore, qui est d’ailleurs influencé par les divers pays qu’ils ont traversés. L’arbre de vie, qui apparait de manière stylisée dans plusieurs de mes tableaux, en est un exemple.
Cette exposition se concentre sur les racines marocaines de ma famille maternelle, avec des références plus ou moins explicites :
La variété des formes d’art que vous pratiquez est impressionnante. Cette exposition montre des peintures sur divers supports (toile, céramique, ciment), mais vous pratiquez aussi l’impression, la vidéo, la sculpture, … Comment êtes-vous parvenue à maitriser tout cela ?
J’ai eu la chance de naitre dans une famille d’artistes. Mon grand-père, qui est né à Singapour, m’a initié à la peinture quand j’étais très jeune. C’était aussi un architecte de renom. Mes deux parents sont cinéastes. Après avoir étudié les Beaux-Arts, j’en ai pratiqué diverses formes. A 19 ans, je voulais être cinéaste : j’ai acheté le matériel, et après 6 mois, je suis passée à autre chose. Il m’en est resté cette pratique des installations vidéo.
Si vous deviez caractériser votre style par rapport à d’autres artistes, que diriez-vous ?
Des couleurs vives et la nature, comme vous pouvez le voir dans cette exposition. En fait j’ai été très influencée par mon grand-père, qui aimait la flore et la faune et qui m’a toujours encouragée à ne pas avoir peur de la couleur.
Quels sont vos projets pour l’avenir ?
J’ai un projet à deux volets avec Art Outreach, une organisation à but non lucratif opérant dans le domaine de l’éducation : d’une part, des installations multimédia en collaboration avec d’autres artistes, et, d’autres part, de l’enseignement artistique dans les quartiers de Singapour, par exemple en peignant des tableaux en public.
Exposition du 20 mars au 2 mai 2021. Pour en savoir plus rendez-vous sur le site de Art Porters