

3 jours après la célébration du 51ème anniversaire de la Cité Etat, Joseph Schooling a fait retentir l'hymne de Singapour, « Majulah Singapura », pour la première fois de son histoire, aux jeux olympiques de Rio . En 50.39 sec, le jeune nageur singapourien venait de décrocher l'or olympique sur le 100 m papillon, laissant ses adversaires à 1 sec et battant au passage le record olympique de la discipline.
Quel fabuleux chemin parcouru ! Sur une photo datant de 2008, on voit un jeune nageur de 13 ans posant en groupie auprès de son idole du moment, Michael Phelps, déjà multiple champion Olympique. 8 ans plus tard, le jeune nageur a grandi et s'est construit un solide palmarès, décrochant notamment, en 2015, la médaille de bronze aux Championnats du monde sur 100 m papillon. Pas encore suffisant pour faire de l'ombre à son idole, Michael Phelps, dont c'est la 3ème Olympiade et qui, avec un impressionnant total de 22 médailles d'or avant sa participation à la finale du 100m papillon, s'est, depuis les débuts de la compétition, imposé comme le maitre de ces jeux.
Au départ de la finale olympique du 100 m papillon, justement, Michael Phelps est là, de même que tous les meilleurs spécialistes de la discipline. La course sera-t-elle une fois encore écrasée par la classe du champion américain ? Sur le bassin de Rio flotte un air de drame antique qui a le parfum des moments historiques. La veille, Joseph Schooling, 21 ans, a frappé les esprits en réalisant le meilleur temps des demi-finales. Le jeune champion parviendra-t-il a s'imposer en bousculant ses idoles ? On s'attend à un exploit, mais il faudra au représentant de la petite red dot qu'il nage très vite pour surpasser les squales surpuissants, véritables barons des jeux, des autres lignes.
Que se passe-t-il à ce moment dans la tête d'un jeune homme de 21 ans, au seuil de réaliser l'exploit ou de ne pas y parvenir, si près du graal, si près du rêve absolu de devenir champion olympique ? Avant de voir s'exprimer dans toute son éclatante évidence les qualités physiques des champions, au sommet de leur discipline, on ne manque jamais d'être impressionné, a fortiori lorsqu'ils sont jeunes, par la concentration et la résilience dont ils font montre à l'instant où sur quelques secondes va se jouer le destin d'une vie.
Que retentisse le pistolet du starter, 8 champions détendent soudain leurs corps immenses, entre bassin et ciel, comme s'ils volaient. Ils fendent l'eau avec violence et disparaissent brièvement de la vue. Et tandis que dans les gradins, le public réalise encore à peine que le départ est donné, et qu'il cherche du regard les nageurs engagés, la course folle se distend. Faisant de leurs bras, depuis la naissance des épaules jusqu'au bout de leurs doigts, d'immenses battoirs dont ils frappent les flots avec fureur, tels des raies manta, les nageurs s'élèvent hors de l'eau puis disparaissent. Une vague humaine avance sur toute la largeur du bassin, compacte et déterminée, comme si elle cherchait à aller s'écraser avec le maximum de force et de vélocité contre le mur opposé. Troublante diffraction du temps entre celui de la course, celui du spectacle et celui des émotions. A peine a-t-on distingué les premiers rôles du drame qui se noue, que celui-ci s'achève et se dénoue, laissant le public hébété, identifiant le vainqueur à son geste victorieux, quand la tension de l'épreuve n'a pas encore tout à fait cédé la place à la célébration de l'exploit.
On rembobine alors, dans sa mémoire, l'une avant l'autre, les images des 50.39 sec de la course. On repère cette fois distinctement comment Joseph Schooling, dès la sortie de l'eau, précédant Phelps et comme poussé par lui, a pris la tête de la course avec autorité. Comment il a viré en tête et, résistant aux dangers venant de tous cotés, guettant ses adversaires mais incapable de rien savoir, il s'est rué vers l'arrivée, jetant dans l'épreuve tout son talent, toutes ses forces et toute son hallucinante détermination. A la fin, c'est lui, bonnet blanc frappé des couleurs de Singapour, qui lève le poing. Devant Phelps, devant le Sud Africain Chad le clos et devant le Hongrois Laszlo Cseh, tous les 3 médaillés d'argent ex-aequo, qu'il a laissé à une seconde, il vient de réaliser l'exploit. Il est champion olympique. Le premier champion olympique de l'histoire de Singapour.
Arvil Sakai (www.lepetitjournal.com/singapour) lundi15 août 2016
