Depuis 10 ans, Christophe Jacrot photographie les villes sous les intempéries. Il parcourt les grandes métropoles prises aux météores et en saisit la beauté et la poésie. Il est président du jury du concours photo Singapour et l'eau du petit journal.
Christophe Jacrot a toujours été passionné par la photographie, mais c'est en tant que réalisateur qu'il a débuté sa carrière artistique. Il a à son actif plusieurs courts métrages, tous primés, et le film Prison à Domicile (1999). Depuis 2006, il est revenu à la photographie et explore les grandes villes aux prises avec les météores pour en saisir l'émotion et le romanesque. C'est sans doute son regard cinématographique, son sens aigu du cadrage et de la lumière, qui donne à ses photographies leur côté dramatique, leur ampleur et tout simplement leur beauté.
Il a d'abord arpenté les grandes métropoles, Shanghai, Hong-Kong, Londres ou New-York, puis son goût de l'extrême l'a conduit vers les paysages glacés du Groenland et de l'Islande. Il en retire chaque fois des images artistiques et émouvantes, qui rencontrent un important succès auprès des collectionneurs et du grand public.
Pourquoi les villes et les météores ?
Christophe Jacrot - Ma première série, Paris sous la pluie, est née d'un contre-pied. Je devais réaliser des photos de Paris pour un guide touristique, avec l'instruction de montrer la ville sous le soleil. Mais la météo épouvantable de ce printemps-là en a décidé autrement. Il n'a fait que pleuvoir, et je me suis mis à photographier Paris sous la pluie. J'ai été pris au jeu, et je garde depuis une relation très particulière au mauvais temps, un amour quasi fusionnel qui m'a amené à créer un univers visuel poétique lié aux variations météorologiques, aux météores.
Quand je suis allé à Shanghai, je voulais faire autre chose, mais la ville ne m'intéressait finalement pas sous le soleil, et quand il s'est mis à pleuvoir, l'inspiration est revenue. Dans les grandes villes, on oublie presque le climat ; on oublie la pluie, on s'abrite. Moi j'aime ce rappel à la nature. Une pluie de mousson dans une métropole asiatique, c'est véritablement deux puissances qui s'opposent ; il y a une énergie extraordinaire dans la ville, et un mystère dans ces rues qui se vident, où l'on ne fait plus que passer.
Mais toutes les villes ne m'inspirent pas. Je suis allé par exemple à Taipei ; c'est une ville que j'ai trouvée très agréable et pas stressante mais pas photogénique. En revanche, à Hong-Kong j'ai eu un véritable coup de foudre. Il y a une atmosphère particulière et beaucoup d'émotions qui se dégagent de cette mégalopole, de ce côté hyper urbain.
Vos photographies sont parfois comme de vrais tableaux de peinture, ou comme des scènes de films avec un cadrage parfait, un plan plutôt large, une atmosphère particulière, et très souvent une silhouette qui passe. S'agit-il d'une inspiration prise sur le vif, ou au contraire d'une longue préparation et d'une mise scène ?
- Je ne fais aucune mise en scène, mes photos sont ancrées dans le réel. J'ai parfois une image très précise en tête et je cherche à la faire. Cela nécessite beaucoup de temps de repérage, puis énormément de patience pour attendre le bon moment, parfois plusieurs heures. Un jour, à Paris, j'étais allongé sur le trottoir sous une pluie battante, lorsque quelqu'un est venu me toucher du bout du pied pour voir si j'étais mort ! D'autres fois, il se passe quelque chose d'intéressant que je n'avais pas prévu, et la photo se fait sur le moment.
J'ai bien sûr besoin de connaître la ville avant de faire une série de photos. Je me balade dans tous les quartiers, pour ressentir l'ambiance et pour trouver des points de vue. En particulier pour ces photos sous la pluie derrière une vitre, le point de vue et le cadrage sont très importants. L'orientation l'est également, car le vent doit amener la pluie sur la vitre pour donner le mouvement. Et là aussi, il faut de la patience pour attendre le bon moment. Pour cette photo Les Huiles à Hong-Kong, je suis resté plusieurs heures, pendant différents jours de pluie, dans ma chambre d'hôtel que j'avais choisie pour cette vue. C'est un rayon de soleil, apparu un court instant, qui fait ressortir toutes ces couleurs et donne une autre dimension à l'image.
Le métier de photographe aujourd'hui est-il un métier facile ?
J'ai la chance de vendre mes photos, et de pouvoir en vivre. Je ne cherche pas à faire des commandes publicitaires ou autres, et je peux me consacrer à mon projet photographique. Il est vrai que nous sommes aujourd'hui submergés d'images de toutes parts, notamment sur internet et sur les réseaux sociaux, mais ce ne sont souvent que des instantanés, des images qui défilent. La photographie, qui est une vraie démarche de réflexion, et un travail de composition et d'écriture, a véritablement sa place aujourd'hui.
Quel matériel utilisez vous ?
Lorsque je suis revenu à la photographie, je me suis posé la question de l'argentique ou du numérique. J'aime beaucoup l'argentique qui possède de nombreuses qualités et qui oblige beaucoup plus à réfléchir avant la prise de vue. Mais le fait de devoir changer la pellicule alors que je travaille sous la pluie battante est un inconvénient rédhibitoire. Le numérique a aussi vraiment progressé. Il est maintenant supérieur à l'argentique pour des photos avec peu de lumière, en clair-obscur, comme ce que je fais. J'ai un canon 5D et je travaille avec un zoom, un 24/105, pour ne pas avoir à changer d'objectif sous la pluie. Mais tout cela reste pour moi un outil, avec ses forces et ses faiblesses.
Quels sont vos projets ?
J'ai un nouveau projet de livre en cours: un livre en grand format de ma série sur l'Islande. Mon prochain projet photographique concerne une ville interdite de Sibérie. Une ville de 150 000 habitants, donc très urbaine, avec une architecture très intéressante, un mélange de néo-classique et d'architecture stalinienne. C'est un projet un peu compliqué à monter car c'est une ville interdite, et un environnement hostile, mais j'espère pouvoir m'y rendre cet hiver.
Propos recueillis par Cécile Brosolo (www.lepetitjournal.com/singapour) vendredi 28 avril 2016.
christophejacrot.com
Livres
- Paris sous la Pluie, éditions du Chêne, 128 pages, 2008,
- Météores, aux éditions h'Artpon, 140 pages, 2015.
On retrouvera Christophe Jacrot à Singapour en mai, dans le cadre du festival Voilah ! 2016 avec son exposition solo, organisée conjointement par Artemiss Contemporary et Bruno Gallery, du 27 mai au 13 juin. et l'exposition du concours photo « Singapour et l'eau » du petit journal.com/singapour, du 24 au 28 mai. |