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BOB LEE - Pourquoi j'enseigne la photographie aux aveugles

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Écrit par Lepetitjournal Singapour
Publié le 1 janvier 1970, mis à jour le 1 juillet 2014

Photographe singapourien reconnu, Bob Lee a travaillé dans le photojournalisme avant de s'établir à son compte en créant The Fat Farmer, manière de pratiquer son métier comme on jardine : en semant des graines de photos qui transforment le regard sur le monde. Une démarche piquante et généreuse qui l'a conduit notamment à (ré)apprendre à photographier à des aveugles.

Photographier pour qui ? pourquoi ?
Pour Bob Lee, la pratique de la photographie doit être utile. Une première manière de le faire consiste à témoigner de certaines réalités sociales ou liées au handicap, pour faire comprendre et aider à changer le regard. Père d'un enfant autiste, Bob Lee est particulièrement sensible à ces questions. Une deuxième façon de le faire est de publier des livres ou d'organiser des expositions pour lever des fonds. Une troisième piste exploite la photographie, comme un outil complémentaire d'expression, qu'il s'agisse de photographier, comme il l'a fait pour exaucer les rêves de personnes en fin de vie, ou d'enseigner la photographie. Bob Lee, photographe, fait tout cela mettant son art au service des causes qu'il soutient, de toutes les manières qui sont à sa disposition.

Le travail avec les aveugles : la photographie comme outil de communication
"Combien d'entre vous savent prendre des photos ? Combien d'entre vous pensent qu'ils sont capables de faire de très bonnes photos ? Combien d'entre vous pensent qu'ils peuvent fermer les yeux, ne plus rien voir et en même temps prendre une bonne photographie ?" Ainsi commence la présentation de Bob Lee lors d'un Ted Talks* où il décrit son expérience avec les aveugles.

L'expérience d'enseigner la photographie aux aveugles est née de la proposition du directeur de « Dialog in the dark », un centre qui emploie des aveugles comme guides. Bob Lee raconte comment il a tatonné au départ pour permettre aux aveugles d'utiliser des appareils de manière autonome. Comment pouvait-il, les yeux fermés, repérer le mode automatique ? Comment pouvait-il changer la SD card ? ?

Au sortir de l'expérience, Bob Lee est surtout très impressionné par ses étudiants et par ce que leurs photos donnent à voir aux voyants des choses que l'on ne voit pas habituellement, que l'on ne saisit pas ou qu'on ne comprend pas. Il montre les clichés de ses étudiants, tous d'une qualité remarquable.

Quand il a rencontré son premier élève aveugle, Uncle William, un homme d'une cinquantaine d'années atteint d'un glaucôme, il lui a demandé pourquoi il voulait apprendre. "Si je peux prendre des photographies, les accrocher et en faire une exposition, je serais très fier". A répondu celui-ci. 

La première photo d'Uncle William représentait une poubelle verte. "Tu vois, a-t-il dit à Bob, cette poubelle est très importante pour moi. Quand je l'atteins, je sais que c'est le moment de tourner à gauche. Mais un jour, une personne du ménage l'a emporté et je me suis perdu. Maintenant que j'ai cette photo je peux lui montrer qu'il ne faut pas qu'il change la poubelle de place". Uncle Sam, qui n'avait pas tenu un appareil photo depuis qu'il avait perdu la vue, pensait qu'il ne pourrait jamais plus prendre de photos. Aujourd'hui, il prend des photos de groupe en se basant sur le son.

Une autre étudiante, Eileen, aveugle de naissance, utilise la photo pour raconter sa vie quotidienne. En l'accompagnant chez elle, Bob remarque un énorme volume sur la table. "Qu'est-ce que c'est ?", demande-il. "C'est la Bible en braille, répond la jeune fille. Pas toute la Bible, seulement un des 16 volumes". La jeune fille a depuis pris en photo les 16 volumes de la bible en braille de sa bibliothèque. Elle a photographié sa montre, dont le cadran s'ouvre pour qu'elle lise l'heure avec les doigts, et les détails sur le sol qui lui sont autant de repères.

Parcours et travaux
Originaire de Malaisie, Bob s'est d'abord formé dans le graphisme à Kuala Lumpur puis à Singapour où il a obtenu un bachelor of Arts. Premiers mois, premier changement : Bob se lasse assez vite de la mise en page.  Il se lance dans la photographie et démarre comme photojournaliste pour le Singapore Press Holdings. Nouveau changement 3 ans plus tard, lorsqu'il décide, en marge de son métier, de réaliser des projets personnels : "Le problème à Singapour, dit l'intéressé en souriant, c'est que le pays est petit. Un photographe y est conduit à reproduire rapidement le même travail sur le même type d'évènements".

Les religions à Singapour
Au lendemain de l'attentat du world Trade Center à New York en 2001, Bob est le témoin, à Singapour, des nombreuses prières organisées en commun par les différentes religions de Singapour. Etonné de sa propre ignorance concernant les pratiques religieuses des autres religions officielles à Singapour - Zoroastres, Bahrat,?-, il décide de creuser le sujet. Son travail, particulièrement sur la communauté juive et la communauté Sikh a fait l'objet d'une exposition au Singapore Historic Museum et d'un livre. "Ce qui était intéressant, souligne Bob Lee, c'était de faire ce travail à Singapour où l'on parle sans cesse de racial Harmony. C'était paradoxal de constater que chacun à Singapour ne connaît en fait pas grand chose des autres religions. Le public en voyant les photographies était interloqué : ces photos ont-elles vraiment été prises à Singapour ?"

"Si tu n'es pas sage, le Sikh va t'attraper"
L'exposition est une manière de renverser les préjugés. "A Kuala Lumpur, confie Bob Lee, les Sikhs travaillent souvent comme agents de sécurité. Du coup j'ai grandi, comme d'autres enfants, dans un univers où l'on faisait peur aux enfants en leur disant : attention, si tu n'es pas sage, Le sikh va t'attraper. Quand je les photographiais, je leur posais des questions très basiques qui montrent combien on a des préjugés sur les gens : Avec quelle fréquence vous lavez vous les cheveux ? Est-ce que vous ne vous coupez jamais la barbe ??"

Les habitants de "one room flat"
A la même époque, il réalise un travail sur les habitants des "one room flat", dans lequel, il présente les habitants dans le décor souvent austère et dénudé de leur appartement 1 pièce dans les HDB. Ces personnes, pour la plupart, sont âgées et vivent seules avec de très faibles revenus. Le reportage fait l'objet d'une exposition qui donne à voir aux singapouriens une réalité dont ils n'avaient pas conscience.

Bertrand Fouquoire (www.lepetitjournal.com/singapour) mercredi 9 juillet 2014

*How I teach photography to the blind/ tedx
Site de Bob Lee: The fat farmer

Les livres de Bob Lee, dont le dernier "on stage, off stage" sont disponibles à la librairie Kinokunya.

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