Depuis février, on ne parle plus que du succès du blockbuster chinois The Wandering Earth qui bat tous les records d'audience. Mais que nous dit ce succès de la toute nouvelle place occupée par le genre littéraire de la science-fiction en Chine, et en particulier de l’œuvre de l'écrivain Liu Cixin, adulée par les amateurs du genre du monde entier, et dont une nouvelle est à l'origine de cette adaptation cinématographique ?
L'histoire de la SF chinoise entre propagande et rejet
La science-fiction chinoise a connu une histoire plutôt discrète, alternant période de bannissement et ouvrages de piètre qualité. À la fin de la dynastie Qing, les romans de science-fiction servent d’outils pour les intellectuels afin de promouvoir leur idéal nationaliste. Le grand écrivain moderne Lu Xun, traduit au début du XXème siècle des romans de Jules Verne, qui deviendront très populaires en Chine et sources d'inspiration pour les écrivains et cinéastes, jusqu'à nos jours. Il traduit également des histoires de H.G. Wells. Il s'agit à proprement parlé d'une littérature plus fantastique que de science-fiction mais complètement originale pour le lecteur chinois de l'époque.
L'Île mystérieuse de Jules Verne
Puis dans les années 50, on voit plutôt dans ce que l'on nomme alors les "romans scientifiques" des instruments de vulgarisation scientifique. Après la seconde guerre mondiale et la création de la République Populaire de Chine, les œuvres de science-fiction soviétiques ont davantage d’influence : une SF optimiste qui envisage un futur meilleur dans un monde communiste achevé. Ces œuvres sont d'une piètre qualité littéraire mais ont été massivement diffusée. Pourtant, à partir de la Révolution Culturelle, ce genre littéraire, considéré comme bourgeois et occidental, sera complètement banni par le régime, et peu d’œuvres verront le jour.
Affiche de propagande
A partir des années 80, l'influence de la littérature et du cinéma mondial notamment américaine imprègne la culture chinoise, et de nouvelles revues traitant de science-fiction voient le jour et trouvent leur public dans la jeune génération. La Chine s'ouvre à nouveau et la création littéraire reprend, d'abord de façon assez confidentielle, en ce qui concerne la science-fiction, le public chinois étant plus amateur d'épopée fantastique de type wuxia ou de forme narrative plus classique.
Liu Cixin ou le renouveau de la science-fiction
Influencé par Jules Verne et Arthur C. Clarke, cet ingénieur dans le nucléaire originaire des environs de Beijing, publie en 2010 le premier tome de son chef d-oeuvre : Le Problème à trois corps. Les écrits de ce passionné d'astrophysique sont généralement considérés comme de la "hard sf", un style marqué par un fort souci d'exactitude et de cohérence scientifique.
La trilogie du Problème à trois corps, dont le dernier tome est paru cet hiver en France au éditions Actes Sud, finement traduit par Gwennaël Gaffric, a complètement focalisé l'attention sur la science-fiction chinoise, qui était jusque là presque totalement absente des radars littéraires.
L'action commence durant la Révolution Culturelle, se poursuit à notre époque, puis se joue dans le futur. Cette saga monumentale brasse toutes les interrogations contemporaines : avancées technologiques, conquête de l'espace, contact avec une civilisation extraterrestre et de ses conséquences sur l’humanité, évolution de l'espèce humaine, réactions individuelles et choix des sociétés face à un péril mettant en jeu la survie de l'humanité.
Cette une immense fresque de plus de 2000 pages est fascinante pour les amateurs de sciences et de questions vertigineuses : l’Homme mérite-t-il d’être sauvé ? Sommes-nous seuls dans l'Univers ? Que se passerait-il en cas de contact avec une civilisation extra-terrestre ? Quels choix ferons-nous en temps qu’espèce ?
C'est une œuvre à la lecture exigeante mais palpitante, les rebondissements y sont surprenants. On y tremble pour le sort de la Terre. La vision de l'avenir de l'humanité est résolument pessimiste mais menée par des personnages souvent imprévisibles. L'ampleur scientifique de l’œuvre est telle que certaines parties de vulgarisation scientifique peuvent être d'ailleurs un peu ardues pour les néophytes.
La longueur et la densité de la trilogie sont telles qu’il est difficile de présenter l’histoire en quelques phrases, l’auteur imagine pour nous tous les scénarii possibles de notre futur : apparition de nouvelles religions, de nouvelles forces militaires ou politiques, de nouvelles alliances géopolitiques, de nouvelles institutions internationales, impact de crises économiques, diplomatiques ou militaires déclenchées par la perspective de la fin de l'humanité.
Le propos politique puissant de l’œuvre peut étonner le lecteur connaissant la Chine d'aujourd'hui, plutôt soucieuse de son image et peu encline à la critique. Mais la SF était jusque là considérée par les autorités littéraires chinoises comme un genre mineur et suscitait donc peu d'intérêt...
Cependant, l’œuvre n'est pas à considérer comme subversive, dans le sens où Liu Cixin sonde les limites de la moralité et de l’idéologie, les paradoxes propres à chaque système politique et explore la manière dont les humains réagissent individuellement et collectivement à des situations extrêmes. Il n'y a pas vraiment de parti-pris, mais plutôt un regard froid et distant, porté même sur les choix de ses personnages, et c'est ce qui fait tout l'intérêt de son œuvre.
La science-fiction, outil du soft power chinois
Parue en Chine de 2006 à 2010, l'ouvrage a connu un succès autant immédiat que soudain, en Chine puis dans le monde entier. Liu Cixin reçoit alors de nombreuses récompenses : 9 fois lauréat du Prix Galaxy dédié en Chine à la science-fiction, prix Nebula aux États- Unis en 2010 et 2011 et surtout, premier lauréat asiatique et non-anglophone du prix Hugo, la plus haute distinction internationale de ce genre littéraire.
Plus de dix ans après sa première publication, la trilogie se classe encore parmi les meilleures ventes de livres en Chine. Il se dit qu'Amazon souhaite en faire l'adaptation cinématographique mais face à l'énormité du travail à mettre en place pour rendre justice à cette œuvre, aucune date de production n'a été annoncée...
Liu Cixin est devenu l'écrivain de SF le plus connu en Chine. Il est invité en tant qu'ambassadeur à de nombreux événements et colloques internationaux. Il se voit par exemple nommé « ambassadeur pour le programme chinois d’exploration de la planète Mars », en compagnie d’autres personnalités chinoises,... Sa position de star SF mondiale prend place dans un contexte actuel où la Chine devient une puissance mondiale dans tous les domaines notamment scientifique et culturel.
Hélas, il est a redouter que l'attention accrue des autorités chinoises et des médias sur ces activités et écrits exerce une pression trop forte sur l'auteur, néfaste pour les créateurs. Il n'a d'ailleurs plus vraiment écrit depuis la sortie de la trilogie, mais peut être cela est dû au contre-coup d'avoir écrit une œuvre majeure de cette ampleur...
De la littérature de genre au blockbuster
Sortie le 5 février 2019 en Chine, l'adaptation au cinéma d'une nouvelle du même Liu Cixin, The Wandering Earth, est le premier film chinois de pure science-fiction. Cette production à gros budget est en passe de battre tous les records d'audience en Chine, détenus jusqu'alors par le film de guerre patriotique Wolf Warrior de 2017. Netflix souhaite acheter les droits de sous-titrage pour la diffuser à l'international en le traduisant en vingt-huis langues. Les prouesses technologiques de ce film témoigne de l'évolution de la qualité des productions chinoises, armées pour concurrencer Hollywood, à l'heure où la Chine affiche ses ambitions spatiales et technologiques.
Ce film narre le projet épique consistant à dévier la planète Terre de son orbite pour la faire sortir du système solaire... afin d'échapper à la mort prochaine du Soleil. Cette fois-ci, ce ne sont pas des américains qui sauveront l'humanité, mais bel et bien une équipe d'astronautes chinois. Ce blockbuster divise d'ailleurs l’opinion chinoise quand à la dimension nationaliste de son propos, brouillant un peu la question de sa qualité.
On retrouve pourtant dans ce film les thèmes chers à l'auteur : l’inquiétant sentiment de la grande fragilité de notre belle planète, renvoyant à la réalité des catastrophes écologiques qui se préparent, et la vulnérabilité de l’humanité qui en découle.
Aucune sortie en France n’est annoncée pour l’instant, il vous faudra attendre la version sous-titrée par Netflix, ou vous mettre au film chinois en version originale.
Pour aller plus loin :
- The Wandering Earth, film réalisé par Frant Gwo, 2019
- Le Problème à trois corps, de Liu Cixin, Actes Sud, 2016
- La Forêt sombre, de Liu Cixin, Actes Sud, 2017
- La Mort immortelle, de Liu Cixin, Actes Sud, 2018
Sources : Usbek & Rica, Science et Avenir, Le Monde, Res Futurae, South China Morning Post, questionchine.net